Psychologue de formation, Katinka Itzandt, en visite de courtoisie au pays des Hommes intègres, a bien voulu nous accorder une interview le 2 novembre 2012 dans les locaux de la radio nationale à Ouagadougou. Notre entretien a porté sur les droits des femmes et le planning familial. De nationalité belge, la psychologue a peint la situation de son pays tout en faisant une comparaison avec celle du Burkina Faso. Elle a aussi interpelé toutes les femmes victimes de violences de « se battre et de rompre le silence pour le respect de leurs droits ».
« Le Pays » : Nous allons vous demander de vous présenter à nos lecteurs. Je suis Katinka Intzandt, psychologue dans un centre de santé en Belgique et membre de la commission femme et développement au sein des Nations unies. Le problème concernant les violations des droits des femmes, c’est qu’on ne peut pas les traiter dans un cabinet de médecin ou dans celui d’un psychologue. C’est beaucoup plus vaste. Et donc, en Belgique, nous nous sommes constituées en organisations de femmes pour faire du plaidoyer auprès des autorités publiques de ce pays mais aussi auprès de l’Union européenne et même de l’ONU. Je fais aussi partie de la commission femme et développement qui est un organe placé sous la tutelle du département du ministre de la Collaboration en Belgique. Et en la matière, nous suivons tous les grands traités internationaux qui ont quelque chose à voir avec les droits de la femme, et sa santé. Nous écrivons aussi des documents et nous faisons du lobbying auprès de l’Union européenne et des Nations unies et bien sûr au plan national parce qu’à ce niveau, il y a également beaucoup à faire.
Dans quel cadre entre votre visite au Burkina Faso ?
C’est ma toute première visite au Burkina Faso, mais j’avoue que c’est pour des raisons privées si je peux le dire ainsi. En fait, dans mon centre de planning familial, j’ai une collègue burkinabè avec qui on collabore depuis 12 ans et je suis venue pour les funérailles de sa mère. Donc, c’est un tout petit séjour mais j’en profite un peu pour m’exprimer sur ce qui touche aux droits des femmes dans le monde.
Mais nous constatons que vous avez opté d’attaquer le mal par le planning familial à travers votre centre. Dites-nous en quoi ce planning familial peut jouer comme rôle dans la promotion des droits des femmes ?
Dans ce centre de planning familial, on s’occupe de la santé sexuelle et reproductive et tout ce qui est en rapport avec elle. Donc, c’est la question de la bonne relation avec son partenaire sexuel, du respect de l’un et de l’autre, du pouvoir de négocier. Bref, d’être égalitaire dans le couple. Et s’il y a un domaine dans la vie où se joue la domination, c’est bien dans le domaine de la sexualité. Donc, il s’agit pour nous d’accompagner les femmes par rapport à la contraception, à la sensibilisation au VIH/Sida, le suivi des grossesses et surtout celles non planifiées. Il faut noter aussi que dans notre centre, nous faisons de temps en temps des avortements. On sensibilise, on travaille avec les femmes autour des problématiques concernant leurs droits. Chez nous, on dit de ne pas parler des droits de la femme mais plutôt de droits des femmes. Il y a des femmes avec des réalités, des contextes et des cultures différents qu’il faut prendre en compte. En effet, dans ce domaine de la sexualité où il y a beaucoup de domination, on ne peut pas beaucoup parler des droits des femmes. Ces droits spécifiques que sont les droits sexuels et reproductifs sont des droits humains appliqués à la sexualité et à la reproduction. « La problématique des droits des femmes est un travail de longue haleine »
Pouvez-vous partager l’expérience de la Belgique avec les femmes burkinabè malgré la différence contextuelle ? Chez nous, par exemple, on parle jusqu’à nos jours de fistules obstétricales, d’excision, de mariages forcés et d’autres pratiques traditionnelles qui handicapent l’épanouissement de la sexualité de la femme. Comment vous avez dépassé tout cela chez vous ?
Comme chez nous, ce sera un travail de longue haleine chez vous. Et ce n’est pas facile. Il y a beaucoup de tabous autour de ce type de problèmes. Les mutilations génitales féminines, par exemple, sont des pratiques que nous ne connaissons pas en Belgique mais avec la migration, elles sont devenues un problème chez nous aussi. Nous avons plus ou moins 25 000 femmes et filles des différents pays de l’Afrique où on pratique l’excision. Et dans mon centre qui se trouve dans le quartier africain de Bruxelles, tout à coup, on a été confronté à ces pratiques. J’avoue qu’au début, on ne savait pas quoi faire. Et ce sont les femmes sénégalaises qui sont venues chez nous et qui ont parlé avec notre équipe et qui nous ont sensibilisées par rapport à ce phénomène.
