Politique
Etienne Traoré à propos de la sortie de Blaise Compaoré : « Le président a rusé avec la vérité historique »
Publié le samedi 9 aout 2014 | Le Pays
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Les langues se délient au lendemain de la sortie médiatique du président du Faso, qui a déclaré depuis Washington qu’il ne peut y avoir « d’institutions fortes sans hommes forts ». Vous avez donc là, la réaction du professeur Etienne Traoré, pour qui, le président a rusé avec la vérité. Lisez !
Notre Président Blaise Compaoré, en guise de message à la Nation lors de la fête de l’Indépendance, nous a gratifiés d’une interview depuis Washington, le 5 août (date anniversaire de l’Indépendance du Burkina Faso) ; interview accordée à trois organes de presse étrangers : BBC, TV5 et France 24. Les Chefs d’Etat, généralement, par orgueil national ou par patriotisme, ne parlent pas des questions de politique intérieure hors de leurs pays. Dans notre cas, non seulement, notre Chef en parle abondamment, et pis, il tranche de graves questions intérieures, au moment même où on s’attendait à une accalmie, au regard notamment de sa dernière interview à « Jeune Afrique » où, après avoir pratiquement démarré sa précampagne référendaire à Tenkodogo et Réo, il déclarait qu’il n’avait pas encore pris de décision ; ce que nous avions normalement perçu comme un début de recul pour tenter encore un consensus avec son opposition. Ajoutons à cela cet « Appel de Gaoua » de son « Front républicain » qui, même surprenant, autorisait à penser à un relais pacifique face aux hésitations de leur patron.
Qu’a dit notre Président à ces journalistes? Comme beaucoup d’autres Burkinabè, je retiens essentiellement deux convictions du Président et deux niveaux d’argumentaires. Avant de revenir demain sur le volet extérieur de son intervention ( non à Obama et à son Ambassadeur au Burkina, non pas par patriotisme, mais au nom de ses intérêts personnels), je m’intéresse aujourd´hui à son volet intérieur.
Sa première conviction est celle de la nécessité d’un référendum rendu possible par la Constitution pour trancher une question qui divise nos compatriotes. La deuxième est que le Président américain à eu tort d’avoir dit que « L’Afrique a besoin d’Institutions fortes, mais pas d’hommes forts ». Pour notre Président, au contraire, il faut plutôt privilégier les hommes forts : » Il n’y a pas d’Institutions fortes, s’il n’y a pas d’hommes forts pour poser les jalons de ces Institutions dans la durée ».
Quant aux arguments, le premier n’est pas nouveau : le référendum est autorisé par la Constitution pour départager les Burkinabè après qu’il ait écouté et observé les différents acteurs. Il y ajoute, comme pour confirmer sa propre candidature et tourner le dos aux critiques, ceci : » Je pense que chaque pays doit forger son processus pour tendre vers l’idéal dans la stabilité« . La stabilité étant son monopole comme on nous le répète depuis longtemps (de l’intérieur comme de l’extérieur), considérant que, sans Blaise (donc à maintenir au pouvoir à vie), ce serait le chaos partout. Le second relève d’une double affirmation : celles de la relativité et de la souveraineté concernant la conduite des processus démocratiques : » Il n’y a pas d’expérience unique à partager à travers le monde. Je pense que chaque pays doit forger son processus ».
Je désavoue totalement cette façon de trancher des questions nationales à partir de l’extérieur
Voici ce que je pense de cette sortie étasunienne qui va réchauffer la politique des tranchées irréductibles car relançant les faucons dans les deux camps et qui annule de fait « L’appel de Gaoua » au dialogue du » Front Républicain « ainsi que toute autre forme de dialogue :
D’abord, je désavoue totalement cette façon de trancher des questions nationales à partir de l’extérieur, face à des étrangers et le jour de l’Indépendance nationale. C’est un manque de patriotisme et malheureusement une preuve de plus que notre Président se soucie plus de l’opinion internationale que de la nationale, de son image internationale plus que de la nationale. C’est l’opinion nationale qui devait avoir directement et ici, à travers la presse nationale, la primeur de cette déclaration de fin de tout dialogue et de la décision présidentielle d’aller à un référendum unilatéralement !
