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Présumés chasseurs de sorciers dans le Kénédougou
Publié le dimanche 16 novembre 2014  |  Sidwaya




Les villages de Nialé, Sérékéni et Kuini dans la province du Kénédougou, étaient en ébullition, jeudi 23 octobre 2014, suite à une intervention de la gendarmerie pour interpeller les enfantsprésumés chasseurs de sorciers. Un phénomène qui défraie la chronique ces derniers temps dans le Kénédougou et qui divise les populations. L’intervention des forces de défense et de sécurité dans lesdits villages a fait des blessés et des pertes en vies humaines. Deux semaines après cet évènement tragique, retour sur cette sombre journée.

Une bien triste journée que ce jeudi 23 octobre 2014 dans les villages de Nialé, Sérékéni et de Kuini au Kénédougou où des affrontements ont éclaté entre forces de l’ordre et populations. Le bilan fait état de trois morts dont un gendarme, et des blessés. Aujourd’hui selon des sources, près de 68 personnes sont interpellées et gardées à la Maison d’arrêt et de correction de Orodara. Le mercredi 5 novembre 2014, il était 10h 30 lorsque nous sommes arrivés à Kuini. Un calme régnait dans ce village. La vie avait repris son cours normal. Un tour chez le chef de village et au quartier général des enfants nous a permis de constater de visu, les dégâts causés par les affrontements. A l’intérieur de la maison où logeaient les enfants détecteurs de sorciers appelés ici ‘’l’exci-deen’’, des sacs, des vêtements, des bidons, des nattes, des assiettes, des seaux, des chargeurs et des écouteurs de portables sont entreposés, pêle-mêle. Quelques traces de sang sont encore visibles. Des traces de balles sont également visibles sur le mur, les fenêtres et le toit. Selon notre guide, Seydou Traoré, c’est dans cette maison que la jeune fille de 20 ans du nom de Safiatou Barro a trouvé la mort. Le spectacle est désolant. Après Kuini, le cap a été mis sur Sérékéni, un village voisin. Nous nous sommes rendus à la place du marché et au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS). Là-bas, les activités avaient aussi repris. Les populations vaquaient à leurs occupations habituelles. A Nialé, localité située dans la commune urbaine de Orodara où un jeune gendarme a trouvé la mort, la même ambiance régnait. Seulement dans ces différentes localités, les gens, par méfiance se refusaient à tout commentaire. Malgré tout, nous avons cherché à comprendre ce qui s’est passé réellement dans la journée du 23 octobre dernier.

La sorcellerie à l’origine des affrontements

Selon les informations recueillies auprès des autorités locales, c’est le phénomène de la sorcellerie qui est à l’origine de ces affrontements. Ce phénomène a débuté en avril 2014 à Mahon, dans la commune rurale de Kangala où des enfants en transe, détectaient et « désarmaient » des présumés sorciers. Cette pratique a pris de l’ampleur dans la province, avec à la clé des incompréhensions, la fuite et la division des familles. De quoi s’agit-il en fait ? L’histoire débute le 11 octobre 2014 à Sérékéni, un village de la commune rurale de Djigouèra. Ce jour-là dans ledit village, une vieille dame nommée Bako Barro est décédée, suite à des coups et blessures qu’elle aurait subis de la part des enfants chasseurs de sorciers, pour avoir été accusée de sorcellerie. Auparavant, dans le même village, une autre dame du nom de Djafou Mahoua Diabaté, environ 60 ans, s’était donnée la mort par pendaison, pour la même raison. A Kuini, à la même période, une femme enceinte accusée de sorcellerie et violentée par les enfants, a avorté. La liste est longue ! Mais en pareilles circonstances, a dit le haut-commissaire de la province du Kénédougou, Sayouba Sawadogo, la justice doit être rendue. Saisies de l’affaire, les autorités judiciaires de Orodara ont donc interpellé les enfants censés être à l’origine de cette situation. La gendarmerie de Orodara s’est alors rendue sur les lieux pour remettre des convocations aux enfants, mais ceux-ci, avec la complicité de certains parents, ont opposé un refus catégorique aux gendarmes. Parallèlement à la démarche judiciaire, le haut-commissaire du Kénédougou a dit avoir mis à contribution le préfet et le maire de Djigouèra, ainsi que quelques personnes ressources du village de Sérékéni, notamment les conseillers municipaux, les comités villageois de développement, les chefs coutumiers et religieux, pour raisonner les enfants, afin qu’ils répondent à la convocation de la gendarmerie. En outre, il a déclaré avoir initié deux rencontres les 13 et 14 octobre 2014 à Orodara avec les mêmes acteurs, pour se pencher sur la question. Mais toutes ces concertations et médiations n’ont pas trouvé d’issue favorable au niveau des deux parties, car les enfants sont restés campés sur leur position. Au cours de ces différentes rencontres, a-t-on appris, un parent aurait laissé entendre que si on touchait aux enfants, le village de Sérékéni sera en feu. Mais comme force doit rester à la loi, la gendarmerie est donc intervenue le jeudi 23 octobre dans les villages de Nialé, Sérékéni et Kuini pour interpeller les enfants, et non pour combattre les populations, comme le font croire certaines mauvaises langues. Malheureusement, sur le terrain les choses sont allées très vite et ont pris une autre tournure, avec malheureusement des blessés et des pertes en vies humaines. Selon des témoignages, il y a eu une vive opposition des populations qui n’étaient pas prêtes à livrer leurs enfants aux forces de défense et de sécurité.

