Réagissant à l’appel au dialogue formulé par le Front républicain depuis Gaoua, Etienne Traoré estime que « le dialogue pour le dialogue est stérile et s’apparente souvent à du dilatoire, ce qu’aucun démocrate raisonnable n’est obligé d’accepter »
D’abord un grand merci à L’Observateur qui, par son bon style journalistique, libre et humoristique qui le caractérise, a dit l’essentiel des vérités concernant cette offre. Comme beaucoup d’autres concitoyens je me pose ces questions : qu’y a-t-il de nouveau pour reprendre le dialogue et non pas des négociations? Comment peut on dialoguer autour de questions ayant déjà des solutions dans notre Constitution consensuelle de juin 1991, laquelle a contribué jusque là, à la paix et la stabilité? Et puis il s’agit bien de cette même Constitution consensuelle que notre président a juré de défendre dans sa forme et dans son fond (limitation du nombre des mandats présidentiels)!!! Pourquoi cette offre de dialogue à la veille du voyage du président Compaoré aux USA, quelques jours après avoir pourtant affirmé lui même sa quasi indispensabilité au pays dans une interview à Jeune Afrique (n°2792)? Des questions qui méritent des réponses claires pour créer le minimum de confiance réciproque préalable à tout dialogue qui veut réussir.
Par principe, tout démocrate admet le dialogue comme moyen de toujours mieux civiliser les rapports politiques et sociaux. Mais par principe aussi, l’on ne va au dialogue qu’en croyant, même à minima, à ses chances de succès. Car le dialogue pour le dialogue est stérile et s’apparente souvent à du dilatoire, ce qu’aucun démocrate raisonnable n’est obligé d’accepter. Le dilatoire est, dans le fond, un dialogue-alibi qui manque de respect à l’interlocuteur dont on se sert en cachant ses vraies intentions! Sachant d’expérience nationale que notre président ne laisse du lest que lorsqu’il se sent en position de faiblesse (c’est le cas maintenant par rapport aux puissances occidentales qui ne suivent plus Blaise Compaoré dans sa volonté de modifier la Constitution), il faudrait pour rassurer l’opposition, bien autre chose que les voix des dirigeants du " Front Républicain" qui n’ont absolument aucune autonomie, aucun pouvoir de décision! Ceux-ci abhorrent d’ailleurs le terme "négociation" et font presque du chantage à l’opposition : si le dialogue n’aboutit pas, disent ces dirigeants, nous allons recourir à ce que vous (de l’opposition) refusez, à savoir le référendum! Va-t-on à un dialogue sincère en menaçant ainsi son interlocuteur? Pourquoi le président lui même qui est en possession d’un mémorandum de l’opposition ne la rencontrerait-il pas pour un dialogue direct et fructueux? La crise étant nationale (même si elle n’est pas encore institutionnelle), pourquoi ne pas associer la société civile qui en est une déterminante partie prenante? Surtout que l’on doit tenir compte du déficit de confiance croissant entre nos concitoyens et les institutions républicaines ainsi qu’à ceux qui les animent.
Je me répète en disant que le consensus est toujours et davantage source de concorde nationale, de paix sociale et de stabilité politique qu’une majorité quelle qu’elle soit! Ce consensus a été obtenu en juin 1991. Rien, aux plans politique et social n’a changé au point de remettre en cause ce consensus. Sauf la seule volonté du président Compaoré! N’allez surtout pas me dire que ce consensus n’existe plus. Il s’agit en fait de sa remise en cause par des tripatouilleurs de la nouvelle mauvaise mode africaine (surtout francophone) pour transformer nos Républiques en de simples Royaumes où on règne à vie. Ils s’y efforcent à coûts de centaines (peut-être même des milliards) de millions de frais de corruption et d’un culte indécent et même blasphématoire de la personne de Blaise Compaoré (certains l’identifiant à un envoyé de Dieu.).
Je redis ma conviction : des nuages s’amoncellent dans le ciel burkinabè, mais il n’y aura pas de déluge. A condition que la lutte continue pour défendre notre Constitution, ce qui, du reste n’exclut aucun dialogue. Mais le dialogue vrai qui seul peut être fructueux.
Etienne Traoré, professeur de philosophie à l’université de Ouagadougou