Les élections législatives et municipales couplées sont terminées. Moments privilégiés de renforcement de la vie démocratique d’une nation, ils sont souvent source de tension et de crise dans les communautés. C’est le cas notamment du village de Kadakouna dans la commune rurale de Tô, dans la province de la Sissili où dès le 3 décembre 2012, les deux ethnies majoritaires, les Gourounsi et les Mosse ont failli s’affronter. Tout est parti de l’élection des deux conseillers du village, tous issus du même parti et d’ethnie mosse. Dans le camp des Gourounsi, autochtones du village, ce n’est ni plus ni moins qu’une volonté de domination de la part des Mosse. Alors que selon les coutumes de Kadakouna, quand survient un décès, c’est un notable gourounsi qui doit donner le premier coup de pioche pour le creusage de la tombe, celui-ci sous l’instigation du chef de village, a refusé de le faire lors du décès d’un enfant moaga de trois ans.
Dès lors, la tension est montée d’un cran et il a fallu l’intervention du préfet de la localité pour calmer les esprits et faire revenir à la raison les deux parties. Nous avons séjourné les 5 et 6 décembre 2012 dans ce village situé dans la province de la Sissili pour en savoir davantage sur cette crise aux relents ethnicistes. Les différents protagonistes n’ont pas versé dans la langue de bois. Toute chose qui suscite beaucoup d’inquiétudes et d’interrogations sur la cohabitation entre les différentes communautés.
En arrivant à Kadakouna, village situé à 170 km de Ouagadougou dans la commune rurale de Tô dans la province de la Sissili, on est tout de suite impressionné par la luxuriance de la végétation. De part et d’autre, les animaux broutent encore de l’herbe fraîche en ce mois de décembre dans un pays sahélien comme le Burkina. Aussi, faut-il traverser quelques flaques d’eau pour se rendre d’une concession à une autre. Ce havre, où l’on peut croire qu’il y coule du miel et du lait, a été sujet à quelques remous sociaux le 3 décembre 2012 à l’issue des élections législatives et municipales couplées. Si du côté de l’administration, il n’y avait pas péril en la demeure, tel n’est pas l’avis des différents protagonistes de la crise qui soutiennent que le sang aurait pu être versé. Lors d’un court séjour dans ce patelin, nous avons rencontré les acteurs, les Gourounsi, autochtones du village et les Mosse, migrants agro-pasteurs pour connaître les tenants et les aboutissants de la crise.
Le refus d’enterrer un enfant, la goutte d’eau qui fait déborder le vase
Le lendemain des élections législatives et municipales couplées, le 3 décembre 2012, un enfant de trois ans issu de l’ethnie moaga est décédé des suites de maladie à Léo, la capitale de la Sissili. Selon les coutumes du village, l’autorisation de creusage de la tombe émane du chef des Gourounsi qui délègue un de ses notables pour la première pioche. Mais ce jour-là, le chef assisté de tous ses notables a refusé de donner l’ordre. Il a fallu l’intervention du préfet Koudougou Ouédraogo pour que les choses rentrent dans l’ordre. « Le lendemain des élections, il y a eu le décès d’un enfant dans le village. Les autochtones ont refusé qu’on enterre l’enfant parce que selon les dires, les migrants agropasteurs ont plus voté pour l’UNDD qui a remporté les deux sièges du village. Selon les premiers, la victoire de ce parti incarné par les Mosse correspond à une dépossession de leurs terres. Je leur ai dit de ne pas faire l’amalgame entre le cadavre qui ne peut attendre et les élections. Quand il y a un décès dans un village, l’urgence, c’est de s’occuper de l’enterrement. Le chef coutumier et ses notables ont tous accepté le principe. Ils ont creusé la tombe devant moi-même et ils ont enterré le bébé », a relaté le préfet du département de Tô. Pasorwendé Sawadogo, père de la victime confie : « Après la mort du bébé, nous avons envoyé un jeune prévenir les Gourounsi. Par deux fois, ils ne sont pas venus. Personnellement, je me suis déplacé pour aller les voir. Ils m’ont dit qu’ils n’allaient pas venir parce que nous sommes les nouveaux chefs. Je suis allé voir le préfet pour qu’il résolve le problème. Quand le préfet est arrivé, il s’est entretenu avec eux pour les dissuader. Il leur a dit que s’ils ne choisissaient pas le lieu, il n’allait pas partir. Cela a duré beaucoup de temps et les Gourounsi étaient entrain de tourner en rond. Finalement, ils ont choisi le lieu devant le préfet qui est parti après. » Et Pasorwendé Sawadogo de témoigner que c’est l’extrémité de la menace exercée par les Gourounsi. « Je tiens à dire que ce n’est pas la première fois. Les Gourounsi nous faisaient cela depuis longtemps. Généralement, quand un Moaga a un différend avec eux, ils disent qu’ils vont lui créer des problèmes quand il aura un décès. Avant, pour enterrer nos morts, nous étions obligés d’amener le corps à plus deux kilomètres. Nous leur avons demandé l’autorisation d’avoir notre propre cimetière. Pour le lieu, nous avons payé un bœuf, des moutons et des poulets. Mais, ils nous ont dit que s’ils ne donnaient pas la première pioche, personne ne doit creuser la tombe. C’est là qu’ils nous ont eus. Les Gourounsi nous ont en plus exigés après chaque enterrement du mil et de l’argent. Quand c’est un chef de famille, on doit donner un mouton et deux poulets. »
