Société
Corridor Ouagadougou-Lomé: le tourment des conducteurs
Publié le lundi 20 octobre 2014 | Sidwaya
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Le racket des forces de sécurité sur le corridor Ouagadougou-Lomé est une réalité. 500FCFA, 1000FCFA, 10 000FCFA, des paquets de cannettes de boisson, des vivres, du matériel électronique, etc. Voilà entre autres le droit de passage à verser aux douaniers, policiers et gendarmes burkinabè et togolais envoyés sur le corridor pour faciliter la libre circulation des personnes et des biens si chère aux Etats de l’Afrique de l’Ouest. Pour être au cœur du phénomène, il faut se faire passer pour un apprenti-chauffeur et utiliser des pseudonymes pour protéger certaines sources. Et c’est ce que nous avons fait en empruntant ledit axe entre le 3 et 16 mai 2014.
Transporter des marchandises entre deux Etats, voire plusieurs, dans l’espace ouest-africain, est un parcours du combattant. Les tracasseries sur la route semblent être un mode de vie entre forces de sécurité et conducteurs. Pourtant, les organisations sous-régionales, à l’image de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont adopté des textes y relatifs. Il y a le Protocole additionnel A/SP2/5/90 relatif à l’exécution de la troisième étape (droit d’établissement), du protocole sur la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement dans l’espace CEDEAO et le traité de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et les différentes directives y relatives.Ces dispositions ont été mises en place pour faciliter la libre circulation des personnes et des biens.
Samedi 3 mai 2014, au coucher du soleil. Nous démarrons de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso à bord d’un camion-citerne vide. B.I est au volant. Direction : le port autonome de Lomé au Togo pour charger des hydrocarbures.
23h. Premier contrôle par l’Office national de sécurité routière (ONASER) à l’entrée de Bittou à 210 km. Le conducteur nous apprend que voyager la nuit permet d’éviter les contrôles intempestifs des forces de sécurité (douane, gendarmerie et police). «C’est parce que la citerne est vide que les policiers, les gendarmes, surtout les douaniers ne nous arrêtent pas», précise-t-il. En effet, sur le tronçon, nombreux sont des cars transportant des passagers et des camions chargés de marchandises(ferrailles, sacs d’oignon ou de vivres, balles de coton...) stationnés aux postes de police, surtout aux points de la brigade mobile des douanes.
1000F FCA pour passer
Le premier contrôle, où il faut délier la bourse a lieu dans une brigade de gendarmerie. Celle située à la sortie de Bittou. Aux premières lueurs du soleil de ce 4 mai, un pandore est au box. Il reçoit tour à tour les apprentis-chauffeurs, qui lui remettent chacun ses documents afférent au véhicule.Nous faisons la queue parmi tant d’autres. Nous avons suivi un cours accéléré de B.I sur la conduite à tenir face aux forces de sécurité. Un billet de 1000 FCFA froissé, soigneusement placé entre les documents, nous attendons notre tour. Mes «collègues» ont-ils fait de même ? L’agent en uniforme retire les documents et passe à la «vérification». Il jette un coup d’œil furtif sur les documents du véhicule et d’un geste leste, soutire le billet et nous rend les documents. Le geste est adroit et bien exécuté. Nous restons pantois ! Déjà, un autre apprenti nous talonne. Nous ne réclamons aucun reçu de paiement ou pièce équivalente. Aucun dispositif ne montre que l’on délivre des reçus (carnet de reçus ou quittancier…)
De Bittou, s’ébranle le cortège composé principalement de camions-citernes et de véhicules pleins de ferraille vers Cinkansé, la ville frontalière entre le Togo et le Burkina Faso. Au poste de police à l’entrée de Cinkansé, se dresse une barrière. Il faut montrer patte blanche pour passer. B.I nous informe qu’à ce poste, le droit de poursuivre le voyage de tous les chauffeurs de camion-citerne est conditionné par le versement de 500FCFA. Il ne peut déroger à la règle. Sinon, les mesures de rétorsion de la police peuvent s’avérer dissuasives.
Seul, nous pénétrons dans la maisonnette qui fait office de poste de police. Là, les choses sont allées vite. De la main droite, l’agent commis à la tâche prend les documents et tend sa gauche avec un regard fixe qui ne fait l'ombre d'aucun doute qu'il réclame son dû. Le message passe immédiatement. Sans hésiter, nous lui remettons le billet de 500FCFA, initialement préparé. Il l’ajoute tranquillement à deux autres pièces de 500FCFA déposées sur la table, au vu et au su de tous. Dehors, un groupe de cinq policiers échangent tranquillement sous un hangar. Ignorent-ils ce qui se dit et se fait à l’intérieur du bâtiment ? Nous n’avons pas eu le courage de leur poser la question. Mais, nous avons supposé que c’est une pratique instituée et acceptée de tous.
