A l’orée de la fin de son mandat, le troisième à la tête de la commune de Ouagadougou, Simon Comparé fait le tour des organes de presse de sa ville. Ce n’est pas encore la visite d’adieu, mais cela y ressemble beaucoup. Le très médiatique maire de Ouagadougou est venu solliciter un dernier accompagnement pour les activités qui vont marquer la fin de son mandat. Il veut partir comme il est arrivé, il y a dix-sept ans, par la grande porte.
« Le Pays » : Que nous vaut l’honneur de cette visite ?
Simon Compaoré : Je suis en fin de parcours et je ne compte pas partir sur la pointe des pieds. Quand je prenais service, c’était à la Place de la nation. C’est là-bas que je terminerai. Mais avant, nous avons voulu organiser ou plutôt célébrer les dix-sept ans de décentralisation de la ville de Ouaga ; ce qui est en même temps pour nous un devoir de redevabilité, de compte rendu aux populations de cette ville qui nous ont fait confiance à moi et aux équipes qui m’ont accompagné. A cet effet, une kyrielle d’activités sont prévues (voir programme). Une grande rencontre est prévue avec la presse écrite, la radio et la télé. Pour la presse écrite (privée et publique), ce sera le 13 décembre prochain. Il s’agit de voir avec eux le bilan du travail accompli. Ce qui a réussi, ce qui n’a pas marché. Il n’y aura pas de sujet tabou. Toutes les facettes de la vie municipale pourront être abordées. Je demande donc à être malmené, mais ne vous inquiétez pas, je me suis entraîné à en donner des coups également (rires). Le 17 décembre sera la journée dédiée aux Hommes de médias. A cette occasion, il sera présenté le livre d’or de la ville. C’est un condensé de ce qu’on a pu faire pendant ces 17 ans. Je vais également rencontrer dans les cinq arrondissements de la ville un échantillon représentatif de la population pour des échanges, leur parler de ce qu’on a pu faire ensemble, de nos succès et insuccès. Ce sera une sorte de coucou d’au-revoir. Il y aura également un cyclo-cross et des baptêmes de rues. Voilà, j’étais venu vous remercier pour tout l’accompagnement dont mes équipes et moi avions bénéficié. Vous nous avez secoués quelquefois. On n’était pas toujours content, mais il faut cela pour que les choses avancent. Et je prie pour que les élections se déroulent très bien et que je puisse passer le témoin et tirer ma révérence.
Combien tout cela va coûter ?
Cela n’a pas d’importance. Quelqu’un qui a fait 17 ans, je pense avoir laissé quelques marques. Je ne peux pas partir sur la pointe des pieds comme un voleur. Je suis venu par la porte, je m’en irai par la porte. Je ne peux pas vous dire combien tout cela va coûter exactement, mais c’est de l’argent qui va être utilisé à bon escient. Il s’agit ici de montrer ce que Simon Compaoré et ses équipes ont pu réaliser pendant les 17 ans de gestion de la ville. Qu’est-ce que nous avons pu faire ? Quelles sont les leçons que l’on en tire ? Qu’est-ce qu’on transmet à la nouvelle équipe ? Avouons que si cela doit coûter quelques millions de F CFA, le jeu en vaut la chandelle. Mais, il n’y a rien de secret dans tout cela. Ce sont des deniers publics que nous utilisons. Il y aura un compte rendu et le maire qui viendra aura tous les éléments à sa disposition. S’il y a une chose pour laquelle je n’ai aucune inquiétude, c’est de ce côté-là. Même si c’est ce soir qu’on me dit de passer le témoin, je le fais sans problème car je n’ai pas de dossiers bizarres à camoufler. Il n’y en a pas. On peut chercher à en fabriquer mais vous le saurez. On va embellir la ville. Il y aura des guirlandes dans les rues. L’hôtel de ville sera relooké, etc. Tout cela, ce n’est pas à la gloire de Simon. Je ne vais pas emporter l’hôtel de ville à la maison. Je veux laisser quelque chose de propre à mon successeur.
Comment se prépare votre retraite ?
Je suis déjà à la retraite depuis le 19 septembre dernier. J’ai à mon compteur 32 ans de service au compte de l’Etat. J’ai eu mes 60 ans , donc frappé par la limite d’âge. J’ai reçu mon arrêté de mise à la retraite signé du ministre Soungalo Ouattara. Je suis maire et je continue jusqu’à l’installation du nouveau maire. Sachez que dans la vie, j’ai eu beaucoup d’accidents et le dernier a failli m’emporter. Je crois que Dieu m’a sauvé et il a dit que mon heure n’était pas encore arrivée. Voyez-vous, quelqu’un qui aime marcher et qui se retrouve aujourd’hui à marcher avec une canne. Je suis diminué physiquement. J’ai de la ferraille dans les jambes, dans la cuisse et il faut encore du temps. Mais je suis sain d’esprit. Je ne suis pas intelligent, je ne suis pas bête non plus. Qu’est-ce que je vais faire ? Je vais chercher du boulot sur la place. En partant d’ici, je vais voir votre patron et lui demander s’il n’a pas une place. Je ne suis pas journaliste ; je suis économiste gestionnaire. « Le Pays » est devenu une grosse boîte, s’il veut un gestionnaire confirmé, je le suis (rires). C’est ce que j’ai appris à l’université. La gestion de la mairie est accidentelle.
