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Ouaga à l’heure du couvre-feu : «Mam Yaa Gagdien !»
Publié le vendredi 14 novembre 2014  |  L`Observateur Paalga
Couvre-feu
© aOuaga.com par G.S
Couvre-feu : une dizaine d`interpellations dans la nuit du 7 au 8 novembre
Samedi 8 novembre 2014. Ouagadougou. Etat-major général de la Gendarmerie nationale. La coordination du commandement opérationnel a animé une conférence de presse pour faire le bilan du couvre-feu instauré le 31 octobre dernier et qui a été marqué dans la nuit du 7 au novembre par l`interpellation de 14 personnes




Le moins que l’on puisse dire est que plusieurs sources ont fait état de châtiments corporels lors des sorties de contrôle du respect du couvre-feu. Vrai ou faux ? Pour en avoir le cœur net, L’Observateur Paalga a approché le service de communication de la gendarmerie nationale afin de pouvoir permettre à une de ses équipes de reportage de suivre une patrouille pour faire un constat de visu. Coïncidence, plusieurs organes de la place ont eu la même idée. Conséquence, c’est une sortie avec tout un «régiment» de la presse qui a été organisée dans la nuit du mercredi 12 au jeudi 13 novembre 2014 à Ouagadougou. Ambiance à l’heure du couvre-feu.

«Mais ton titre est tout trouvé : Couvre-feu à Ouaga : Une nuit avec la Gendarmerie ! Ou si tu préfères Une nuit en compagnie de la Gendarmerie ! Ton papier est déjà bouclé !».

Ainsi donc avant même de franchir le portail du Camp Paspanga ce mercredi 12 novembre aux environs de 22h, notre photographe Frédéric Yaméogo avait déjà sa petite idée sur la tournée que nous devions débuter avec la gendarmerie dans la ville de Ouagadougou pour suivre les opérations de contrôle du respect du couvre-feu instauré de 00h à 5h.

«En attendant, si tu ne montres pas patte blanche, ça va être tout simplement Une nuit à la Gendarmerie !» lui répondons-nous.

Eclats de rires pendant que nous nous identifions auprès de l’agent de faction au poste de contrôle à qui nous situons l’objet de notre visite.

«On vous attend au niveau du plateau», dit-il.

Sur le terrain de sport au milieu, un véritable «bataillon» d’une trentaine de journalistes attend effectivement. Le temps des salamalecs entre confrères et d’un briefing avec le Monsieur communication de l’état-major de la Gendarmerie, le capitaine Hervé Yé, et voilà que sonne le rassemblement. Il est 23h.

Face au demi-cercle formé par les éléments des Forces de défense et de sécurité mais aussi… de la presse, le chef des opérations, le Lieutenant Landry N’Do, donne les instructions aux chefs de troupe: «La mission est de sécuriser la ville et ses environs, veiller à l’application des mesures du couvre-feu, et porter secours d’aide et d’assistance à tous ceux qui en ont besoin. On note une présence des médias. La météo est favorable même s’il fait un peu frais. N’oubliez pas de rester fermes et courtois !»

«Bien reçu !»

Pendant que les chefs de troupe s’en retournent pour briefer leurs équipes, le chef des opérations explique le déploiement des différentes équipes dans la ville. On apprend ainsi que la police nationale quadrille la zone sud de la capitale, les militaires et gendarmes la zone nord, et le régiment de sécurité présidentielle celle de Ouaga 2000 et environnants. A cela s’ajoutent des éléments de la Gendarmerie départementale et une réserve de renfort postée au Camp Guillaume. Est-ce vrai que certains citoyens ont été bastonnés ? «C’est vrai que c’est une question qui revient chaque fois. Et une réponse a été apportée lors de notre point de situation. Nous, à notre niveau, il ne nous est jamais arrivé de cravacher quelqu’un ! Si quelqu’un a été cravaché, qu’il vienne déposer plainte», assure le lieutenant N’Do selon lequel on enregistre en moyenne une ou deux personnes arrêtées par jour.

