Mercredi 16 juillet 2014, deux affaires étaient très attendues au tribunal de grande instance de Ouahigouya. La première, celle dite de «l’enseignant cocufié et mis en prison » qui oppose l’enseignant, Abdou Zoungrana, à sa fiancée, R. O. La deuxième affaire pour faits de diffamation oppose Tasséré Sawadogo, militant de l’Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA) à Alassane Traoré dit Roga Roga, militant du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Cette dernière sera reportée « pour complément d’enquête », dit-on. Quant à la première affaire, il s’agissait plutôt d’un délibéré puisqu’ayant fait l’objet de procès le 2 juillet dernier. Finalement, l’enseignant Abdou Zoungrana écope d’une peine d’emprisonnement ferme de 2 mois avec une amende de 300 000 F CFA. Retour sur l’affaire et son dénouement.
Dans une salle d’audience archicomble, l’ambiance le mercredi 16 juillet dernier au tribunal de grande instance de Ouahigouya était sans doute inhabituelle. Des dossiers et non des moindres à l’ordre du jour. Mais très vite, certains, avant même de pénétrer dans la salle d’audience, seront renvoyés à leurs occupations habituelles, car l’affaire qui oppose les deux hommes politiques de la ville sera reportée « pour complément d’enquête » (nous y reviendrons dans nos prochaines parutions).
Rappel des faits
L’autre affaire dont le journal Le Quotidien s’est fait l’écho concerne l’enseignant Abdou Zoungrana et sa fiancée, R. O. Une affaire, disions-nous, de mœurs car, cette dernière sortait avec un gendarme malgré l’opposition de son fiancé. Prise un jour en flagrant délit, R.O., enseignante aussi, dans sa tentative de fuite, tombe et se blesse au genou. Elle alla porter une plainte à la gendarmerie contre son fiancé. Dès lors, débutent des jours sombres pour Abdou Zoungrana. Puisqu’il sera convoqué à ladite gendarmerie à Ouahigouya, le 25 juin 2014, puis déféré à la maison d’arrêt de correction de Ouahigouya. Mais, les faits à lui reprochés, à en croire ses proches, sont « étranges ». « Vol, menace sous condition et coups et blessures volontaires », indique-t-on au tribunal de grande instance de Ouahigouya. Et c’est sur cette base que le procès a été tenu, le 2 juillet 2014. Procès au cours duquel, indique une source judiciaire, la charge du vol ne sera pas retenue. Reste les faits de « menace sous condition et de coups et blessures volontaires ». C’est sur ces faits à lui notifiés que le jugement a été suspendu en attendant le délibéré le 16 juillet 2014.
Où était le dossier de l’enseignant ?
16 juillet 2014. Il est 8 heures au tribunal de grande instance de Ouahigouya. Dans une salle d’audience pleine, obligeant certains à suivre par les fenêtres, les membres de la cour font leur entrée. Le dispositif se met en place. Le président du tribunal de grande instance de Ouahigouya, assisté par le procureur du Faso auprès ledit tribunal et un greffier, commence ce jour l’audience par une prestation de serments des greffiers stagiaires. Après cette formalité obligatoire pour tout stagiaire, place maintenant aux affaires du jour dont deux délibérés. Après le premier délibéré, le président du tribunal appelle un dossier au jugement. Le procureur du Faso rappelle celui de Abdou Zoungrana qui était pourtant le dossier qui suivait. Visiblement, son dossier n’était pas à cet instant-là sur la table du président du tribunal, qui continue néanmoins avec le dossier au jugement qui concerne un chauffeur ayant mortellement cogné un individu en circulation. Homicide involontaire, destruction de biens, manque de pièces, entre autres, les faits reprochés à ce chauffeur âgé de 47 ans contre qui il est requis une peine d’emprisonnement de 12 mois avec sursis.
