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Rééducation fonctionnelle : Morija, le laboratoire de l’espoir
Publié le jeudi 21 aout 2014  |  Sidwaya
Le
© Autre presse par DR
Le handicap est encore très mal vu au Burkina Faso




Près de 15 000 personnes dans la région du Centre-Nord sont en situation de handicap. La plupart trouve le salut grâce aux appareillages orthopédiques. Des structures s’organisent tant bien que mal pour donner une nouvelle vie à ces êtres fragiles. Incursion dans l’univers de la rééducation fonctionnelle.


Le soleil commence à inonder la région du Centre-Nord de ses rayons incandescents, en ce début de journée du vendredi 26 juillet 2014. Comme à l’accoutumée, Mathieu Sawadogo, agent de Réadaptation à base communautaire (RBC), s’apprête à sillonner les villages de la paroisse de Tougouri et Yalgo à la recherche de personnes vivant avec un handicap. Sac en bandoulière, taille élancée, son périple le conduit ce jour-là dans le village de Sian, situé à 21 Km de la commune rurale de Tougouri. La raison : il doit s’enquérir des nouvelles d’un de ses patients, Abdou Nourou Sawadogo. Féru des questions du handicap, il embarque avec nous, pour nous imprégner des techniques de la réadaptation à base communautaire. Après deux quarts d’heures de route, nous abandonnons le bitume pour emprunter une voie en terre. La pluie qui s’est abattue sur le Centre-Nord, la veille, ne nous donne pas l’occasion de frayer facilement un passage. Après quelques minutes à patauger dans les flaques d’eau, nous voilà, devant la concession de Abibou Bagayan, une quinquagénaire. Tout sourire, elle lance : «Votre petit vous attend depuis ». Agé d’à peine trois ans et vêtu d’un maillot frappé du dossard n°41, du footballeur international ivoirien, Yaya Touré, du club anglais de Manchester City, c’est difficilement, que le petit Nourou Sawadogo vient à nous, faire le « atou » (accolade) comme la plupart de ses camarades. Il est joyeux. Le petit sourire qu’il nous lance, laisse transparaître la blancheur de ses dents de lait. Mais, il souffre, de malformations congénitales. Impossible pour lui de se tenir plus de trois secondes sur ses jambes. Les pieds entrecroisés, il a trouvé une astuce pour se déplacer : la rampe. Chose inhabituelle chez les bambins de son âge. Détecté, il y a 8 mois, par M. Sawadogo, son cas nécessite, une récupération nutritionnelle et des séances de kinésithérapie. « Il n’a pas les capacités physiques de supporter les séances de rééducation, à cause de sa fragilité. Il pèse 9 Kg et il doit améliorer son alimentation pour avoir de la force», explique Mathieu Sawadogo. Avec des os très fragiles, il ne bénéficiera pas des soins de kinésithérapie de Mathieu Sawadogo. Mais ses parents, particulièrement sa grand-mère, Abibou Bagayan, comprend la nécessité de vite le prendre en charge. « C’est cela, la stratégie RBC», précise l’agent RBC de la paroisse de Tougouri et de Yalgo. « Mon travaille, c’est de détecter les personnes en situation de handicap, de conscientiser les parents sur l’importance de rééduquer leurs enfants avant toute consultation ou prise en charge par le projet RBC.