23h30. Embarquement. La presse dans deux mini-cars ou pour quelques chanceux à l’arrière des pick-up. Direction la sortie ouest de Ouaga. Le mini-cortège de véhicules, feux de détresse en marche, semble visiblement paniquer quelques usagers de la route qui accélèrent leur allure craignant sans doute que minuit ne les trouve dehors. La peur donne des ailes, dit-on.

«Ahi ! Même les gendarmes couchés ne les ralentissent pas !», remarque un confrère de la presse en ligne, à bord du premier mini-car.
«Les quoi couchés ?», lui demande un autre.
«Les ralentisseurs couchés», se reprend le premier s’apercevant du piège qu’on lui tendait.
Même le chauffeur, un gendarme, ne peut réprimer un rire.

23h55. Halte devant la mairie de Boulmiougou. La patrouille en charge de la zone est en position et n’attend plus que 00h pour débuter le contrôle. Dans les rangs de la presse, on est quelque peu pressés de les voir à l’œuvre.

Minuit (enfin !). Des journalistes font même office d’ «indics» pour signaler tout mouvement de citoyens.

00h09. «Y a une proie !», entend-on pendant que des pandores arraisonnent un couple à moto. «On rentre chez nous», se défendent-ils. On le laisse passer non sans l’avoir sensibilisé sur le respect strict du couvre-feu pour leur propre bien.

00h15. Deux jeunes hommes à moto qui, apercevant de loin l’attroupement, tentent de rebrousser chemin ; ils sont rattrapés par un «binôme à moto» de la gendarmerie au niveau du mur du siège de l’ONEA et ramenés.

«C’est notre patron qui nous a bloqués jusqu’à cette heure-là», arguent-ils.

Problème, ils n’ont pas la pièce de la moto sur eux.

L’un d’eux lance un appel.

«Allo Papa ! Prends ta CNIB-là wo, et puis la pièce de ma moto la wo, et tu viens devant la mairie de Boulmiougou-là, les rafles m’ont attrapé !»
«Tu vas faire sortir ton papa à cette heure-là ? S’il vient même, il sera aussi en infraction donc on sera obligé de l’arrêter !»
«Mbon ! Papa c’est bon ! Ils disent que si tu viens, ils vont t’attraper aussi. On va se débrouiller. Dors tranquille. A demain.»
Pendant que l’on gare leur moto, de l’autre côté de la voie, un cycliste, dont la monture est sans phare, se fond dans la pénombre.

- «Héi, Waka (viens ici en mooré) !», lui lance un pandore.

- «Mam yaa gagdien (je suis gardien)!»

Débraillé, une machette accrochée à son vélo, il avance, la peur au ventre, pour le contrôle.

Pas de pièce d’identité. Ne sait-il pas qu’il y a couvre-feu ?

«Wallahi ! J’en ai entendu parler mais je ne connais pas l’heure», jure ce dernier qui prétend se prénommer «Djibi». Incroyable !

Une autre «proie» arrive. Une dame cette fois-ci, la moto chargée de marchandises.

«Je viens d’arriver de Bobo avec le dernier car ! Je ne savais pas que le couvre-feu continuait. Je suis une maîtresse d’internat et je fais un peu de commerce à côté. Je suis allée acheter des pagnes et du Basin à Bobo sans que mes patrons ne soient au courant, c’est pour ça que je rentre nuitamment.»
Elle est en règle, excepté la pièce de la moto qui fait défaut mais ses papiers corroborent quelque peu sa version. La patrouille décide de la «relâcher» après une séance de sensibilisation.

«Merci beaucoup ! Que le Seigneur vous bénisse et vous exauce !»
«Notre prière est que vous rentrez chez vous saine et sauve !»
Décidément la prise est bonne alors qu’il n’est que 00h30. Un autre couple « brûleur de couvre-feu » vient s’ajouter au «tableau de chasse» des pandores.

«Elle vient de fermer le maquis et je la dépose chez elle», explique l’homme tentant d’éviter les flashs et projecteurs. Ce qui n’est pas visiblement le cas de sa compagne.