Une situation regrettable


Interrogé sur les mobiles de ces affrontements, le procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Orodara que nous avons rencontré le lundi 10 novembre 2014, a déploré les faits et indiqué que les enquêtes sont ouvertes et se poursuivent pour situer les responsabilités. Aussi, faut-il le souligner, ces affrontements ne sont pas liés à la situation nationale. Pour le haut-commissaire, « ce qui s’est passé à Nialé, Sérékéni et à Kuini est regrettable. Ce n’est aucunement l’intention de qui que ce soit ». A l’exception du seul cas de décès enregistré, l’infirmier chef de poste de Sérékéni, Victor Gango, précise que dans son aire sanitaire, il y a eu au total trois blessés graves dont certains ont été évacués à Bobo-Dioulasso. Cependant, au cours de notre randonnée, nous avons découvert quelques cas isolés de blessés, mais pas très graves. Ces personnes nous ont raconté comment elles ont vécu cette journée du jeudi 23 octobre 2014. Une journée qu’elles disent ne pas oublier toute leur vie. Si pour certains, l’intervention des forces de l’ordre est à saluer, parce qu’elle a permis de ramener la paix et la quiétude dans les trois villages concernés par le phénomène de la sorcellerie, pour d’autres par contre, elle est mal venue. C’est le cas de ce jeune homme que nous avons rencontré sur la place du marché à Sérékéni et qui a préféré gardé l’anonymat. Il a dit que c’est parce que « force reste à la loi, sinon on ne peut oublier ni pardonner ce qui s’est passé chez nous ». Son idée est également partagée par le vieux Koumblé Traoré, chef de village de Kuini qui désapprouve l’intervention des forces de défense et de sécurité. Selon lui, son honneur est bafoué, car il n’a pas été informé de cette opération dans son village.

Le vin est tiré…

Le vieux Sidi Barro, cultivateur à Sékéreni, déplore lui aussi les événements malheureux survenus dans son village. Le vin est tiré, il faut le boire, a-t-il dit. Mais il demande l’indulgence des autorités locales pour que les personnes interpellées, notamment les élèves, soient libérés pour pouvoir poursuivre les études. Telle est aussi la pensée de Djibril du village de Nialé. Salamata Ouattara, la mère de la regrettée Safiatou Barro de Kuini, est inconsolable et n’est pas prête à pardonner la mort de son unique fille. Les larmes aux yeux, elle nous raconte comment sa fille s’est retrouvée parmi les enfants chasseurs de sorciers. A ses dires, sa fille s’est retrouvée dans le groupe des enfants pour des raisons de santé. Elle a été délivrée par les enfants détecteurs de sorciers, et c’est pourquoi elle les fréquentait. Pour l’heure, Salamata Ouattara dit être très choquée par la mort de sa fille et s’en remet à Dieu. Yacouba Gnanou fait partie des témoins oculaires de cette journée chaude à Sérékéni. Professeur d’anglais de son état, il raconte : « J’étais à la mosquée pour la prière du matin. Soudain, les pandores sont arrivés et nous ont dit de nous coucher. Ensuite, ils nous ont dit de sortir haut-les-mains. Une fois au dehors, ils nous ont encore dit de nous coucher. Moi j’ai refusé de me coucher et je me suis dirigé vers un des gendarmes qui semblait être leur chef, je lui ai parlé en français que nous étions là pour la prière et que nous n’avons rien à voir avec cette histoire d’enfants. Je lui ai dit de ne pas s’en prendre à ces vieux. Ce sont des fidèles. Je leur ai donc montré là où se trouvaient les enfants. Ils sont repartis en s’excusant auprès de nous pour s’être trompés de cibles. En pareilles situations ont-ils dit, on ne sait pas qui est qui ». Aujourd’hui, à Sérékéni, tous les fidèles musulmans remercient Yacouba Gnanou de les avoir sauvés. Mais pour l’homme, c’est Dieu qui est fort. Malgré tout ce qui se dit autour de cette histoire, le haut-commissaire de la province du Kénédougou a, au cours de notre entretien, invité les uns et les autres à la retenue, à l’apaisement et au calme.

Apollinaire KAM
AIB/Orodara
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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