Plus de 15 000 personnes en situation de handicap


Ainsi, de commun accord, nous commençons le traitement. Si le cas du patient dépasse nos compétences, nous le référons dans un centre spécialisé, de concert avec ses parents», explique-t-il.
Dans le diocèse de Kaya, plus de 15 000 personnes, toutes catégories confondues, sont en situation de handicap, selon l’Organisation mondiale de la santé. Et 30 à 50% des personnes ont besoin de mesures de réadaptation. Or, seulement 2 à 3% de ces personnes reçoivent de l’aide. Grâce à la RBC, plusieurs personnes en situation de handicap bénéficient de soins appropriés et orientés vers des centres spécialisés pour leur rééducation, affirme Mathieu Sawadogo. Il poursuit en disant que des mesures pour accroître leur accessibilité aux structures de soins, d’apprentissage, de formation professionnelle, à encourager et à soutenir la scolarisation des enfants en situation de handicap ont été prises. Safoura Sawadogo en est bénéficiaire. Du haut de ses 16 ans, c’est avec un sourire jaune et presqu’en sanglots qu’elle nous reçoit sous le grand baobab, situé à proximité de sa cour, en cette journée ensoleillée. Sur son visage où se lisait la tristesse, elle tente de cacher son désespoir. Elève au lycée des jeunes filles de Kaya, elle avait perdu tout espoir de devenir pilote. Elle qui en nourrissait le rêve dès la classe de CM2 à cause de ses performances scolaires. Eloignée des salles de classe pendant plusieurs mois à cause de son ostéo-nécrose qui lui a valu une amputation de la jambe gauche, elle retrouve petit à petit le sourire, grâce au programme RBC qui lui a permis d’acquérir une prothèse fémorale. « J’ai eu une ostéo-nécrose (une plaie qui s’attaque à l’os) qui a été mal soignée. Conduite au CHR de Kaya, les médecins ont estimé que pour me sauver, il fallait amputer ma jambe », soupire-t-elle, avec regret et peine. Chose faite. Amputée de la jambe droite à l’âge de 13 ans, Safoura Sawadogo s’est aujourd’hui débarrassée de ses béquilles de fortune, grâce à sa rencontre avec la RBC qui les a remplacées par une prothèse fémorale. « Cette prothèse nous a coûté 200 000 F CFA, mais mes parents ont contribué avec une somme très négligeable», confie-t-elle.


Les miraculés


Grâce aux séances de rééducation au Centre Morija, Safoura Sawadogo a retrouvé l’usage de ses fonctions motrices. «A Morija, on trouve toutes sortes de handicaps et des miracles s’y produisent», lance Ambroise Zoungrana, agent RBC de la paroisse de Kaya et de Boussouma. «Car, les cas les plus critiques, y sont référés », poursuit-il. Centre Morija ? Nous interrogeons-nous ? Illico presto, nous nous y rendons. Situé en plein cœur de la capitale de la région du Centre-Nord, Kaya, il se caractérise par la vétusté de ses infrastructures. Ses locaux exigus tranchent avec les «miracles» qui s’y produisent. C’est un autre monde. Un véritable, « camp de réparation des personnes en situation de handicap ». Aux chants d’oiseaux, se mêlent douleurs et espoir des patients, de retrouver l’usage de leurs membres handicapés ou amputés. Dans la cour, quelques