«Ya fohi ! On est ensemble !», lance-t-elle, pas du tout intimidée, en envoyant un bisou à un confrère aussitôt qu’on les a libérés après les habituelles vérifications d’identité suivies de conseils.

«Tu es un de ses clients qu’elle a reconnu», lance-t-on au destinataire de son bisou.

Arrive presqu’au même moment un camion-citerne.

«Halte ! Débarquez ! Déclinez votre identité ! Où est-ce que vous partez ?»
«Je m’appelle Mory Dembelé. Je me rends au port sec à la sortie de la ville.»
«Vous ne savez pas qu’il y a couvre-feu ?»
«Si, j’ai demandé au niveau du péage, on m’a dit que je peux y aller, c’est pour ça que j’ai pris la route»
Ses papiers sont en règle.

«Pour votre propre sécurité, on va vous conduire à la brigade mobile de Boulmiougou qui est à côté où vous allez passer la nuit et le matin vous pourrez continuer votre chemin.»
Le camionneur qui disait pourtant avoir un rendez-vous le lendemain matin fait demi-tour escorté par un «binôme moto».

00h40. Séance de sensibilisation pour tous les contrevenants encore retenus avant de les laisser partir non sans un «Pour cette fois-ci, ça passe mais n’oubliez pas qu’il y a couvre-feu et que c’est pour votre propre sécurité».

«Ils ont eu la chance qu’on est là» se soufflent deux journalistes en riant.

A bord, tout le monde ! Nous faisons partie cette fois-ci des chanceux qui trouvent une place derrière un pick-up.

«C’est ça on appelle patrouiller ! Sinon tu peux pas aller dire à ta Rédaction que tu as passé la nuit dans un car climatisé», fait remarquer quelqu’un.
«Pour ceux qui sont dans les cars, c’est plutôt une sortie d’études», lui répond un gendarme.
Eclats de rires que l’on interrompt pour s’agripper car le véhicule démarre en trombe.

«Eh chauffeur ! Ce sont des nouveaux patrouilleurs qui sont ici dèh !»
Cap sur la ZAD. Non sans des haltes pour saluer d’autres patrouilles ou pour interpeller des usagers de la route comme cette dame circulant à 1h du matin sur le Boulevard France-Afrique. «Je vais à Saponé pour voir mon enfant malade». Même rituel qu’avec les autres avant de la laisser filer. Nous retrouvons une équipe de la Police nationale au niveau de l’agence SONABEL de la ZAD. Ils ont déjà fait deux prises. Une jeune fille qui aurait été larguée par son copain selon ses propres dires et un gardien dont on n’a pas pu localiser le «domicile de fonction».

Devant la meute de chasseurs d’images, la demoiselle fond en larmes tentant de dissimuler son visage aux objectifs. Les commentaires fusent. Pendant que les femmes de média s’apitoient sur le sort de leur sœur, les hommes eux s’en moquent presque :

«Elle est jolie dèh ! C’est quel con qui a osé l’abandonner ?»
«Imagine si c’est une femme mariée qui voulait frauder, demain son mari va la voir paraître au journal de 20h !»
«Pire, et si c’est la femme d’un gendarme en mission au Darfour ?»
02h20. Il est temps d’avancer. L’on remarque alors un véhicule «civil» stationné tout au bout de la file du cortège. «Je reviens de chez un ami qui a perdu son papa», explique le conducteur. Il est escorté et remis entre les mains de la BAC au niveau du SIAO.
02h30.Un motocycliste s’avance. Il brandit un papier. «Ma maman est hospitalisée au CMA du secteur 30. On a prescrit des médicaments. J’ai dit que y a couvre-feu mais on m’a dit que si je vous montrais l’ordonnance, y aurait pas de problème ! Je me rends à la pharmacie Yennenga (NDLR : en face du SIAO)», lance-t-il tout de go en langue mooré quelque peu apeuré. Après vérification de son identité et de l’authenticité de l’ordonnance, le lieutenant N’Do le rassure : «Ok, vous pouvez y aller. Si vous ne trouvez pas ce que vous cherchez, vous revenez, nous allons vous délivrer un laissez-passer pour que vous puissiez aller dans d’autres pharmacies.»
«Ok, c’est bien, merci beaucoup !», répond l’usager dont le visage affiche pourtant un sourire hagard.

