Politique
Ablassé Ouédraogo: "L’entourage du président lui pose problème"
Publié le mercredi 13 aout 2014 | L`Observateur Paalga
© aOuaga.com par Séni Dabo
Rassemblement du 31 mai : l`opposition fait le point des préparatifs Mercredi 28 mai 2014. Ouagadougou. L`opposition regroupée autour de son chef de file, Zéphirin Diabré, a animé une conférence de presse pour faire le point des préparatifs du rassemblement du 31 mai au stade du 4-Août pour lancer la campagne contre le référendum. Photo : Ablassé Ouédraogo, président du comité d`organisation du rassemblement |
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Le Dr Ablassé Ouédraogo, qui n’est plus à présenter, se prononce dans cet entretien, qu’il nous a accordé le lundi 11 août 2014, sur la situation nationale et les récents propos du chef de l’Etat, Blaise Compaoré, sur RFI. Sans doute pour avoir été un collaborateur du locataire de Kosyam, Ablassé Ouédraogo estime que l’entourage du président du Faso lui pose problème.
Le président du Faso, Blaise Compaoré, a récemment répondu au président américain, Barack Obama, en déclarant que «les institutions fortes ont besoin d’hommes forts». Si c’était un sujet de dissertation, quelle serait votre grille de lecture ?
• Pour moi, ce sont les hommes qui créent les institutions et leur donnent les moyens d’être fortes. De la même façon, les institutions, par leur bon fonctionnement, créent des hommes forts. Il y a donc une corrélation évidente. Selon mon analyse, l’homme fort est celui qui sait promouvoir le développement harmonieux de son peuple et de sa nation. Ce n’est certainement pas celui qui travaille à protéger ses privilèges et ceux de son clan et qui manipule son peuple en cherchant à opposer les uns aux autres et à profiter de cette division pour régner.
A mon avis, l’homme fort est celui qui a le courage de reconnaître ses limites et qui admet qu’il en a suffisamment fait au point de donner la possibilité à ses enfants et à ses petits-enfants de poursuivre son œuvre. Ce n’est pas celui qui, par crainte de devoir rendre des comptes à l’histoire, décide de finir ses jours sur le trône au détriment du développement de son pays. Les exemples dans les deux sens sont légion : Nelson Mandela, Abdou Diouf, JJ Rawlings, entre autres, pour le premier camp ; Kadhafi, Mobutu et Ben Ali, pour le second camp. Le président du Faso doit aujourd’hui se demander à quel camp il veut appartenir.
Au Burkina Faso tous les régimes successifs, depuis l’indépendance, ont travaillé à affaiblir nos institutions et on peut dire que l’analyse faite par le président Blaise Compaoré n’est pas fausse en ce sens que les institutions du Burkina Faso sont faibles, et cela se traduit par la neutralisation des contre-pouvoirs tels que le Parlement et la justice. Le chef de l’Etat doit comprendre et accepter qu’il est le principal artisan de cette situation et que le changement et l’alternance sont les seuls gages du progrès et du développement des peuples. Eu égard à l’amour, au patriotisme et à l’investissement personnel du président Blaise Compaoré pour son pays, il devrait prendre la mesure de la situation explosive dans laquelle vit le Burkina Faso actuellement et s’abstenir de tout acte ou décision qui conduiront inéluctablement notre pays au chaos. Je lui lance un appel à écouter moins son entourage et ses conseillers occultes de divers horizons dont l’action est en train de le conduire à la destruction de ce pays qu’il a pourtant contribué à bâtir.
Même si ce n’est pas encore acté, l’idée du référendum fait son chemin. Puisque l’opposition ne met pas en cause la légalité du référendum, n’est-il pas mieux pour elle de fourbir ses armes que de chercher à l’empêcher ?