Et depuis lors, nous sensibilisons aussi à notre tour. Ainsi, si une femme arrive chez nous pour quelque mal que ce soit (mal de tête, de pied, rhume, etc. parce que nous avons aussi un centre médical) et qu’on sait qu’elle vient d’une certaine région, après qu’une relation de confiance se soit installée, nous osons par la suite aborder le sujet de l’excision, par exemple. Mais, nous avons aussi nos réalités. Par exemple, un couple belge ne vient pas par exemple dire : « J’ai le VIH/Sida ». Il nous a fallu trouver des moyens d’aborder le sujet. Donc, il s’agit ici d’un type de prévention. Et ce que nous faisons aussi et je l’ai constaté également au Burkina Faso au SIAO, il y a des grandes campagnes pour le public non ciblé par rapport au VIH/SIDA.
Je trouve ça très bien. J’ai vu aussi des théâtres actions, toujours au SIAO par rapport au mariage, etc. Et ce sont là des moyens que nous utilisons pour sensibiliser des femmes, des jeunes, des couples pour parler de ce qui leur touche et de ce qui pose problème. Les fistules sont, en fait, un problème que nous connaissons moins. Par exemple, ce qui existe chez nous, disons dans les campagnes pour l’instant, ce sont les violences psychologiques. Que la femme soit tout le temps insultée, dénigrée, qu’elle perde confiance en elle. Donc, nous faisons des campagnes de sensibilisation par rapport à cela.
« Un homme de qualité n’a pas peur de l’égalité »
Pour les violences psychologiques, quelles actions menez-vous, en tant que psychologue, pour rétablir la femme dans ses droits ?
D’abord, nous cherchons à bien comprendre le problème. Ensuite, nous essayons de voir si le problème se situe au niveau de son partenaire, par exemple son mari, et s’il n’y a pas de possibilité de travailler avec le couple. Ainsi, j’invite le mari aussi pour échanger mais dans le respect et la confiance. Ce n’est pas quelque chose qu’on aborde la première fois mais, c’est un travail où il faut créer un lien. Si après cette médiation, on voit qu’il n’y a pas d’amélioration, il y a la loi. Parce que la loi condamne aussi les violences psychologiques. A ce niveau, il faut que la femme porte plainte à un moment donné mais on essaie, de toute évidence, d’éviter cela car on exploite toujours tous les moyens de conciliation. Mais, si ce n’est pas possible, il faut des mesures fortes.
Au Burkina Faso, par exemple, avec le poids social, une femme n’ose pas porter plainte contre son mari comme en Belgique ou même d’aller rencontrer un psychologue pour lui exposer son problème. Tout cela, de peur d’être indexée dans la rue. Quel message avez-vous donc à donner à toutes ces femmes burkinabè victimes de violences psychologiques ?
Mon message est tout à fait simple : c’est de rompre le silence. Les femmes entre elles en parlent et je crois qu’il y a de la solidarité entre les femmes ici. Mais, si la solidarité sert à continuer à supporter une violence, ce n’est pas bien. Par contre, si la solidarité aide à changer quelque chose de façon positive, je pense que c’est bien. Encore une fois, je pense que si au niveau collectif et au niveau national, il y a des campagnes de sensibilisation qui disent que ce n’est pas normal de se laisser dénigrer, insulter, peut-être que là, une femme osera en parler. Je reviens sur les actions de sensibilisation au SIAO : je voyais que le public reconnaissait que le jeu des acteurs reflétait la réalité par rapport à la dot, à l’excision, au mariage. Je pense que ça devient plus visible et ainsi, on arrive à rompre tout doucement un tabou. Ce n’est peut-être pas pour la génération d’aujourd’hui. Mais, on sème déjà des graines pour la génération de demain.
L’éducation des filles est également un point préoccupant au Burkina Faso. Qu’est-ce qu’on peut faire pour booster ce secteur ?
Je crois qu’il y a des législations ici qui disent que les filles doivent aller à l’école au même titre que les garçons, que la scolarisation est obligatoire. Je crois que c’est très important et c’est une tâche pour les autorités de veiller à l’application de cette loi. Mais, c’est aussi un travail de longue haleine et le ministre de la Promotion de la femme doit jouer un rôle important. C’est de la sorte que, peu à peu, les gens vont s’habituer à inscrire leurs filles et aucune fille ne sera sans instruction. C’est, en outre, un travail de plusieurs niveaux : individuel, collectif et national. Et je constate qu’il y a beaucoup de belles initiatives dans ce sens et je vous souhaite bon courage et bon vent.
Comme dernier mot, qu’avez-vous à dire à toutes les femmes du Burkina Faso ?
Mon message à l’endroit des femmes burkinabè c’est : rompez le silence et continuez à vous battre pour le respect de vos droits ! Moi, je trouve que les femmes du Burkina Faso sont des femmes très généreuses, très créatives et je crois qu’elles ont beaucoup de potentiels pour aller de l’avant. Et je crois qu’à partir du moment où elles osent rompre le silence, il y a beaucoup de choses qui vont changer mais pas de façon isolée. Les hommes et les garçons doivent être associés à la lutte. Nous avons une campagne qui dit qu’un homme de qualité n’a pas peur de l’égalité. Et je pense que c’est vrai.