Avez-vous déjà assisté à ces enterrements d’errements où les «atalaku» vous prennent au cou, vous secouent au point de vous faire perdre le pouls ? Trop de mensonges qui rongent, trop de mises en scène parfois obscènes, exécutées sans gêne, face à la peine qui nous gangrène. Je déteste les oraisons funèbres, peu importe la saison ou les raisons, qu’elles soient écrites en prose ou en vers, peu importent les rimes qui friment en bout de phrase, ces discours intimes qui surestiment l’infime vie des hommes éphémères ne sont qu’un jeu de dupe ou l’on joue les bons tubes sous fond de pub. Voyez, comme le monde est hypocrite ! Si jamais vous mourez, vos défauts seront vos atouts, vos méfaits seront des bienfaits, vous verrez que vos pires ennemis vous traiteront de meilleur ami, vous n’entendrez jamais du mal de vous. Et là, vous rirez sous cape en regardant toutes ces larmes de crocodile. Que de larmes de charme !
Les morts n’ont jamais tort, mais le score qu’on attribue à celui qui dort est souvent loin de son sort. Le record de la bonté absolue se trouve parfois au pied de la tombe, au point que l’on peut se demander si ces flagorneries en valent vraiment la peine. Elles ne font qu’alourdir le fardeau du deuil, surtout quand on sait que le défunt n’était pas sans écueil. Il y en a qui se sont faits maîtres dans l’art de la rédaction de ces discours de vautours. Ils sont sollicités en qualité de troubadour pour vanter sans détour, le parcours du mort. Il commence toujours les premières phrases par des superlatifs et finissent le plus souvent leur baratin par des refrains de sanglots, qui frisent le complot, mais vite repris en chœur et à cœur joie par l’assistance sans joie. Il paraît même que certains ont des oraisons prêt-à-porter, savamment taillées sur mesure pour attendre le bon moment et balancer la trouvaille de taille et toucher davantage les âmes sensibles et les cœurs sans fusibles. Silence : «Nous pleurons aujourd’hui la disparition d’un homme bon et bien ! Il était vraiment disponible et engagé. C’était le pilier, la cheville ouvrière, la pièce maîtresse de notre direction. On pouvait compter sur lui de jour comme de nuit. Il avait un sens élevé du devoir et une soif intarissable pour le travail bien fait. Il était prêt à se sacrifier pour les autres et nous ne doutons point qu’il aura une place de miel au Ciel. Tu pars trop tôt au moment où nous avons vraiment besoin de toi, au moment même où nous étions sur le projet qui te tenait à cœur. Nous poursuivrons ton noble œuvre à la hauteur de ta grandeur. Tu vas nous manquer à jamais. Repose en paix…» Patati patata ! Ainsi, se déclament les oraisons de la déraison, par les poètes des ténèbres.
Mais à quoi bon attendre la fin d’un homme pour lui dire ce qu’on ne lui a jamais dit de son vivant ? A quoi sert de rimer pour frimer, de jongler pour gonfler, de jeter des fleurs déjà fanées à un damné ?
Mourez un jour et vous verrez ! Mourez et vous serez encensés d’éloges et de roses. Pourtant, quand vous étiez malade et agonisant, personne n’est passé vous rendre visite, personne ne vous a envoyé un SMS. Au service, vos collègues vous ont quasiment oubliés et certains se rappellent à peine de votre nom de famille. Aujourd’hui, ils viennent au seuil de du cercueil avec des feuilles en guise de deuil. Aujourd’hui, ce sont eux qui se disputent la paternité du mégaphone aphone pour s’offrir en spectacle dans une démonstration à la Molière. Malheureusement, la termitière des cimetières se moque des manières.
Et dire que le pauvre est mort de remords, sans réconfort, sans le moindre confort. Hier seulement, on l’appelait affectueusement «Agent condor» pour son efficacité, sa pugnacité et sa rapidité. Aujourd’hui, il n’a droit qu’à une oraison avec mention, une belle oraison d’orfèvre. Malheureusement, elle est funèbre. Il avait droit à plus qu’une floraison d’oraisons. Il avait droit à une ration, il avait droit à plus de compassion. Quelle déraison ! Laissez les morts partir sans leur faire subir le délire de vos bavardages inutiles. A tous ces poètes funestes qui infestent nos âmes de douleur, restez modérés et pondérés et surtout ne soyez pas trop inspirés. Au commencement était le Verbe certes, mais à la fin, trêve de verve, juste une gerbe !