• Le référendum est inscrit dans la Constitution, et les procédures y relatives sont décrites aux articles 49, 163 et 164 de la Constitution, selon la nature des sujets; personne ne conteste cela. Mais ce n’est pas parce que la Constitution autorise le référendum qu’elle le rend obligatoire. La Constitution actuelle de notre pays a été adoptée par référendum le 2 juin 1991 par le peuple souverain du Burkina Faso. Le référendum, lequel n’a pas encore été décidé, porte sur la modification de l’article 37 qui est contenu dans cette même Constitution. Pour l’opposition politique, notre pays, qui est actuellement dans une situation économique et sociale difficile pour ses populations, n’a pas besoin de référendum pour satisfaire les préoccupations d’un seul Burkinabè parmi 17 millions d’autres, à savoir le président Blaise Compaoré, qui est lui seul concerné par cette opération. Je répète ici que le référendum n’est pas une solution définitive en soi, est un facteur d’agrandissement de la fracture sociale et que son coût, estimé à 30 ou 40 milliards de francs CFA, est exorbitant. C’est fort de cela que l’opposition politique dit que le référendum est inutile ainsi qu’inopportun, et vous comprenez pourquoi nous nous battons pour qu’il n’y ait pas de référendum.
Pour la majorité pourtant, on ne saurait être démocrate et refuser le référendum. Avez-vous peur, comme elle le dit, du peuple ?
• Vous savez, il faut distinguer la loi et l’esprit de la loi. Ce qui blesse ici n’est pas la loi, mais plutôt l’esprit qui sous-tend cette volonté de réécrire la loi. Le peuple, c’est nous, et c’est aussi la majorité. Simplement, vous constaterez que les lignes ont bougé et que la peur est maintenant installée dans le camp d’en face. Le peuple, après avoir subi ce pouvoir pendant 30 ans, aspire dans sa majorité au changement et à l’alternance. L’état de fatigue de la population est une réalité. J’en veux pour preuve les résultats des manifestations organisées par les deux camps dans les différents stades de notre pays et dont la résultante manifeste est cet appel de Gaoua du Front républicain, la majorité présidentielle, au dialogue alors qu’il n’y a pas si longtemps, la même entité s’arcboutait sur des positions extrémistes.
Il est d’ailleurs question ces derniers temps d’une médiation internationale. Pensez-vous qu’elle a plus de chances de réussir que la fameuse médiation interne et celle du président ivoirien Alassane Ouattara ?
• Ayant arpenté suffisamment les couloirs des médiations, je puis vous assurer que le succès d’une médiation dépend de la confiance dont jouit le médiateur, qu’il soit national ou international, mais surtout de la volonté manifestée par les protagonistes d’un différend d’y trouver une solution gagnant-gagnant. Pour ce faire, il appartient aux Burkinabè de bien définir l’objet du différend et de se mettre d’accord sur le choix du médiateur parce qu’on ne s’impose pas médiateur. Le Burkina Faso vit une situation de crise réelle qui pourrait exploser à tout moment, et c’est heureux de voir que la Communauté internationale et tous les amis sincères du Burkina Faso surveillent notre pays comme du lait sur le feu. Pour toute personne consciente et ayant le sens du jugement, notre pays a rassemblé les ingrédients d’une crise profonde et violente comme malheureusement d’autres pays proches en ont déjà connu. Et j’avais déjà tiré la sonnette d’alarme le 30 juin 2012 sur ce danger.
Supposons, par exemple, qu’aujourd’hui Blaise jure la main sur le cœur que si on modifie la Constitution ce sera son ultime mandat. Est-ce que ce serait une concession acceptable pour vous ?
• Si j’ai un conseil à donner au président Blaise Compaoré, pour qui j’ai beaucoup d’estime et de respect, c’est d’accepter une sortie du pouvoir par la grande porte en respectant tout simplement le contenu actuel de la Constitution de la République. Aucun être humain n’a jamais fini ses chantiers sur terre, et aucun homme n’a jamais fini de construire un pays à lui tout seul. Je me réfère aux sages et pertinents conseils que le président Blaise Compaoré lui-même, en son temps, avait prodigués à son frère et ami le président Mamadou Tandja du Niger ; et l’on sait où le refus de ses conseils a conduit l’homme du Tazartché.
Vous qui avez été son ministre des Affaires étrangères et qui avez mis en œuvre sa fameuse diplomatie du développement, on peut dire que vous avez aussi participé à l’ancrage du régime. Le regrettez-vous aujourd’hui ?
