Le Dima de Boussouma est l’un des 5 Dimas du Burkina Faso. Mais, il n’y a pas que dans la chefferie traditionnelle qu’il est connu. Dans la politique moderne, sa silhouette a toujours été présente à l’hémicycle, pendant la 2è, 3è et maintenant la 4è république. Le landerneau politique du Burkina, il le connaît bien. Y compris les personnes responsables qu’il connaît, alors qu’il n’était que sous-préfet. Notamment, Blaise, le chef de l’Etat. De la politique donc, il en parle dans cet entretien : référendum, article 37, la période chaude prérévolutionnaire, le mariage de Laurant Sédogo en présence de Sankara, Blaise, Henri Zongo… des chefs coutumiers, du MPP, de l’opposition. C’est un homme affable qui s’exprime, mais, qui ne transige pas avec ses convictions politiques.
Qui dit Dima de Boussouma voit toujours l’irréductible opposant, depuis les années 70, pourquoi une telle posture ?
En réalité, je ne suis pas un opposant irréductible. J’ai des principes, tout simplement. Quand je ne suis pas d’accord, je m’exprime. Depuis 1972, nous étions tous au Rassemblement démocratique africain (RDA) jusqu’à ce que les choses y tournent mal. Je n’ai pas claqué la porte du RDA. J’ai préféré suivre une certaine tendance du RDA. C’est-à-dire celle de Joseph Ouédraogo (Jo Ouéder). Il y avait deux tendances au RDA, sous la deuxième république. Celles de Joseph Ouédraogo et de Gérard Kango Ouédraogo qui se disputaient par le perchoir de la présidence. Gérard Kango a été Premier ministre et Jo Ouéder, président de l’Assemblée nationale. Mais, le RDA avait pris un engagement avec la chefferie traditionnelle. Au moment d’aller aux élections, ils s’étaient engagés à rétablir la chefferie, si avec l’appui des chefs traditionnels, s’ils arrivaient au pouvoir. Cet engagement a été pris, notifié par écrit et déposé chez le Moro Naaba et ce, devant le Dima. Et voilà donc Gérard Kango Ouédraogo, Premier ministre et Jo Ouéder, président de l’Assemblée nationale. Un an s’écoule, deux ans, trois ans, jusqu’en 1974, rien ne fit. Alors, nous avons dans un mouvement d’ensemble, essayé démocratiquement de remplacer Gérard par un autre Premier ministre qui pourra peut-être avec le temps qui reste, réaliser nos vœux. Nous ne voulions pas mettre Jo Ouéder à la place de Gérard. Certains l’ont pensé, mais ce n’était pas le cas. Il y a eu un mouvement d’ensemble des chefs traditionnels, des militants du Mouvement de libération nationale (MLN), du Parti du regroupement africain (PRA) de l’époque et certains du RDA qui ont formé un bloc pour essayer de dégager Gérard. Maintenant, n’ayant pas obtenu la majorité requise au sein de l’Assemblée, on a bloqué tout le travail du gouvernement. Tous les projets que le gouvernement envoyait à l’Assemblée, on avait une majorité pour les bloquer, mais on n’avait pas une majorité absolue pour descendre le Premier ministre. Notre constitution à l’époque, disposait que les 1/3 du gouvernement revenaient aux militaires et les jeunes militaires, voyant qu’on allait vers la fin de ce mandat, ont dit au président Sangoulé Lamizana que s’ils ne s’entendent pas, il faut les chasser. C’est ainsi qu’ils nous ont tous renvoyés par un coup d’Etat, le 8 février 1974. Voilà donc le récit succinct des évènements. Je ne suis pas l’éternel opposant, j’ai des positions tranchées et je me défends bien.
Vous êtes député, de façon discontinue, c'est-à-dire sous la IIème, IIIème et IVe république. N’êtes-vous pas fatigué de la politique ?