patients, en solitaire, tentent de retrouver l’usage de leurs membres inférieurs en s’essayant à la marche, à l’aide de fauteuils roulants ou de béquilles. Le constat est triste. Certains qui ont fini par y élire domicile après plusieurs mois ou quelques années d’hospitalisation, se confondent à la fumée noire des cuisines de fortune. Situation oblige. D’autres qui ont perdu toutes capacités physiques, sont portés par des parents vers les salles de rééducation. Il est 10 heures. Des cris peu ordinaires qui déchirent le voile du silence, attirent notre attention. Un clin d’œil dans le couloir qui y mène, nous lisons : salle de kinésithérapie. « C’est la salle de massage », nous lance un patient, handicapé-moteur. Notre présence ne semble guère gêner ce petit monde, qui dès l’aube, s’est précipité pour former cette longue file d’attente devant ce « laboratoire de l’espoir ». Les yeux hagards et le regard perdu, la douleur et la tristesse se lisent sur les visages des plus âgés. Un peu en aval, ce sont les pleurs des mômes qui nous accueillent. Impossible, pour eux, de contenir le liquide incolore qui coule de leurs yeux. Chacun attend son tour pour avoir sa «dose» de la thérapie, dans ce local qui s’apparente à une salle de sport, au vu des tables pliables, des vélos de sport, de grillage où sont accrochés divers matériaux pour la plupart en métal, et les cordes qui pendent par-ci, par-là. Alima Tapsoba ne supporte pas la douleur de la rééducation. Elle a 8 ans. Venue du secteur n°8 de Ouagadougou, elle est admise en rééducation après une chirurgie orthopédique, voilà 50 jours. Elle porte toujours les stigmates de l’injection du quinimax. Atteinte au fémur, elle a perdu toute mobilité de son genou gauche. « Malade du paludisme, elle a été admise ici, après une piqûre qui a infecté son os. Ces exercices lui permettront de retrouver la mobilité de son genou grâce à un massage profond », nous convainc, l’aide-kinésithérapeute, David Bamogo. L’espoir est permis !
Couché sur le dos et immobilisé au niveau de son tronc, il est pratiquement impossible pour Issa Zongo de cacher sa douleur, ni d’esquisser le moindre sourire. Il doit débourser 1 500 F CFA par séance de rééducation. «Ouille, ahi, ouhi…Ici, il n’y a pas de mal à crier. Que tu sois grand ou petit, ça fait très mal », nous lance le sexagénaire, Issa Zongo dont la chute sur son vélo ne lui permettra pas d’effectuer les travaux champêtres. « Il en a au minimum pour un mois dans ce centre », nous confie M. Bamogo. Issa Zongo espérait semer du riz, maïs, haricot en cette saison d’hivernage. Dommage ! Des miraculés, il y en a eu plusieurs à Morija, affirme, fièrement M. Bamogo, communément appelé, le doyen en raison de ses 32 ans d’expérience dans la rééducation fonctionnelle.
Internée, il y a plus de trois mois, Assèta Sawadogo s’apprête à regagner son domicile. «Quand nous quittions la Côte d’Ivoire, précisément, la ville de Issia, ma fille ne pouvait pratiquement pas bouger le pied. Je rends grâce à Dieu. Bientôt, nous allons rentrer en famille », indique Mme Zara Sawadogo, même si, à l’issue du traitement,


