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Lafama Prosper Thiombiano: « Le TCA place la responsabilité des Etats au centre du commerce des armes classiques »
Publié le mardi 16 septembre 2014  |  Sidwaya




Le Burkina Faso a ratifié, le 3 juin 2014 le Traité sur le commerce des armes (TCA). Dans cet entretien réalisé le vendredi 12 septembre 2014, Lafama Prosper Thiombiano, directeur des relations internationales et de la législation à la Haute autorité de contrôle des importations d’armes et de leur utilisation(HACIAU) nous explique l’intérêt de cette norme universelle devant régir le commerce international des armements conventionnels pour le « pays des Hommes intègres ».

Sidwaya (S) : Qu’entend-t-on par Haute autorité de contrôle des importations d’armes et de leur utilisation (HACIAU) ?


Lafama Prosper Thiombiano (LPT) : La HACIAU est une structure rattachée au Premier ministère et présidée par le Premier ministre. Elle a été créée par décret n°2001-005/PRES/PM/MAET du 24 janvier 2001 avec son modificatif n°2012-1032/PRES/PM/MDNAC/MAECR/MEF du 28 décembre 2012 portant composition, attributions, organisation et fonctionnement de la HACIAU. Elle est composée des ministères concernés par les transferts d’armes. Il s’agit du ministère en charge de la Défense, des affaires étrangères, de la sécurité, des transports, du commerce, de la justice, l’économie, des eaux et forêts, de l’aménagement du territoire et de la décentralisation et du secrétaire général de la défense nationale. Elle a pour attribution le contrôle de tous les mouvements d’armes sur le territoire du Burkina Faso. Le secrétariat permanent en est l’organe opérationnel et il est actuellement dirigé par le Colonel-major Dibana Zerbo. De façon concrète, la HACIAU délivre le certificat de destination finale qui permet l’entrée des armes au Burkina Faso et participe à la lutte contre le trafic illicite des armes.


S. : Le Burkina Faso vient de ratifier le Traité sur le commerce des armes (TCA) le 3 juin 2014. De quoi s’agit-il exactement ?


L. P. T. : Le TAC a été adopté par l’assemblée générale des Nations unies le 2 avril 2013, à l’issue d’un long processus qui remonte aux années 1990. Il a été par la suite adopté par la résolution A/67/L.58 de l’assemblée générale des Nations unies et ouvert à signature le 3 juin 2013 au siège des Nations unies, à New York. Il a été signé le même jour par le Burkina Faso qui l’a ratifié. Il entrera en vigueur 90 jours après le dépôt du 50e instrument de ratification, d’acceptation ou d’approbation. Le TCA, c’est une convention internationale adoptée par l’ONU pour réglementer le commerce légal des armes conventionnelles. Mais surtout pour prévenir et lutter efficacement contre le trafic illicite de ces armes. Jusque-là, il n’existait pas encore de législation à portée véritablement universelle sur le commerce des armes classiques. Les instruments juridiques y relatifs étaient tantôt de portée régionale ou sous-régionale à l’exemple de la convention de la CEDEAO sur les armes légères et de petit calibre, leurs munitions et autres matériels connexes. Avant le TCA, le seul texte de portée internationale en la matière était le protocole des Nations unies contre la fabrication et le trafic illicite d’armes à feu, leurs pièces, éléments et munitions en date du 31 mai 2001. Mais, ce texte aussi ne concerne que les armes légères et de petits calibres. Ces législations qui ont précédé le TCA ont eu d’abord une portée juridique très limitée dans l’espace. Ensuite, elles n’ont pas couvert toutes les catégories d’armes conventionnelles (seulement les ALPC pour la convention de la CEDEAO et le protocole de l’ONU). Ces textes n’ont pas réglementé toutes les activités importantes du commerce des armes (la position commune de l’UE ne porte par exemple que sur les exportations d’armes classiques et le protocole des Nations unies concerne la fabrication et le trafic illicite des ALPC). L’adoption d’une norme universelle pour régir le commerce international des armements conventionnels s’imposait surtout au regard des principes énoncés dans la Charte des Nations unies, aujourd’hui contrariés par le commerce illégal des armes classiques et les subséquentes conséquences fâcheuses à travers le monde.


