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Afrique : pourquoi nos chefs d’Etat veulent-ils s’éterniser au pouvoir ?
Publié le lundi 13 octobre 2014  |  Partis Politiques
Etienne
© Autre presse par DR
Etienne Traoré, homme politique et enseignant d`université




Nous constatons encore aujourd’hui, qu’en dépit des professions de foi et des Constitutions démocratiques, en dépit des engagements nationaux, sous régionaux, africains et internationaux, la tendance dominante chez nos dirigeants africains demeure celle de la conservation sans délai du Pouvoir d’Etat, et ce, en contradiction flagrante avec les valeurs et les pratiques basiques, élémentaires de la démocratie dans ses fondements. Dernières illustrations avortées, réussies ou en cours : Mamadou Tandja au Niger; Abdoulaye Wade au Sénégal; Robert Mougabé au Zimbabwe; Yaya Jameth en Gambie; Blaise Compaoré au Burkina Faso; Yayi Boni au Bénin; Sassou Nguesso au Congo; Idriss Déby au Tchad; Faure Eyadéma au Togo etc. D’autres au nord, et pas exclusivement, aboutissent au même résultat de pérennisation en entretenant des régimes réellement de Parti unique (Moubarack en Égypte, Ben Ali en Tunisie et dans une moindre mesure Boutéflika en Algérie...). Et tout ça, sous l’œil souvent complice des puissances occidentales (principalement européennes) donatrices de leçons de démocratie, surtout à l’Afrique! La raison principale de ce hiatus entre les paroles puristes et les pratiques complices, c’est la défense de leurs intérêts économiques assurés par leurs Sociétés opérant, pour l’essentiel dans les domaines du pétrole, du bois, du gaz, du bauxite, du manganèse, du coton, du BTP, des ports et aéroports. Ajoutons-y deux lieux d’intérêts géostratégiques importants : la volonté de contrer la pénétration de la Chine populaire dans leurs zones traditionnelles et la lutte contre le terrorisme.
Rappelons que ces valeurs démocratiques sont entre autres celles de : la liberté comme attribut fondamental de tout être humain; l’égalité des personnes caractérisées au même titre par la liberté ; la reconnaissance et la promotion de droits fondamentaux de l’homme en tant qu’homme digne de respect absolu; l’esprit de tolérance pour permettre la libre expression des opinions différentes ou divergentes etc. Pour réaliser ces valeurs, il faut recourir à des pratiques spécifiques qui doivent trancher avec d’autres types de pratiques relevant de régimes politiques comme ceux basés sur les liens de sang, la violence ou simplement la fortune. Parmi ces pratiques spécifiques : l’Etat de droit; le multipartisme ; la séparation et la balance des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire; des élections régulières; l’existences de contre pouvoirs civils (mouvements et associations de la Société civile) et politiques (des partis politiques de l’opposition); des dispositions légales permettant l’alternance au pouvoir, garantissant les libertés essentielles d’expression (et notamment celle de la presse), de mouvement, de culte...; la défense et la garantie des droits inaliénables de l’homme etc. Je sais que ces valeurs constituent historiquement un héritage de toute l’humanité et j´y reviendrai une autre fois en philosophie facile comme maintenant. Je pense que les valeurs de la démocratie sont absolument bonnes pour tout être humain. Néanmoins, leurs applications tiennent nécessairement compte des réalités socio-culturelles concrètes, soit pour trouver des lieux de conciliation, soit pour répudier les points de divergence. C’est d’ailleurs pour tenir compte de cette dynamique que Montesquieu disait que l’actualisation des valeurs démocratiques devait toujours tenir compte de " L’esprit général des peuples". Et quelles sont les causes de toutes ces résistances démocratiquement régressives aux sommets trop nombreux de nos pays? Ces causes sont plus endogènes (internes) qu’exogènes (extérieurs) aujourd’hui.
Je ne saurais prétendre recenser ces causes de façon exhaustive ou incontestable. Je pense tout de même pouvoir avancer quelques raisons essentiellement endogènes, car, même si les raisons exogènes déjà évoquées sont fortes, elles ne sont pas inflexibles ni déterminantes dans les restaurations de nos processus démocratique quand on sait (et on voit) comment aujourd’hui, ces mêmes Occidentaux finissent toujours par se rallier, même tardivement, au rapport de forces imposé sur le terrain par les luttes populaires. Ce qui est donc déterminant, c’est la lutte pour sauvegarder et ancrer la démocratie contre ses différents détourneurs ou récupérateurs monarchistes et patrimonialistes.
S’agissant alors des causes endogènes, je n’en citerai que trois parmi les plus importantes selon moi :