Si ! Je suis bien fatigué de la politique. Mais, ce sont les occasions qui font les larrons. J’ai été député depuis la IIe République, alors que je n’avais pas trente (30) ans. Premier vice-président de la IIe République. A chaque fois, ce sont les circonstances qui font que la situation nationale, surtout la situation locale chez moi, que je suis obligé de rester sur la scène politique pour ne pas être absolument détruit par les… (je ne vais pas citer de noms)
Mais comme vous êtes un des cinq Dimas (majestés), souvent vous n’avez pas besoin de faire de la politique ! Vous convoquez les chefs de villages et vous leur dites que vous voulez être élu. Est-ce que c’est comme cela que ça se passe ?
Ce n’est pas vrai ! Justement, les gens ont cru à cela et c’est pour ça que je suis tout le temps, élu. Je fais la campagne comme tout le monde. Je vais de village en village et je fais des meetings.
Mais, le fait d’être Dima pèse beaucoup !
Oui ! Je pense que ça aide énormément. C’est normal ! Sinon, ça aurait été inutile de continuer à exercer cette fonction. Moi, je suis Dima, parce que je crois que la population croit encore à ses coutumes, à sa culture. Il n’y a pas de problème. Le fait d’être Dima compte dans mes différentes réélections. Mais, il ne faut pas croire que je m’asseois sous mon hangar et je commande simplement les gens de voter Naaba Sonré. On se bat vraiment !
Certains pensent que la politique sous la Haute-Volta était meilleure que sous le Burkina Faso. Votre avis ?
Oui ! Cela vient du fait que sous la Haute-Volta, on a connu la révolution, mais on n’avait pas une idée de ce qu’elle était. La révolution a effrayé et handicapé les gens. Sous la Haute-Volta par exemple, à l’Assemblée nationale, sous la deuxième et même la troisième république, il nous est arrivé (l’opposition), pour contester l’élection de Gérard Kango Ouédraogo à la présidence, de nous déchausser pour taper sur la table comme des élèves. Parce le président devrait être élu à la majorité absolue. On a élu Gérard au premier tour avec 28, 29 voix sur 57 comme président de l’Assemblée nationale. Et au président d’âge de l’inviter à prendre son fauteuil. Nous avons dit non ! 29 n’a jamais été la majorité absolue de 57. Il faudrait au moins qu’on aille jusqu’au troisième tour pour voir. Ils ne l’ont pas accepté et nous aussi, on a dit que ça ne se passera pas ainsi. Quand il est monté, on l’empêchait de parler.
Quel jugement pouvez-vous porter sur le pouvoir de la IVème république ?
On sent encore la présence militaire. Ça fait peur. On a toujours peur. Même les gens du parti majoritaire, en s’exprimant, on sent qu’ils regardent toujours par derrière ou de chaque côté, s’il n’y a pas quelqu’un avant de dire ce qu’ils pensent.
Pourtant on est en démocratie !
Nous sommes en démocratie ! Mais sous la troisième République, on ignorait ces choses-là ! Même devant Lamizana, on dit ce qu’on veut. On risquait d’être fusillés. Mais, on a connu des cas de fusillade, de torture, de meurtre, sous la quatrième république. Ça reste dans l’esprit des gens. Maintenant, ça va un peu mieux. Sinon au début, attention ! Bien qu’on soit député, il fallait regarder deux fois, avant de dire ce qu’on pense. La politique était donc plus libre dans la Haute- Volta que dans la quatrième République.
Depuis quelques mois, il est question de référendum et de l’abrogation de l’article 37 de la constitution. Qu’en pensez-vous ?
C’est très simple. La constitution qui a été élaborée par le président Blaise Compaoré, au temps du Front populaire, a voulu un consensus autour de son adoption. Pour la présidentielle, c’est un consensus qui a été arrêté pour que le président soit élu sept (7) ans, renouvelable une fois. En tout, quatorze (14) ans. C’était un consensus pour pouvoir continuer. Tout le monde l’a accepté et on fait avec. Voilà qu’au bout d’un mandat, le président Blaise Compaoré a demandé une première fois qu’on révise cette constitution pour lui permettre de rempiler. Ça été fait. On a ramené en ce moment, la durée du mandat à cinq (5) ans. Il a renouvelé son mandat et maintenant, on pensait que cette fois-ci, le président n’avait même pas besoin de constitution. C’est une question de parole donnée. Je pensais simplement que ce n’est pas une question de loi ou de texte. On pensait naturellement que cette fois-ci, il n’allait pas manifester son intention de rester. Il est à son quatrième mandat ! On pensait logiquement que ça ne devrait plus poser de problème.