S. : Pourquoi, un TCA pour réglementer le commerce international des armes conventionnelles?


L. P. T. : Les armes conventionnelles ou classiques désignent tous les armements qui ne sont pas nucléaires, chimiques ou biologiques. Elles ont été classées dans le registre des Nations unies en 7 catégories, dites catégories majeures des armes conventionnelles. Ce sont les chars de combat, les véhicules blindés de combat, les systèmes d’artillerie de gros calibre, les avions de combat, les hélicoptères de combat, les navires de guerre et les missiles et lanceurs de missiles. Et l’adoption d’un instrument international juridiquement contraignant sur le commerce des armements conventionnels s’est avéré impérieuse au fil du temps et au regard de certains méfaits qu’engendre ce commerce et principalement les graves travers du trafic illicite des armements classiques. Il ne s’agit pas d’une remise en cause de la souveraineté des Etats et de leur droit à des armes en vue d’assurer la paix publique, de maintenir la sécurité intérieure ou de défendre leur territoire. Il ne s’agit pas non plus d’une volonté d’entraver le commerce légal des armements conventionnels qui présente des enjeux politiques, sécuritaires, économiques et financiers énormes pour les Etats et les autres acteurs du domaine (plus de 45 milliards et demi de dollars us). Il convenait plutôt de mettre en place un dispositif international juridiquement contraignant de sorte à permettre un contrôle efficace et harmonisé du commerce des armes conventionnelles. Ceci étant, un impératif au regard des insuffisances et incohérences des législations et systèmes de contrôle existant au niveau national, sous-régional ou régional et il ne peut être contesté que la circulation massive des armements conventionnels dans le monde a causé des atteintes graves à la paix, à la sécurité publique et à la stabilité. Il a engendré des violations massives du droit international humanitaire et des droits de l’homme, commises notamment dans les conflits armés alimentés surtout par le commerce illicite des armes (plus de 500 000 morts par an selon Roberto Garcia Moritan qui a présidé la conférence des NU pour le TCA), sans oublier la sape du développement économique et social (plus de 284 milliards de dollars us perdu par 33 pays africains entre 1990 et 2005 du fait des conflits armés selon Ban Ki-Moon, secrétaire général de l’ONU, le 2 juillet 2012 à l’ouverture de la conférence pour un TCA).
Dans ce contexte, l’avènement d’un texte international à portée juridique universelle et contraignante sur le commerce international des armes conventionnelles était plus que nécessaire et l’adoption du TCA a comblé un vide à ce niveau. Nous attendons que les Etats-parties en fassent une application efficace.


S. : Quelles sont les catégories d’armes couvertes par le TCA?


L. P. T. : Le but du TCA est de réglementer le commerce international des armements conventionnels par la régulation du commerce légal de ces armes et par la lutte contre le trafic illicite, dans la ferme volonté d’éviter que ces armes causent des souffrances à l’humanité, et faire en sorte que cet engagement contribue à garantir la paix, la sécurité et la stabilité internationales. Le TCA place la responsabilité des Etats au centre du commerce des armes classiques et ceux-ci doivent promouvoir la transparence dans lesdites transactions par l’institution des mécanismes efficaces de contrôle des transferts d’armes. Il s’applique d’abord à toutes les armes conventionnelles : les chars de combat, véhicules blindés de combat, système d’artillerie de gros calibre, avions de combat, hélicoptères de combat, navires de guerre et les missiles et lanceurs de missiles, auxquelles, il faut ajouter les armes légères et de petit calibre, prises en compte dans le TCA grâce surtout à la mobilisation des pays africains au regard de la gravité de la prolifération de ces armes sur le continent. Il s’applique à tout transfert d’armes conventionnelles et ce transfert désigne cinq types d’activités : l’exportation, l’importation, le transit, le transbordement et le courtage.
Le texte ne s’applique cependant pas au transport international par un Etat-partie, aux armes classiques pour son propre usage, sous la condition que ces armes restent sa propriété. Il faut regretter que le texte ne soit pas encore applicable aux munitions et aux pièces et composantes des armes conventionnelles. Pour ceux-ci, le texte oblige seulement à la mise en place d’un régime national de contrôle et en la tenue de registres d’exportation. On peut se satisfaire de l’obligation d’évaluation des risques de l’opération d’exportation qui vaut aussi pour les munitions, pièces et composantes des armes classiques.


S. : Dans son application, le TCA doit-il se conformer à certains principes?


L. P. T. : C’est d’abord, le principe de l’application cohérente, objective et non discriminatoire, qui veut dire que les Etats-parties ne doivent pas appliquer le texte en ses dispositions qui leur seront favorables et au gré des circonstances. Chaque Etat-partie doit instituer un régime national de contrôle des armes conventionnelles et tenir une liste nationale de contrôle à jour. Ce contrôle doit porter sur toutes les armes conventionnelles telles que prévues, sans possibilité pour l’Etat-partie d’en restreindre la liste. Enfin, chaque Etat-partie doit désigner les autorités nationales chargées du contrôle, ainsi qu’un point de contact national qui sera chargé de l’échange d’informations avec les organes du TCA. Le TCA a formulé trois interdictions expresses. Il s’agit pour les Etats-parties de ne pas autoriser : un transfert d’armes classiques en violation d’un embargo sur les armes, un transfert d’armes classiques en violation d’accords internationaux relatifs au transfert international ou au trafic d’armes classiques et un transfert d’armes classiques sachant que ces armes serviront à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels ils font parties. Le détournement d’armes est également prohibé par le TCA qui prescrit aux Etats-parties de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour réglementer le transit et le transbordement d’armes conventionnelles sous leurs juridictions et de coopérer par l’échange d’informations afin de réduire les risques de détournement lors des transferts d’armes classiques.