• Absolument pas ! Je suis très fier d’avoir pu apporter ma brique à la construction de notre cher et bien-aimé Burkina Faso. Avec la mise en œuvre de la diplomatie du développement, nous avons remis notre pays sur la carte du monde, et cette politique a permis de redonner une nouvelle dynamique et un nouveau souffle au développement économique et social de notre pays. De 1994 à 1999, période de ma fonction ministérielle, les grandes rencontres internationales que notre pays a eu l’honneur d’organiser ont permis de réaliser de grands travaux au niveau infrastructurel et une base suffisamment solide de développement qui sont aujourd’hui exploités. Mon acceptation d’aller au gouvernement alors que j’étais déjà haut cadre des Nations unies avec un contrat permanent s’explique par ma volonté de donner aussi aux jeunes générations leur chance, car il faut le rappeler, fils de cultivateur que je suis, je n’aurais pas pu aller à l’école ni atteindre mon niveau actuel si je n’avais pas bénéficié des facilités offertes par l’Etat. Je dois donc ce que je suis aujourd’hui à l’Etat burkinabè.
Pour certains, c’est moins Blaise qui pose problème que son entourage. Etes-vous de ceux-là ?
• L’entourage du président Blaise Compaoré lui pose problème en ne lui permettant pas de comprendre l’aspiration profonde de son peuple. Et le président Blaise Compaoré, à son tour, induit en erreur par cet entourage, devient le problème de son peuple, qui ne connaît que lui et non son entourage. D’ailleurs, n’a-t-il pas affirmé dans son entretien avec des médias étrangers depuis Washington qu’il assumait la responsabilité de ses actes et de sa gestion du pays ?
Au début, beaucoup de gens étaient dubitatifs sur le changement des ténors du MPP qui étaient, il n’y a pas encore longtemps, les porte-flingues du président. Pour ce qui vous concerne, étiez-vous habité par la même méfiance ? Si oui, le doute est-il aujourd’hui levé ?
• En tant qu’homme politique pragmatique, je suis comme saint Thomas : je ne crois que ce que je vois. Nous avons applaudi la création du MPP en son temps avec l’espoir que son arrivée dans l’opposition politique affaiblira donc définitivement le pouvoir et son parti, le CDP, et que le changement et l’alternance arriveront plus vite. Avouez que c’est un apport inestimable au renforcement de l’opposition politique. Il est clair que nous attendons tous que le MPP fasse la démonstration que les espoirs que les Burkinabè ont placés en lui ne seront pas déçus.
A la création de votre parti, «Le Faso Autrement», nombreux sont ceux qui se demandaient aussi si vous n’étiez pas une torpille téléguidée de Kosyam pour freiner l’ascension de Zéphirin Diabré.
• Je pense que c’est à vous, observateurs très avisés de la vie politique de notre pays, et au peuple burkinabè tout entier qu’il appartient de juger l’action du parti «Le Faso Autrement», notamment sa contribution aux avancées de l’opposition politique burkinabè depuis sa naissance le 12 septembre 2011. Nous estimons avoir apporté un plus à l’éveil politique des Burkinabè.
Vous êtes un ancien du PNUD et de l’OMC, Zeph. aussi est un ancien du PNUD, y a-t-il une rivalité qui ne dit pas son nom entre les anciens fonctionnaires internationaux que vous êtes ?
• Non, pas du tout. Je pense que si nous avons pu tenir notre rang dans ces institutions internationales, c’est parce que nous avons les capacités et l’intelligence nécessaires pour pourvoir vivre dans des environnements assez complexes. Je puis vous assurer que le président Diabré et moi-même avons un objectif commun qui est celui de conduire le changement et l’alternance à bon port au Burkina Faso, et nous travaillons en rangs serrés au sein du CFOP avec les autres responsables de l’opposition politique à la réalisation de cette aspiration légitime de notre peuple dans sa quête de bonheur et de paix.
Propos recueillis par
Ouédraogo Adama
Damiss
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