L’opposition pense justement que ce n’est pas normal, alors qu’au regard des dispositions de la constitution, la loi lui permet cela. Pensez-vous que c’est légitime et que la lutte de l’opposition va aboutir ?
Je ne suis pas sûr que la loi le lui permette. On a révisé, mais on n’a pas sauté le verrou de la limitation des mandats. Donc, le mandat est limité. La constitution lui permet de la modifier, mais normalement, il ne devrait pas le faire, parce que c’est un problème de parole donnée, d’honneur et de dignité. Il n’a pas à modifier la constitution.
Pensez-vous que la lutte de l’opposition est légitime ? Va-elle aboutir ?
Je ne sais pas si elle va aboutir ou pas. Mais c’est tout à fait normal que ceux qui s’opposent à la modification de la constitution s’organisent pour que cela ne soit pas fait. Mais en politique, les gens veulent l’alternance, sinon nous restons éternellement des opposants. Or, ce n’est pas ça la démocratie. La démocratie, c’est d’abord l’alternance.
Votre parti, le RDS, ne s’est pas sabordé dans le MPP, préférant avoir des relations de partenariat. Si vous devez un peu juger ce nouveau parti ?
J’ai salué la naissance du MPP, parce que c’était une marque de courage pour ces caciques du pouvoir qui ont eu le courage, à un moment donné. Quand vous prenez Roch, Simon et Salif, vraiment je les respecte, parce qu’ils ont eu le courage d’exprimer leurs opinions, en s’opposant à un ami de tous les jours. Même à quelqu’un qui, pratiquement, les a fabriqués. Ils ont eu le courage et ils connaissent bien ce qu’ils encourent.
Mais, est-ce que ce n’est pas une faiblesse, parce qu’ils ont composé avec justement, ce pouvoir qu’ils dénoncent aujourd’hui ?
Ce n’est pas parce qu’on est mauvais aujourd’hui qu’on ne doit pas s’améliorer demain et après demain ! Et c’est là justement, leur victoire. Ils ont composé, ils ont reconnu qu’il y avait eu des erreurs. On peut toujours changer et bien faire. Mieux vaut tard que jamais. Ils ont fait le pas et c’est très courageux. Nous, nous étions à l’opposition, ils y sont venus et ça nous suffit. Que nous soyons au MPP ou qu’on travaille ensemble, main dans la main, dans l’opposition, l’essentiel est que l’opposition a gagné et la victoire est maintenant certaine.
On sait aussi que vous avez de bons rapports avec Roch Marc Christian Kaboré. Si vous devez lui donner un avis, en tant qu’aîné dans la politique, que lui diriez-vous ?
Il est un chef de parti. Moi je suis dans un autre parti différent, mais de l’opposition certes, mais nous sommes dans des partis différents. Ça toujours été comme ça d’ailleurs. On s’entend très bien, mais ce qu’il faut, c’est d’éviter les erreurs que les autres avaient commises avant lui. Il a toujours été modeste, il n’a qu’à continuer à être humble, surtout ouvert, écouter tout le monde, tout simplement.
Les chefs coutumiers sont divisés aujourd’hui de nouveau, à cause de la politique. Est-ce que ça ne donne pas raison à ceux qui disent que ces derniers ne doivent pas faire de la politique ?
Les chefs coutumiers ne sont pas divisés. On n’est pas du même parti. Mais, les chefs coutumiers sont tous ensemble, à l’intérieur d’une organisation qu’on appelle syndicat des chefs coutumiers et traditionnels. Et il y a un conseil supérieur qui réunit les principaux rois et on fonctionne normalement. On tient des réunions périodiques, ensemble. Mais nous ne sommes pas dans un même parti politique. Certains sont dans l’opposition et d’autres avec le parti au pouvoir. C’est une opposition à la république, au parti au pouvoir, mais ce n’est jamais une opposition entre nous. Nous nous entendons bien pour parler. Normalement, il ne fallait pas mettre nos œufs dans le même sac. J’aillais dire que c’est même une stratégie.