S. : Après la ratification, quelles sont les obligations qui s’imposent à présent au Burkina Faso en application de ce texte ?


L. P. T. : Notre pays depuis le 3 juin 2014, fait partie du TCA avec les obligations qu’engendre ce texte. Etant un texte international, il doit être incorporé dans notre législation interne. Ce qui suppose une certaine activité législative surtout au regard des nouveaux mécanismes qu’il prescrit d’instituer. Notre pays dispose déjà de la HACIAU qui contrôle les transferts d’armes sur le territoire national et dont les missions se rapprochent absolument des mécanismes de contrôle prévus par le TCA. Ces dispositifs sont une avancée significative au Burkina dans la problématique de contrôle des transferts d’armes. Mais, il nous faudra réformer tout cela à la lumière des dispositions du TCA.
Le Burkina Faso étant un pays essentiellement importateur d’armements conventionnels, désormais et en vertu de l’obligation d’évaluation des risques qui pèse sur les pays exportateurs, il nous faudra mettre en place un régime d’importations transparent qui nous permette de fournir tous les éléments d’information que viendraient à nous demander les fournisseurs. C’est pourquoi, il faudra, en plus du certificat de destination finale délivré par la HACIAU, élaborer le certificat de l’utilisateur final pour une plus grande transparence. Il faudrait alors une relecture de nos textes en matière d’armements pour plus de cohérence et de conformité non seulement avec le TCA, mais aussi avec d’autres instruments juridiques régionaux ou sous-régionaux comme la convention de la CEDEAO sur les ALPC par exemple, qui conditionne l’importation des ALPC à l’obtention d’un certificat d’exemption délivré par la Commission de la CEDEAO. Le régime des importations à mettre en place devrait aussi prendre en compte l’obligation pour notre pays de réglementer le transit et le transbordement d’armes sur notre territoire. Et surtout prévoir des mesures efficaces pour lutter contre le détournement d’armes à partir de notre pays. Toutes ces mesures qui seront prises pour la mise en œuvre du TCA feront l’objet d’un rapport initial un an après l’entrée en vigueur et des rapports périodiques annuels feront désormais le point au plus tard au 31 mai de chaque année pour informer de l’état de mise en œuvre du TCA par notre pays. A ce jour(NDLR 12 septembre 2014), 118 pays ont signé le TCA et 41 Etats l’ont ratifié, accepté ou approuvé selon le cas, dont trois pays africains à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Nigéria.


S. : Des sanctions sont prévues en cas de manquement aux dispositions du TCA ?


L. P. T. : Le TCA n’a pas prévu de sanctions expresses en cas de manquement par un Etat-partie. Il s’agit d’un texte international, et il est évident qu’en cas de manquement à cet instrument juridique, par ailleurs contraignant, le régime classique des sanctions du système onusien s’appliquera. Et la première des sanctions peut être un embargo sur les armes, mais en fonction de la gravité des faits, d’autres sanctions peuvent être infligées à l’Etat-partie fautif comme les sanctions économiques et financières et éventuellement des poursuites devant les juridictions internationales en cas de crimes relevant de la compétence de ces instances juridictionnelles, les génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité notamment.


S. : La HACIAU dispose-t-elle de moyens suffisants pour la mise en œuvre du TCA ?

L. P. T. : La HACIAU est une structure de l’Etat et dispose des moyens dont il a plu aux autorités de les lui affecter. Mais, il faut savoir que le contrôle des transferts d’armes est une mission complexe qui commande un important travail de terrain pour la sensibilisation des populations et des acteurs concernés, les enquêtes et les vérifications des stocks d’armes. Tout cela nécessite d’importants moyens techniques, matériels et financiers pour l’atteinte des résultats. Maintenant, pour mettre en œuvre le TCA, il faudra plus de moyens. Nous espérons y arriver par la volonté des autorités qui pourront mettre à profit les mécanismes de la coopération et de l’assistance internationale entre les Etats-parties, institués par le TCA. L’adoption du TCA a été une étape importante dans la volonté de la communauté internationale de réglementer le commerce international des armes conventionnelles et de lutter efficacement contre le trafic illicite de ces armes en vue de maintenir la paix, la sécurité, la stabilité internationale et de promouvoir le développement économique des Nations. La majorité des Etats africains dont le Burkina Faso ont adhéré à cette initiative et ont été les artisans de l’incorporation des ALPC dans le traité. A présent, il faut en réussir la mise en œuvre et c’est à cette tâche que les structures nationales concernées par le TCA, avec l’appui des autres acteurs, doivent s’atteler pour un dispositif burkinabè de contrôle des transferts d’armes transparent et efficace.


Abdel Aziz NABALOUM
emirathe@yahoo.fr
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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