«Tu es sûr d’avoir compris ce qu’on t’a expliqué ?», lui demande un militaire en mooré.

- «Euh non, non !», avoue-t-il.

- «Mais pourquoi tu ne le dis pas ?»

- «Ah comme c’est le chef qui a parlé wo !»

Tout le monde s’esclaffe pendant qu’on lui fait une traduction. Son visage s’illumine.

- «Ah Ya Soma ! Barka ! (C’est bien ! Merci !)», s’exclame-t-il en poussant sa moto pour partir.

- «Mais vous pouvez monter sur votre moto !», lui signale-t-on.

- «Lui-là c’est un vrai mossi !», se moque un gendarme, «parent à plaisanterie» des Mossé.

01h43. Au niveau du mur du musée national, le cortège croise un motocycliste qui, écouteurs dans les oreilles, roule tranquillement. Demi-tour et on l’arraisonne.

«Vous savez que y a couvre-feu ?»
«Oui !»
«Et qu’est-ce que vous faites dehors à cette heure?»
«Je viens de descendre du boulot et je rentre.»
«Et quel boulot vous faites pour descendre à cette heure ?»
«Je suis journaliste à Radio Liberté ! Et j’ai un laissez-passer !»
Clameur dans le groupe : «Ah c’est un des nôtres ! Il est en règle !»

02h02.Nous sommes à l’échangeur de l’Est. Là des militaires et des gendarmes assurent l’opération. Tout le monde à terre. «On va marcher un peu.» 2 km à pied à l’intérieur de Wayalghin. Un silence sépulcral y règne à pareille heure. Il est brisé de temps à autre par les aboiements de quelques chiens au passage des patrouilleurs.

02h35. Retour au «checkpoint» de l’échangeur pour boire un petit café. Revigorée, la troupe de représentants de la presse ne veut pas rentrer de sitôt. La colonne passe par l’aéroport et l’avenue Kwamé N’Krumah. Excepté quelques fous errants, c’est le désert total : «Tiens la brigade mobile (surnom donné aux travailleuses du sexe juchées sur leur moto) a laissé la place à la vraie brigade !»

02h50. On traverse le quartier Dapoya en direction du barrage n°2. Des vieilles de la brigade verte balaient déjà la rue.

«Maman ! Il y a couvre-feu alors c’est mieux que vous attendiez 5h avant de sortir !» .

«Ok, on a compris ! Merci. On va rester.»

«Comme ça vos maris aussi pourront en profiter !», taquine un autre.

«Mais y a pas de mari !»

«Tu as vu la vielle dragueuse-là ? Elle veut faire ouverture !», commente-t-il. On se marre dans le pick-up pendant que l’on traverse maintenant Tanghin.

03h10. Nous rejoignons une équipe de la maréchaussée au niveau du cimetière de Toudoubwéogo. Un petit briefing et la patrouille prend congé pour «remuer» dans Tanghin.

03h30. Retour au point de départ. Bilan positif pour le lieutenant N’Do car les artères étaient vides, preuve que la population a respecté le couvre-feu. Occasion pour lui également d’expliquer le sens de la mesure : «Pendant le couvre-feu, Le citoyen peut sortir normalement s’il a un motif valable, problème de santé ou raison sociale, mais il doit sortir avec ses papiers en bonne et due forme.» Le rafraîchissement et le casse-croûte offerts sont honorés à la hauteur de la fatigue et de la faim des «bleus».

Alors qu’il ne reste plus qu’une heure pour le couvre-feu, chaque journaliste veille à se faire établir un laissez-passer en son nom avant de quitter le Camp. Qui est fou ? Faire reportage sur couvre-feu pour ensuite tomber dedans !

Hyacinthe Sanou
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L`Observateur Paalga N° 8221 du 27/9/2012

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