Au plan général, nous n’avons pas encore fait suffisamment de rupture avec certaines de nos références traditionnelles en matière de gouvernance et de conception de l’homme: dans ces références, je ne dis pas valeurs, l’exercice du pouvoir s’accommode de pratiques foncièrement antidémocratiques (même si elles ont valu dans nos sociétés traditionnelles) qu’il faut nécessairement dépasser par une contestation radicale pour cesser de vouloir à la fois une chose et son contraire. Ces pratiques sont entre autres : les recours gérontocratiques exclusives qui me semblent être d’une validité d’hier; l’inégalité affirmée et réelle des citoyens au détriment surtout des jeunes et des femmes; la valorisation excessive de l’unanimité ou du consensus social; la facile exclusion des opinions différentes ou divergentes; une quasi patrimonialisation du pouvoir considérée comme normale; une vision de l’espace vital commun quasiment réduit à celui de l’ethnie, etc. Ce sont là quelques repères dont s’inspirent consciemment ou inconsciemment bon nombre de nos dirigeants sans être vraiment contestés en cela par une population forgée dans cette pratique traditionnelle du pouvoir. Ainsi n’est- il pas rare d’entendre ces populations très largement majoritaires dire qu’il est normal que celui qui a le pouvoir," le bouffe". Elles ajoutent même parfois contre l’alternance démocratique ( une pierre angulaire de la démocratie) ceci : Il vaut mieux laisser celui qui est déjà au pouvoir continuer car il est déjà rassasié à force de bouffer et donc n’abusera plus du dénier public que d’élire un nouveau qui a faim et abusera donc de ce même dénier!!! Il appartient ici aux intellectuels principalement et à tous les démocrates vrais, de faire comprendre et accepter la nécessité d’une rupture de type républicain et démocratique. Nous devrions donc mieux nous battre dans ce sens au lieu d’encourager ce statu quo coupable, par populisme ou électoralisme.
Au niveau des gouvernants, non seulement beaucoup gardent ces références devenues négatives aujourd’hui, mais en plus, ils développent une théorie non écrite du pouvoir qu’ils appliquent méthodiquement : la politique est essentiellement une activité de promotion économique pour soi, sa famille, son clan et les courtisans. Alors la pratique consiste à appliquer cette vision : profiter largement du déficit de citoyenneté de nos populations pour gouverner sans se croire astreints à des obligations de résultats. Voilà pourquoi bon nombre de nos Présidents exercent des pouvoirs qui sont beaucoup plus épicuriens (beaucoup de plaisirs) que laborieux et qu’ils ne veulent donc pas les quitter tant il est vrai qu’on peut se fatiguer de travailler mais pas de "manger"! Voilà pourquoi aussi, me semble t-il, ils sont beaucoup moins patriotes que beaucoup de leurs homologues d’autres continents, notamment ceux d’Asie (Japon excepté). Ces pays d’Asie, au moment de nos Indépendances nationales n’étaient pas tellement plus développés que nous, mais qui sont très loin devant nous aujourd’hui grâce à leurs nationalismes et patriotismes captés et bien gérés par leurs dirigeants. A cela, il faut ajouter chez nous, les résistances souvent tenaces de tous les bénéficiaires plus ou moins licites du système qui ont tout à perdre en cas d´alternance et qui ceinturent le Président pour être les seuls à lui dire : " tu es le meilleur...sans toi le pays coule...ceux qui te critiquent ne sont que des aigris, des jaloux, voire des ingrats..." Ces bénéficiaires égoïstes autour de nos Présidents sont généralement organisés directement par les familles présidentielles pour, par tous les moyens violents (mainmise sur l’armée presque privatisée) ou pacifiques (maintien plus ou moins frauduleux de l’hégémonie du Parti présidentiel et aussi mainmise sur l´Administration publique devenue un lieu de récompense/punitions selon que vous faites allégeance ou pas), pérenniser les Présidents au pouvoir .
Au niveau de nos peuples, peu démocratiquement formés, ils ont d’abord la faiblesse d’être cultivés dans la pratique politique traditionnelle que reproduisent nos dirigeants, ce qui ne leurs fait pas percevoir clairement des tares et autres déviations du processus démocratiques. Il n’est pas ainsi rare d´entendre des citoyens justifier les enrichissements illicites de leurs parents parce qu’il s´agit simplement de leurs parents! Le voleur à dénoncer, c’est presque toujours le parent de l’autre! Ils ont aussi un déficit réel de citoyenneté qui les freine dans leur légale et légitime demande des comptes dans la gestion démocratique des affaires publiques, demandes qu’ils doivent adresser à ceux qui les dirigent. Effectivement, un citoyen au sens actif du mot est celui qui, connaissant ses droits et ses devoirs, remplit ses devoirs et revendique ses droits. Nos peuples ont eu un début de formation dans les périodes de lutte anti coloniale. Après les Indépendances, cette formation a été arrêtée tant les nouvelles élites politiques craignaient d´être elles mêmes contestées. C’est comme dirait l’autre : " Mal informés les hommes sont des sujets. Bien informés ils deviennent des citoyens". Aujourd’hui le résultat est amer car nos peuples réels subissent plus qu’elles n’agissent dans la gestion de la vie démocratique. Et ceci est beaucoup plus vrai pour l’Afrique subsaharienne. Heureusement que les choses y bougent depuis un temps assez récent et autorise un espoir pour demain.
Je pense que pour accélérer l’acquisition de cette culture de l’alternance démocratique, l’Union Africaine pourrait inscrire dans ses textes statutaires, la limitation du nombre de mandats à deux non renouvelables. Si l’interdiction de tout coup d’Etat protégeait les Présidents démocratiquement élus (c’est la reconnaissance d´un droit protégeant les Présidents), cette nouvelle clause protégerait les peuples contre les abus de pouvoir (ça serait rétablir un équilibre en fixant un tel devoir aux Présidents élus). Telle clause me semble meilleure aux octrois systématiques de lois d’amnistie, lesquelles constituent plutôt des primes à la mauvaise gouvernance et à l’inadmissible impunité.


Ouagadougou le 3 septembre 2013

Etienne Traoré
Enseignant Université de Ouagadougou
Burkina Faso
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