Quand la bataille électorale évolue vers celle ethnique
Les Gourounsi, tout en ne niant pas ce qui est arrivé ont tenu à préciser que ce qui est arrivé est le fait de l’instrumentalisation des politiciens. Car, soutiennent-ils, ils ne comprennent pas pourquoi en tant qu’autochtones, ils se retrouvent en touche à l’issue des élections municipales, les deux sièges de conseillers étant revenus aux Mosse. Un ancien conseiller municipal du village, Sabirou Nignan, relate la genèse de la crise. « Au début, il y avait deux partis dans le village. Nous savions qu’un troisième parti allait se présenter, car c’est un parti qui ne nous est pas étranger. Nous l’avons toujours respecté. Aucun politicien n’a bénéficié d’autant d’estime que le responsable de ce parti dans notre village. C’est le fait que son parti soit resté au niveau des Mosse qui nous a révoltés. Il a choisi ses conseillers sans nous informer. A six jours des élections, revenant de mes courses, j’ai constaté qu’il y avait des jeunes qui tenaient une rencontre de ce parti devant une boutique. Je les ai suppliés en vain pour qu’on s’asseye de discuter de l’affaire, car nous n’étions pas au courant. Même le chef du village leur a demandé cela. De notre point de vue, il faut associer aussi bien les Mosse que les Gourounsi. Mais comme ils ont refusé, c’est pour cela que nous avons voulu marquer une certaine résistance. Nous n’avions pas de problème avant. Mais le fait de choisir des conseillers sans que les autochtones ne soient au courant est inadmissible. » Issaka Ouangrawa, candidat de l’UNDD n’entend pas la chose de cette oreille. Selon lui, il y a même eu une médiation avec le chef, Noufou Nignan, qui a accepté que le parti batte campagne. « Les Gourounsi m’ont appelé un jour pour me dire qu’ils ne voulaient pas de mon parti dans le village, car il y avait déjà deux autres partis. Ils ont précisé que si je tenais au parti, je devais quitter le village. Je leur ai dit que j’étais déjà engagé avec le parti et que je ne pouvais plus reculer. Aussi, m’ont-ils dit que je ne pouvais pas battre campagne dans le village au compte de mon parti. Le chef a exigé la présence du responsable du parti pour que le problème soit résolu. Effectivement, il est venu et ils ont échangé et se sont mis d’accord. Le chef a dit qu’il n’avait rien contre le parti encore moins contre le responsable, mais qu’il devait lui-même choisir les conseillers du parti. Il a même ajouté que si c’était lui qui allait choisir, ça n’allait pas être des Mosse. Mais, comme le responsable est venu s’excuser, il n’y avait pas de problème. Quand nous avons commencé à battre campagne, un conseiller Gourounsi est venu nous dire que le chef était contre. Il nous a dit de battre campagne pour un autre parti. La veille des élections à 23h, ils m’ont encore appelé pour que je sois de leur côté. Je leur ai dit qu’il était tard mais que nous poursuivions le même but, celui du développement du village. Les cinq dernières années, je n’étais pas conseiller mais j’avais beaucoup travaillé pour le développement du village. Le matin des votes, quand je suis arrivé au bureau de vote, les Gourounsi m’ont interpellé qu’un autre parti ne pouvait pas avoir accès à la salle. J’ai appelé mon responsable qui a contacté les membres de la CECI (Ndlr, Commission électorale communale indépendante) et tout est rentré dans l’ordre. Vers 12h, ils ont continué leurs menaces en promettant de saboter le scrutin lors du dépouillement. J’ai tout de suite contacté un responsable de notre parti qui a appelé la police. Le commissaire est venu avec un policier pour assurer la sécurité. Celui-là a échangé avec eux pour les calmer parce que le vote n’était pas synonyme de bagarre. Après cela, le maire et son adjoint sont venus s’entretenir avec eux pendant au moins trois heures. Quand on a fini le dépouillement, c’est mon parti qui a gagné. C’est ainsi qu’ils ont dit que le gouvernement nous a donné le village. »
Les allogènes sont-ils les nouveaux maîtres à Kadakouna ?
Pour les Gourounsi, il ne fait l’ombre d’aucun doute qu’après la victoire de l’UNDD sur les deux autres à Kadakouna, les Mosse sont devenus les nouveaux maîtres. « Nous ne faisons pas l’amalgame entre la modernité et la tradition. Seulement, nous estimons qu’il faut toujours respecter l’autorité locale. Aujourd’hui que l’UNDD a gagné les élections, cela signifie que les autochtones du village ne valent rien. Nous n’acceptons pas que les deux conseillers soient tous des Mosse, car ils sont en quelque sorte nos « femmes ». Est-ce qu’une femme peut représenter son mari pour prendre des décisions concernant la vie du foyer ? Non. Les Mosse ne peuvent pas défendre nos intérêts », a soutenu Nignan Zacharia