Quand vous étiez sous-préfet de Ouagadougou, vous avez eu à marier Laurent Sédogo et ce jour, Blaise, Sankara et bien d’autres militaires qui ont pris le pouvoir par la suite, y étaient. Est-ce que vous deviniez à cette époque, que ces jeunes militaires allaient un jour, prendre le pouvoir ?
Ils étaient déjà au pouvoir, quand je mariais Sédogo. C’est lorsqu’ils ont renversé le gouvernement des colonels, le CMRPN (Comité militaire de redressement pour le progrès national) de Saye Zerbo. Alors que l’Assemblée nationale a été dissoute, parce que c’est le CMRPN qui a renversé la IIIème république et c’est lui qui m’a nommé sous-préfet de Ouagadougou. Quand maintenant les jeunes officiers, les capitaines avec le commandant Jean Baptiste, en tête, ont chassé le colonel Saye Zerbo, ils sont venus au pouvoir. Sédogo était parmi les putschistes. Je sais que c’était essentiellement les putschistes qui étaient venus dans mon bureau, un matin. Ce sont ceux qui ont chassé le CMRPN qui étaient venus chez moi, un matin. Je connaissais Sédogo, avant qu’il ne vienne se marier. Il était sur la route de Pô, par où justement, les Blaise sont passés pour venir faire tomber le régime. Il était déjà complice. C’était ces jeunes militaires, notamment les capitaines Blaise Compaoré, Thomas Sankara, Gouba, Henri Zongo, Ka Molé qui sont venus un matin, alors que je n’étais même pas prévenu, pour venir marier Laurent Sédogo. J’étais dans mon bureau, lorsque j’ai constaté qu’au secrétariat, les agents s’enfuyaient pour regarder quelque chose au dehors. Je me suis posé la question de savoir ce qui se passait. J’ai alors mis la tête au dehors et on me dit que ce sont les Thomas Sankara qui viennent. Je les rejoins, je les salue et ils me disent qu’ils sont venus pour le mariage de leur camarade Sédogo. Je leur dis que c’est très bien, mais vous auriez dû quand même me prévenir. Ce sont vous les nouvelles autorités du pays, vous devriez me prévenir, pour que je puisse prendre des précautions pour pouvoir faire le mariage comme il le faut. Alors je les ai tous invités dans mon bureau. J’ai commis un agent de l’état civil qui a préparé les documents et ils sont allés marier Sédogo avant de me dire au revoir. Quand ils sont partis, deux à trois jours, une semaine après, Thomas Sankara était nommé Premier ministre et Jean Baptiste, président. Voilà comment ça s’est passé. Mais, je les connaissais tous, en dehors de Gouba que je ne connaissais pas particulièrement.
Vous avez bien connu Blaise, quand vous étiez sous-préfet à Ziniaré, il venait chez vous régulièrement et vous vous fréquentiez. Quels sont vos rapports aujourd’hui, avec le chef de l’Etat ?
Je crois que ce sont des simples rapports. Nous sommes de grands amis, mais aujourd’hui, je dois reconnaître que nous sommes de part et d’autre, de la ligne. Lui, il est au pouvoir et moi de l’opposition. Mais dans un système démocratique, c’est bien compréhensible. Cela ne gatte en rien nos vieilles relations et autres. Chacun a ses idées, lui, moi et voilà.
Ça veut dire que vous vous voyez toujours !
Quand il y a l’occasion de nous voir, on se voit. Quand l’occasion se présente, c’est même toujours avec plaisir qu’on se rencontre. Soit au niveau de la chefferie traditionnelle, il nous (les cinq rois) reçoit régulièrement et c’est très agréable. A chaque occasion, on se rencontre et il n’y a pas de problème.