Vous parlez de relooker la mairie ; n’avez-vous pas peur de réveiller le dossier de la réhabilitation de la mairie qui a fait des gorges chaudes ?
Pour être court, parce qu’on aura l’occasion de s’étaler sur cette question le 13 décembre prochain, cette affaire de réhabilitation de l’hôtel de ville m’a blessé profondément. Je le sens comme une déchirure et je ne pardonne pas à ceux qui m’ont accusé. Si je peux m’enorgueillir de quelque chose dans ma vie, c’est d’avoir été honnête. Je n’ai pas besoin que quelqu’un le dise à ma place. J’ai travaillé à la Caisse générale de péréquation (CGP) avec un chiffre d’affaires annuel de 30 milliards de F CFA. Je n’ai jamais eu de problèmes. Ici à la mairie, le budget était d’environ 1, 5 milliard et maintenant 20 milliards de F CFA. Je ne me reproche rien. Je n’ai pas été malhonnête et Dieu seul sait que je pouvais barboter tous les marchés publics même si je n’étais pas le responsable des marchés. Demandez-leur si je suis déjà entré dans une salle et donner des instructions ou demander pourquoi un tel et pas un autre ? Je n’ai pas un seul dossier. C’est ma fibre de fils de pasteur qui parle. Je suis responsable et je ne veux pas assumer quelque chose que je ne reconnais pas. C’est méchant. C’est comme si c’était hier et c’est encore frais dans ma mémoire. Ce n’est pas encore guéri. Si on me demandait ce qui m’a le plus déçu dans ma vie, ce sont deux choses : quand j’étais à la CGP, une dame que j’ai affectée à Bobo m’a accusé de l’avoir fait parce qu’elle aurait refusé mes avances. Elle est allée voir une autorité pour cela. Je suis rentré chez moi, j’ai failli me suicider. Deuxième événement qui marque ma vie jusqu’aujourd’hui, c’est cette histoire de réhabilitation de l’hôtel de ville. Rassurez- vous. Quand je dis relooker, c’est juste la peinture. Ce ne sont pas de grands travaux. Mais, j’éprouve cependant un plaisir à voir les gens admirer l’ouvrage, à venir y célébrer leur mariage. L’histoire retiendra qu’on a été des femmes et des garçons courageux. Au moment où Rawlings venait visiter la mairie, c’était la catastrophe et je crois que ce jour-là, le président qui l’a accompagné ne devait pas être très à l’aise tout comme nous. L’hôtel de ville, c’est la maison commune, c’est la vitrine de la ville. Et quand la maison commune est désordonnée, chaotique, cela rejaillit sur l’image des habitants. Je n’ai pas honte de dire qu’on a bossé. Et si quelqu’un n’aime pas le petit Simon Compaoré, on a des résultats à montrer. L’autre jour, à New York, on a reçu des félicitations du secrétaire général des Nations unies. J’en étais très fier. Ce sont des gens qui n’ont rien à cirer de nos querelles ici. Ce sont des personnalités qui apprécient en toute indépendance. On ne peut pas dire que nous les avons corrompues. Ce que je voudrais dire, c’est que notre ville s’appelle la ville aux mille défis. Ce qui reste à faire dépasse de loin ce qui a été fait. Mais je n’accepte pas qu’on prenne prétexte de cela pour bêcher ce qui a été réalisé et les résultats engrangés. Aujourd’hui, si quelqu’un prend la mairie et décide de revenir sur la Brigade verte, je ne lui donne pas longue vie. Il va partir parce qu’il va être bouffé par les femmes, l’opinion nationale et même internationale parce que ces femmes-là ont acquis une renommée au plan international, jusqu’à Nankin en Chine continentale où elles ont remporté un trophée international. Ce n’est pas de l’autosatisfaction. C’est être fier de ce qu’on a fait et reconnaître humblement là où on a échoué. Il s’agit maintenant de savoir pourquoi on a échoué afin de permettre à ceux qui vont prendre le relais de faire mieux. Il a tellement de chantiers : les cimetières, les bordels (rire général dans la salle). Oui, on les appelle communément bordels, ces maisons closes.
Et les lotissements ?
Tout à fait. Mais ce que vous ne savez pas, c’est que 70% des habitants de cette ville sont propriétaires. A Ouagadougou, nous sommes dans une ville de propriétaires contrairement aux villes normales où la majorité des habitants sont des locataires. Ce sont les chiffres d’une étude faite par l’IRD (Institut pour la recherche et le développement). C’est un institut qui est respectable et on ne peut pas douter de la qualité de son travail.
Dans le livre d’or
« Le Journal « Le Pays » est un quotidien qui compte dans le paysage médiatique burkinabè. a fait ses preuves, a participé à l’ennoblissement de la démocratie au Burkina Faso et au moment où je tire ma révérence de la mairie de Ouagadougou, après 17 ans passés, je tiens à féliciter son fondateur, le DG et l’ensemble des journalistes qui nous ont accompagnés tout au long des trois mandats consécutifs. Puisse ce journal continuer à participer activement à l’écriture de la démocratie dans notre pays.