Après cette affaire, l’audience sera suspendue. « Ils sont allés chercher le dossier de Abdou Zoungrana », nous rassure un employé de la justice chez qui nous nous sommes renseignés sur l’affaire. A leur retour, le président appelle Abdou Zoungrana. Chemise blanche, pantalon sombre, l’enseignant, avec assurance, se présente à la barre avec sa fiancée, ou du moins, désormais ex-fiancée. Le président du tribunal lit le délibéré de l’affaire. Contre Abdou Zoungrana, il prononce la sentence : 2 mois de prison ferme avec une amende de 300 000 F CFA. 10 minutes auront suffi pour situer Abdou Zoungrana sur son sort. « As-tu quelque chose à ajouter », lui demande le président. « Non », répond stoïquement Abdou Zoungrana qui rejoint la place des prévenus. « Et pourtant, nous nous attendions à son acquittement », s’écrit un de ses amis. « La justice nous avait rassurés qu’il sera libéré aujourd’hui », révèle une de ses sœurs. Pour sûr, ils étaient nombreux à parier pour la libération de Abdou Zoungrana. Une assurance qu’ils tiennent, disent-ils, d’une source judiciaire qu’ils n’ont pas voulu révéler. Que non ! Abdou Zoungrana retourne en prison pour plus d’un mois puisqu’ayant purgé quelques jours. La salle d’audience se vide de sa moitié. 5 minutes plus tard, un pick-up se gare devant la salle. Abdou Zoungrana sort et y monte en arrière avec un agent GSP. Doigt levé, il prononce une prière, se retourne, regarde candidement sa fiancée. Le véhicule démarre et s’en va. Ses proches, ses parents, ses amis lui souhaitent en chœur, « du courage ».
Les parents et amis de Abdou Zoungrana remontés contre sa fiancée
Place aux causeries et commentaires dans la cour du palais. Tous les regards étaient tournés vers sa fiancée, R.O. Qui pour la découvrir, qui pour la qualifier. Les termes sont souvent durs, voire amers contre la pauvre qui était avec deux de ses parents en train aussi, dit-on, de la sermonner. « Chacun se lève, j’ai une femme, fait de gros prêts et voilà où ça amène », ironise une femme. « On va l’attendre à la porte », décide la sœur de l’accusé.
Ainsi, les supporters de Abdou Zoungrana quittent la salle d’audience et se retrouvent devant le palais où chacun y va de ses commentaires et de ses révélations pour qualifier l’affaire. Mais, une chose est sûre, ceux qui étaient dehors attendaient, visiblement, la sortie de R.O. Soudain, une voiture se gare devant la porte du palais. « C’est le directeur de l’école où enseigne la fille », lance une jeune fille dans le groupe. Et c’est dans cette voiture que rentrera R.O. sous le regard médusé de ses contempteurs.
Par Yaya Issouf MIDJA et Drissa WENDBACK
Dans les coulisses de l’audience
﹡La fille sermonnée par ses parents
Après l’audience, R.O. s’est retirée avec ses parents en l’occurrence avec son oncle, dit-on. Pendant plus d’une heure, ils étaient en train de parlementer. Des discussions au cours desquelles la femme aurait versé des larmes, au regard de certains reproches que ses parents lui ont faits.
﹡Deux villages en conflit
Ceux qui connaissent l’histoire entre les deux amoureux, diront que l’affaire aurait due être réglée autrement. En effet, les deux viennent pratiquement de deux villages voisins. Abdou Zoungrana vient de Lilgomdé, et sa fiancée de Rikou, dans la commune Ouahigouya. Les parents se connaissent parfaitement, cultivant pratiquement côte à côte. D’où cette remarque d’une vielle : « Cette affaire, c’est pour mettre en palabre inutilement deux familles ».
Ce que cache cette affaire
S’il est vrai que les affaires de mœurs sont devenues si fréquentes au point que peu de personnes y apportent un intérêt particulier, il semble que l’affaire qui oppose Abdou Zoungrana et sa fiancée, au-delà de son caractère de mœurs, regorge de non-dits. D’abord au tout début de l’affaire, nous titrions, «Ouahigouya : un gendarme cocufie un enseignant et le met en prison ». Un titre qui a valu un point de presse animé par la gendarmerie nationale chargeant l’enseignant des faits de « vol, menace et coups et blessures ». Et pourtant, le seul péché de Abdou Zoungrana est d’avoir voulu surveiller sa femme avec laquelle il a passé plus de dix ans. Et dire que les deux n’ont pas un « acte de mariage légal », c’est insulter toute la société burkinabè. Car, avant d’être légal, qu’on le veuille ou pas, le mariage chez nous ici est avant tout social, réunissant plusieurs communautés. Toute chose qui fait son caractère sacré. Supposons même qu’on dénie à la société ses us et coutumes, le bon sens voudrait qu’on respecte le lien qui unit deux individus, fût-il, non formalisé. Et c’est la véritable raison pour laquelle nous avons attiré l’attention de l’opinion.