elle avoue ne plus avoir un Kopeck pour regagner sa terre d’accueil. Faysal Pafadnam a aussi retrouvé le sourire. La ponction lombaire, consécutive à une crise de paludisme qui l’avait paralysé, n’est qu’un triste souvenir pour lui. Même si son rêve de devenir gendarme ne se réalisera pas, il se réjouit d’avoir retrouvé l’usage de son pied gauche. « Après mes trois interventions chirurgicales au Bénin en 2011, je sens que je suis un homme normal grâce à la rééducation fonctionnelle de plus de trois ans que j’ai suivie à Morija. J’arrive à me déplacer avec mon orthèse, à me déplacer à moto et à accomplir mes besoins sans l’aide d’autrui. Une chose qui était difficile pour moi depuis le début de ma maladie à l’âge de 13 ans », se réjouit Fayssal Pafadnam. «Grâce à la collaboration avec la RBC pour la prise en charge des patients qui présentent un handicap physique, moteur ou fonctionnel, référés à Morija, retrouvent le sourire », insiste le kinésithérapeute, Fabrice Jimongou.


Une prothèse à 200 000 F CFA


C’est pourquoi, avec le programme RBC Kaya, plusieurs missions de consultations de masse dans les villages sont organisées avec les agents RBC en milieu rural. « Au cours de ces consultations, les patients qui ont besoin d’une prise en charge chirurgicale viennent à Morija. La mission chirurgicale a lieu 6 à 7 fois l’an, grâce au soutien de spécialistes étrangers. Avec la rééducation fonctionnelle, ils pourront retrouver un meilleur état de santé physique», soutient Dr Jimongou. Ainsi, de commun accord avec les agents RBC, les conditions de prises en charge médicale et financière sont définies. « Nous consultons en moyenne 50 patients par sortie avec la RBC. Avec la situation de précarité en milieu rural, plusieurs malades nous promettent de passer pour le suivi médical, mais, ne reviennent jamais », déplore le kinésithérapeute. La santé n’a pas de prix, a-t-on coutume de dire. Malgré ses modestes moyens financiers, Bandogo Siboré a effectué le déplacement de Kaya pour acquérir une prothèse fémorale. Même s’il n’a pas eu la chance de Idrissa Sawadogo qui a pu obtenir une subvention de la RBC (100 000 F CFA sur les 250 000 F CFA) pour sa chirurgie orthopédique. Avec sa barbichette, le teint clair, il médite sur son sort. Après plusieurs tentatives pour mettre fin à sa vie, il s’est résigné. Dans sa chambre située à proximité de l’atelier orthopédique, où il nous reçoit, il nous égraine ses difficultés. Le couscous sec qu’il nous présente, nous en dit long sur son régime alimentaire, chacun devant assurer son petit déjeuner et son dîner. « J’ai besoin d’une prothèse qui coûte environ 200 000 F CFA. Après mon amputation à la suite d’un accident, j’ai dû fermer boutique et mettre fin à mon commerce entre Tenkodogo et Abidjan», explique-t-il, tout en plaidant pour une réduction du coût des appareils orthopédiques. «Par manque de moyens, je n’arrive pas à bien m’alimenter. Je demande un soutien de la RBC pour acheter cet appareil indispensable à ma locomotion», lâche-t-il. Mais, Yentchablé Name, technicien-orthopédiste, justifie la cherté des appareils. «Les prothèses fémorale et gritti coûtent respectivement 200 000 F CFA et 230 000 F CFA. Ces coûts sont déjà subventionnés. C’est ici, qu’on a le plus bas prix des appareils. Souvent, ces prix grimpent parce que certains donateurs qui nous fournissent le matériel de fabrication à moindre coût, sont en rupture. Si nos stocks s’épuisent, nous sommes obligés de commander le matériel qui coûte excessivement cher. D’où cette hausse des prix», indique-t-il. Face aux coûts exorbitants, le président de l’association Wend-Panga des personnes en situation de handicap de Korsimoro, Moctar Ouédraogo, en appelle à l’aide de l’Etat. «Les appareils orthopédiques coûtent très chers. Même si la RBC nous aide à acquérir des moyens de locomotion à moindre coût, des dizaines de personnes sont encore dans le besoin de ces outils pour leur intégration dans la vie socio-économique. L’Etat doit vraiment nous aider en les subventionnant», souhaite M. Ouédraogo. «C’est une chance pour nous d’avoir le projet RBC, à Kaya. C’est un partenaire. Compte tenu de la modicité de nos moyens, il nous accompagne pour le renforcement des capacités des personnes en situation de handicap et leur prise en charge médicale», reconnaît le chef de service de la promotion et de la protection sociale du Sanmatenga, Abdoulaye Bamogo.


« Il ne faut pas demander 5000 F CFA à quelqu’un…»


C’est dans cette dynamique de collaboration, dit-il, que les personnes en situation de handicap sont orientées, vers l’ONG, OCADES, porteuse du projet qui les prend en charge. Pour le responsable du projet RBC à Kaya, Edmond Kaboré, cette approche qui implique les parents, la communauté et la personne elle-même, selon ses priorités aux plans social, sanitaire, scolaire, chirurgical, orthopédique, et financée par les ONG Light for the world et CBM, touche près de 6 000 personnes dans le diocèse de Kaya qui couvre, les provinces du Namentenga, du Sanmatenga et une partie du Passoré (Yako et Tema Bokin). La RBC rencontre aujourd’hui l’adhésion communautaire même si, les pesanteurs socioculturelles «font que certains parents cachent toujours leurs enfants ; d’autres parlent même de leur élimination pure et simple», regrette-t-il. Cependant, la contribution financière qui leur est demandée est infime. « Il ne faut pas demander 5 000 F CFA à quelqu’un qui ne peut pas avoir 1 000 F CFA. Mais, si les parents ne contribuent pas, l’entretien des appareils orthopédiques sera difficile. C’est pourquoi, tout le monde doit s’impliquer dans la correction des déficiences et l’entretien du matériel». Il est 12h 45 au Centre Morija. Le soleil poursuit toujours sa course vers l’Ouest. Les patients font toujours leur entrée en salle de rééducation. Avant de mettre le cap sur Ouagadougou, Bandaogo Siboré que nous avons rencontré, nous lance ceci : « C’est comme ça, la vie à Morija. Mais tous, nous gardons, l’espoir d’être un jour, des hommes normaux ».


Abdel Aziz NABALOUM
emirathe@yahoo.fr
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