A propos du référendum, le Président a rusé avec la vérité historique, pris le risque personnel d’aiguiser la crise nationale, perduré à utiliser la lettre de l’article 37 contre l’esprit du même article pour se donner des chances de rester au pouvoir après 28 ans de règne! Je rappelle d’abord que l’article 37 a une histoire qu’il a tort d’oublier comme il l’a fait. La limitation du nombre des mandats présidentiels a fait l’objet d’un consensus national en 1991 après d’âpres débats. La première remise en cause de ce consensus a été faite en 1997 par sa majorité parlementaire, ce qui constituait déjà un recul démocratique, tant en démocratie, le consensus est toujours supérieur à une majorité, quelle que soit l’ampleur de cette majorité. C’est dans la recherche de solutions, suite à la crise née de l’assassinat du journaliste patriote Norbert Zongo, qu’on est revenu au consensus de 1991. A la fin de son mandat, c’est le Président Blaise Compaoré lui-même qui veut le remettre en cause, en instrumentalisant ses hommes et ses structures qui sont, entre autres, le Conseil consultatif pour les Réformes politiques (CCRP) dont l’objectif fondamental était de créer un Sénat qui permette au Président d’avoir la majorité qualifiée requise par la Constitution pour réviser l’article 37 en sa faveur.
L’article 37 en l’état actuel a bel et bien été source de stabilité et de paix
Nos concitoyens avaient ainsi si justement baptisé le ministre de ces réformes (le médecin-colonel Yé Arsène) de « ministre de l’article 37″; ses médiations internationale (de son protégé Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire) et nationale (du médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo, son ami qui doit pourtant sa vie au capitaine Sankara le 4 août 1983), pour demander aux partisans du respect de l’article 37 dans son état actuel, d’accorder un peu plus de temps anticonstitutionnel à Blaise pour préparer sa sortie en arguant que s´ils ne l’accompagnaient pas ainsi, ce serait l’instabilité assurée dans notre pays et la sous-région (naissance du MPP oblige!); des responsables politiques, religieux et syndicaux sont allés dans son sens, plutôt consciemment qu’inconsciemment … Et l’histoire le retiendra! Tous ces hommes et structures ont échoué en missions commandées!!! Je fais ce rappel pour aussi dire que l’article 37, en l’état actuel, a bel et bien été source de stabilité et de paix et que c´est sa remise en cause actuelle qui attentera à la stabilité et la paix, quelle que soit l’ampleur du succès que connaîtrait cet éventuel référendum fait pour l’intérêt d’un seul homme et non pour l’intérêt de la nation.
Le consensus a toujours eu l’avantage énorme et précieux de réunir la Nation autour de l’essentiel. Ce consensus aujourd’hui n’est pas brisé mais seulement remis en cause pour des intérêts partisans et souvent inavouables et par des agitateurs fort intéressés, munis de centaines de millions de frais de corruption. Et puis, la Constitution n’ouvre qu’une possibilité de remise en cause de l’article 37. Ce n’est donc pas une obligation comme veut nous le faire croire le Président. Et dans un système démocratique où les opinions naturellement divergentes se contredisent publiquement, si l’on devait organiser des référendums à toute contrariété entre citoyens, on en serait à des référendums quasi mensuels! Ici, il s’agit, au fond, d’un problème à la fois juridique et politique, dont la solution est aussi juridique que politique, mais plus urgemment politique. En effet, d’éminents juristes qui n’ont jamais été contredits, ont démontré que ce référendum potentiel était inconstitutionnel dans le fond et anticonstitutionnel dans sa mise en œuvre, excluant éventuellement l’Assemblée nationale. Et contrairement aux dires du Président, une autre possibilité existe : celle de renoncer à cette révision aux noms de la cohésion nationale, de la paix sociale et de l’alternance démocratique. En tout état de cause, il ne faut point perdurer dans l’illusion qu’un simple vote mettra fin à cette division orchestrée, tant cette révision est contestable au vu de l’esprit de la Constitution ( la limitation du nombre des mandats présidentiels), ce qui lui enlève ainsi toute légitimité. Ce défaut de légitimité, d’autres pourront légitimement l’invoquer demain pour contester les résultats du vote. Je suis donc persuadé que cet éventuel référendum ne résoudra pas la crise au Burkina.
