Hier 11 décembre 2012, Blaise Compaoré, le médiateur dans la crise malienne, devait avoir les pieds à Koudougou, mais sans doute la tête à Bamako. Alors qu'il s'apprêtait à commémorer le 52e anniversaire de l'indépendance avec les Koudougoulais, soudain, la nouvelle tombe drue tard dans la nuit : le Premier ministre, Cheick Modibo Diarra, a rendu le tablier. Ou plutôt, il a été contraint de quitter la primature.
En effet, tout est allé très vite dans ce débarquement manu militari de l'ex-Monsieur Microsoft Afrique, acté en 3 phases :
- Acte 1 : en cette soirée du 10 décembre 2012, Cheick Modibo Diarra avait fait enregistrer ses bagages sur le vol régulier Air France pour Paris, où il devait, selon certains, subir un cheick-up ;
- Acte 2 : Aux environs de 22 heures, des militaires sont allés faire débarquer les bagages du PM. Ce dernier qui était à son domicile, ayant appris la nouvelle, ne s'est donc pas rendu à l'aéroport international Bamako Séno ;
- Acte 3 : des militaires arrivent au domicile du désormais ex-PM, le forcent à les suivre au camp militaire de Kati, situé à une quinzaine de km de Bamako. Dans ce casernement, il est, selon certaines indiscrétions, vertement tancé par le maître des lieux, le capitaine Amadou Sanogo. D'ailleurs, on ne pouvait pas imaginer qu'un tel déplacement était pour prendre l'apéritif !
- Acte 4 : Sous bonne escorte, il est conduit à l'ORTM, où il lit sa lettre de démission forcée, dont on imagine que les linéaments ont été tracés par les mêmes militaires. D'ailleurs, selon certains, il aurait laché cette boutade avant sa lecture :"Je rends ma démission à qui ?" Traduction : qui est le véritable président du Mali ? Sur place, une cassette contenant un discours du débarqué relatif aux concertations nationales (qui débutaient en principe hier) et dont la diffusion était prévue pour ce 11 décembre a été retirée du circuit.
Bref, en pratiquement 1 heure de temps, le sort du chef du gouvernement était scellé.
A la vérité, Cheick Modibo était permanemment sur le départ à l'image de la quasi-totalité des Premiers ministres africains, qui sont sur des chaises éjectables, nommés qu'ils sont par leurs patrons de présidents tout-puissants et apprenant souvent leur disgrâce en même temps que l'homme de la rue. Le Malien, lui, avait en outre une faiblesse insigne : il défiait ceux qui l'ont fait PM et, pire, il s'était fixé comme objectif la présidence, ce qui avait l'heur de déplaire à Kati, dont l'un des représentants au gouvernement, le colonel Sinko Coulibaly, ministre de l'Intérieur, l'avait clairement signifié à l'intéressé lors d'un Conseil des ministres.
Déjà il y a deux semaines de cela, le PM s'était rendu, au Quai d'Orsay en France, seul en snobant le ministre des Affaires étrangères, Tiéman Coulibaly, jugé proche du président intérimaire, Dioncounda Traoré ; une semaine après, de la première table ronde regroupant le MNLA, Ansar Dine et le pouvoir malien autour du n°1 burkinabè il s'était désolidarisé par la voix de son directeur de cabinet. Si on ajoute à tout cela le fait qu'avec Blaise, les atomes n'étaient plus crochus, Cheick Modibo était à l'évidence à l'étroit dans ses habits de PM. Une telle pléthore de pataquès se paie cash en politique.
Ce départ forcé du PM complique en tout cas la tâche et du médiateur et de la Communauté internationale. C'est un nouvel épisode ou plutôt un nouvel accès du prurit malien, qui met à nu la mainmise totale des ex-putschistes sur la vie politique malienne.
Tout se ramène au capitaine Haya Amadou Sanogo. Celui qui affirme urbi et orbi, au sujet de son action du 22 mars 2011, que "si c'était à refaire, je le referais" est en vérité le maître du trépied bancale de l'Exécutif malien, et derechef du Mali, ou plutôt de Bamako. Et pas plus tard que dans la nuit du 10 au 11 décembre 2012, il l'a fait savoir aux dépens de Cheick Modibo Diarra.
Le président du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité a-t-il voulu par ce geste écarter un potentiel rival ? Car pour beaucoup, le patron de l'ex-junte nourrirait toujours une ambition présidentielle et voudrait se la jouer à la Elly Ould Vall de Mauritanie. C'est-à-dire, être un recours indispensable pour revenir balayer la maison "MALI" et retourner dans les casernes. En somme, il rêverait d'une légitimation du 22 mars 2011 et de rejoindre la short list des militaires-démocrates, tels qu'ATT, Salou Djibo... D'ailleurs, il n'a cessé de le dire : "Si le peuple malien me confiait une autre mission demain, je serai prêt et fier de l'assumer".
Ce n'est pas un message subliminal ! Tant qu'il y est il n'a qu'a reprendre sa chose, qu'il n'a pas totalement lâchée.
Mais pour d'autres, Sanogo a bel et bien l'intention de se retirer et la patate chaude du coup d'Etat lui brûlerait les doigts. Or, son homme lige ou supposé tel, Modibo Diarra, devenu incontrôlable et obnubilé par le palais de Koulouba, à quoi manifestement il pense en se rasant le matin, n'en faisait plus qu'à sa tête. Sanogo a préféré y mettre un terme et se réconcilier avec le président intérimaire, Dioncounda Traoré.
Dans tous les cas, le nœud gordien Sanogo reste entier.
Résumons donc :
- une intervention militaire qui s'éloigne comme une ligne d'horizon au fur et à mesure qu'on s'en approche ;
- des négociations qui sont loin d'aboutir ;
- enfin une transition malienne littéralement plombée par ce dernier événement.
C'est malheureux, mais on a pitié du Mali, dont les dirigeants semblent avoir perdu la réalité des choses : ainsi, la libération du Nord semble n'être plus qu'un vague souci pour eux, occupés qu'ils sont à se glisser des peaux de banane sur les bords du Djoliba.
L'embrouillamini n'en finit pas de faire perdre la perspicacité aux analystes politiques et aux stratèges de tout poil, de ragaillardir les djiadistes du Sahel, et in fine de plonger les populations dans la résignation complète.
Déjà on plaint Django Cissoko, l'actuel médiateur de la République, dont le nom est susurré pour remplacer le démissionnaire.