Nous voilà ensuite au poste de contrôle juxtaposé de Cinkansé. Les agents de la sécurité togolaise passent à l’acte. Deux policiers réclament, sans sourciller, un billet de 1000FCFA. Nous leur tendons un billet de cinq mille FCFA. La réaction a été immédiate. «Nous n’avons pas encore assez d’argent pour vous faire la monnaie, car c’est le matin», signale l’un d’eux. Nous fouillons dans toutes nos poches à la recherche d’un billet de 1000FCFA. Ce que nous trouvons et le leur remettons. Cette formalité exécutée, la route est ouverte. Mais pas pour longtemps, car le camion est stoppé par un homme en tenue, arme à la main, stationné au bas-côté de la route sur le territoire togolais. Trois autres sont assis sur un banc devant un abri en tôles ondulées. Pas de contrôle de documents. Ils réclament, juste, leur part du «gâteau». Sans poser de question, un billet de 500FCFA lui est tendu. Il le retire en souriant et nous souhaite bon voyage.
Le voyage se fait sans autres soucis et nous arrivons au poste de dépôt des hydrocarbures de Lomé dans la soirée du 4 mai 2014. Retour, le 9 mai. Cette fois-ci, nous changeons de véhicule et de conducteur. Le camion emprunté est maintenant chargé. Nous décidons de continuer de jouer au jeu de l’apprenti-chauffeur, même si le conducteur ignore ce que nous voulons réellement faire en jouant ce rôle. A Tsévié, à la sortie de Lomé, un billet de 500FCFA reste dans l’escarcelle de la douane. Au poste de contrôle douanier de Sokodé, les agents de nuit sont gratifiés d’un billet de 1000FCFA. «Ils ne m’ont rien réclamé, c’est juste une façon pour moi de les soutenir du moment qu’ils veillent sur notre sécurité sur les routes», confie le conducteur. Le camion transportant un conteneur roule sans faux frais jusqu’en territoire burkinabè.
Pratique de douaniers burkinabè
Sur le corridor burkinabè,à Bittou, il faut régler les frais légaux. Le conducteur après avoir rempli cette formalité s'en sort sans donner aucun sou. Entrent en scène les bavardages et les interminables «négociations». A chaque arrêt de contrôle, le chauffeur sort sa litanie de «patron, maan ni sougri», «patron, pardon», et d’autres expressions pour implorer leur indulgence.
Il faut également s'armer de patience, car «les négociations» peuvent durer des minutes. Notre chauffeur n’est pas le seul à être confronté aux tracasseries et aux arrêts multiples. Que le transporteur soit Burkinabè ou d’autre nationalité, il subit le même sort.
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C’est le cas de Salam, un conducteur nigérien. Il transporte des cannettes de boissons gazeuses et alcoolisées. A l’entrée de Koupèla, le 15 mai, précisément à Ronsin, la brigade mobile de la douane est établie sous un arbre. Deux agents procèdent au «contrôle» des documents. L’un sur une chaise et l’autre adossé à la portière d’une voiture noire. Le premier contrôle les documents du camion. Salam et le gabelou debout échangent quelques mots. Ensuite, le chauffeur tend au «béret noir» un billet de 10 000FCFA, au vu et au su de toute l’assistance. Le douanier jette son butin dans la voiture. «Pourquoi cette générosité», avons-nous demandé à Salam, surtout sur la route de retour? «Ils ont estimé que mon véhicule était surchargé et qu’ils allaient passer à la vérification entière du chargement. C’est du chantage», révèle Salam. Les chauffeurs, déplorent la pratique des agents de sécurité burkinabè. «Je suis sur les routes depuis 1999. Dans le passé, le corridor burkinabè était très bien mais aujourd’hui c’est au Burkina Faso que nous avons le plus de difficultés. Si je quitte Niamey (capitale du Niger) avec 100 000FCFA, au moins 70 000FCFA restent entre les mains des douaniers burkinabè, de Kantchari à Cinkansé», explique Mama, un conducteur nigérien. Un jeune chauffeur malien de 22 ans, Maïga, ne comprend pas la multiplicité des postes de douane en territoire burkinabè: «Il y a trop de postes de contrôle douanier au Burkina Faso. De Koloko, la frontière malienne, à Bittou, il y a plus de 20 postes de contrôle. De plus, les douaniers burkinabè n’éprouvent aucune pitié. Ils prennent au moins 5000FCFA alors que si un chauffeur a trop donné à un douanier togolais, c’est 2000FCFA. Le plus souvent, cela se produit à l’intérieur du port», explique-t-il.
Le décompte que nous avons fait totalise quatre (4) postes de contrôle douanier, de Lomé à la frontière du Burkina Faso (plus de 600 kilomètres) et neuf (9) entre Cinkansé et Ouagadougou (environ 300 kilomètres). Les agents de sécurité en poste sur les routes ne reçoivent pas que des espèces sonnantes. Ils sont aussi gratifiés de dons en nature. Nous avons assisté à des remises de petits seaux ou sachets noirs ou bleus remplis d’oignons, des canettes de boissons, des petits sacs de vivres, des cartons de produits alimentaires, etc.
Le conducteur Mama du Niger, exaspéré et visiblement en colère se demande : «à quand la fin de ces perceptions illégales» ? Les autorités sous-régionales, surtout celles du «pays des Hommes intègres» sont ainsi interpellées.
Steven Ozias KIEMTORE
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