Moi, j’appelle, peut-être pour la dernière fois, notre Président Compaoré à renoncer à ce projet dangereux et aventuriste
Cet éventuel scrutin va plutôt l´aggraver ! Des contestations légitimes et légales s’exprimeront, avant et après, obligeant le Président Blaise Compaoré à recourir à la répression préventive et post-électorale (s’il est réélu), c’est à dire le recours aux baïonnettes avant et après ce référendum ; ce recours aux baïonnettes qu’avait déconseillé Napoléon Bonaparte, stratège militaro-politique en ces termes : » DES BAÏONNETTES, ON PEUT TOUT FAIRE, SAUF S’ASSEOIR DESSUS »
Moi, j’appelle, peut-être pour la dernière fois, notre Président Compaoré à renoncer à ce projet dangereux et aventuriste qui, il le sait bien, est parti de lui-même et de sa famille. J’avais dit qu´il avait peur de quitter le pouvoir, mais un de ses collaborateurs les plus faux et lui-même ont dit qu’il n’en était rien. Alors où est le problème d’autant plus que le Président a demandé et obtenu une amnistie dont il est en réalité le seul bénéficiaire vivant? Monsieur le Président, votre projet nourrit beaucoup de personnes absolument convaincues de rien et prêtes à retourner leurs vestes dès que l’occasion se présentera. Je dis personnellement à Blaise Compaoré que s’il croit à la sincérité et la spontanéité des manifs de sa majorité, soit il a perdu pied avec la réalité, soit ses services de renseignements ne lui disent pas la vérité. Et dans tous les cas, c’est très grave et même dangereux! Je lui dis qu’il compte sur des hommes et des structures qui eux-mêmes ne comptent que sur lui le Président. Pour preuve, ils n’ont aucun argument autre que l’évocation du nom du Président Compaoré. Alors, Monsieur le Président, vous êtes bien seul aujourd’hui : si vous dites oui, ils répéteront oui, oui et toujours oui. Si vous dites non, ils répéteront non, non et toujours non… tant que vous les entretenez comme l’a dit Machiavel. Alors, sans eux, je vous souhaite la bonne décision patriotique qui reste votre seul salut. Je me rappelle le cas de Mobutu qui, voulant résister au multipartisme, disait qu’en Afrique on n’a jamais vu un village avec deux chefs dont l’un est dans l’opposition! Il ajoutait : » Chez nous en Afrique, deux têtes sur un seul corps est une monstruosité ». C’est l’un de ses conseillers, professeur de philosophie nommé Sakombi Inongo, qui lui avait rédigé un tel discours de refus. Mais à la chute de Mobutu, c’est lui qui avait été l’une des dents les plus dures contre son ancien patron, allant jusqu’à affirmer qu’il a vu à plusieurs reprises Mobutu boire du sang humain. Comparaison n’est pas raison, mais la raison ici, c’est que les conseillers devenus courtisans au point de ne plus vous dire que ce que vous voulez entendre, sont les mêmes sous tous les cieux : faux et hypocrites.
Je rappelle enfin que les spécificités africaines (que notre Président semble évoquer ici contre les critiques américaines) derrière lesquelles nombre de chefs d’Etat africains se réfugient pour refuser l’alternance en confondant Présidence de la République et Chefferie traditionnelle, ont souvent été mal interprétées pour servir des désirs d’autocraties, voire de dictatures. Je le répète, nos chefs africains ne sont pas des dictateurs par essence.
« Ce n’est pas le Roi qui a la coutume, mais c’est la coutume qui a le Roi »
Ils tiennent généralement la légitimité de leurs pouvoirs de la coutume qu’ils doivent eux-mêmes respecter et appliquer sans faiblesse, au risque d’être déchus : soit par contrainte au suicide, soit par empoisonnement rituel. Cette soumission à la coutume est telle que, dans ces chefferies (notamment chez nos compatriotes mossé), il est un adage qui dit que » Ce n’est pas le Roi qui a la coutume, mais c’est la coutume qui a le Roi ». Ici, en l’occurrence, la coutume, c’est la Constitution : il faut donc arrêter de la tripatouiller au gré des intérêts personnels ou partisans. Puisse le Président Blaise Compaoré m’entendre avant qu’il ne soit trop tard car, quoi que disent ses nombreux courtisans nationaux et internationaux nuisibles actuellement, il va à sa perte et en l’occurrence, ils le trahiront tous, en dehors de certains membres de sa famille. Les démocrates et patriotes continueront à se battre avec l’aide du Dieu Tout-Puissant et vaincront car allant dans le sens de l’histoire et de l’intérêt supérieur de la Patrie. C’est pourquoi je le répète encore : « Des nuages s’amoncellent dans le ciel du Burkina, mais il n’y aura pas de déluge ».
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