Mais contre toute attente, on ne présente pas Abdou Zoungrana comme une victime, mais un coupable. Parce que tout simplement, sa fiancée a été orientée dans sa plainte en retenant de lourdes charges : « Vol, menace sous condition et coups et blessures volontaires ». Heureusement, selon certaines informations, la charge du vol a été levée. De quoi s’agit-il ? Il s’agirait d’une somme de 71 000 F CFA qu’Abdou Zoungrana aurait volé dans la maison de sa fiancée lors d’un de ses passages au poste de cette dernière. Pour quelqu’un qui a payé les études d’une fille (lire le témoignage de la maman de l’enseignant) des années durant à hauteur de centaines de mille, on comprend difficilement qu’il tombe aussi bas en subtilisant 71 000 F CFA chez sa fiancée, enseignante. Et quand on connait la misère des salaires au Burkina, on se pose d’ailleurs plusieurs questions sur ce volet.
Que dire de « menace sous condition », une des charges qui concerne en partie, dit-on, cette histoire de wack qui relève plus de la fiction que de la réalité et pour lequel, nous ne voudrions pas nous attarder au risque d’être magicien. Même si on nous rétorquera qu’une menace reste toujours une menace, peu importe le moyen.
Enfin « coups et blessures » : Là, tous les témoignages font état que c’est lorsque la fille a voulu fuir qu’elle est tombée et s’est blessée. Dans ce cas, il semble qu’il y avait au moins un témoin, en l’occurrence l’amant de la fille. Que dit ce dernier ? A-t-il été attendu ? Qui est-il en réalité ? Mystère et boule de gomme. Voilà toute la problématique de l’affaire en ce sens que c’est après la blessure que la plainte a été portée contre l’enseignant. Encore que l’accusé aurait voulu qu’on appelle les témoins. Chose visiblement qui n’aurait pas été prise en compte.
Les témoignages
﹡Fati Ouédraogo, mère de Abdou Zoungrana : « Le Tout -puissant s’en chargera »
« L’histoire de Abdou avec cette fille a débuté lors d’un voyage sur Ouagadougou. De retour de ce voyage, il m’a dit qu’il a vu une fille de Rikou Beedgo et qu’il voudrait faire du sérieux. Je lui ai demandé s’il a pris des renseignements sur les origines et il m’a répondu par l’affirmative. Donc, nous avons fait toutes les démarches et le mariage a eu lieu. Juste quelque temps après, elle a eu un enfant. Il faut savoir que quand elle venait chez mon fils, elle n’avait que le CEP et Abdou lui a fait reprendre ses études jusqu'à obtenir son BEPC. Donc, il l’a inscrite sur titre à l’ENEP de Tougan pour deux ans et là-bas, les choses ne se sont pas bien déroulées. Il parait que l’école n’était pas autorisée. Elle a repris à l’ENEP de Ouahigouya jusqu'à ce qu’elle soit admise au test de recrutement. On l’a affectée à Séguénégua et c’est là-bas qu’elle a commencé à se comporter autrement. Les connaissances de mon fils lui ont fait savoir du comportement de sa femme. Vu la situation, mon fils a négocié pour qu’on l’affecte en cours d’année scolaire à Thiou. Dans cette localité, elle a repris la même conduite et on l’a informé de ses agissements. C’est ainsi que mon fils a commencé à se renseigner. On lui a fait savoir qu’elle sortait avec un gendarme de cette localité. C’est pourquoi, il est y allé pour la surveiller à son poste à Sounkouyi. Arrivé, il a trouvé qu’elle est sortie. Donc, il est resté pour l’attendre et c’est à l’aube qu’elle est revenue avec son amant. A leur retour, ils ont vu quelqu’un dans les buissons et pris de panique, ils sont tombés. Après leur chute, le monsieur a continué et elle l’appelait de revenir. En ce temps, mon fils était au logement de sa femme, il s’est rapproché de celui qui était dans les buissons et ce dernier lui a dit que c’est un homme et une femme. Donc, il a compris que c’est sa femme et son amant. C’est suite à cela qu’elle a convoqué mon fils l’accusant d’agression, de vol d’argent, et de menaces de mort. Après le verdict qui le condamne à 2 mois de prison et une amende de 300 000F, je n’ai rien à dire. Le Tout-puissant se chargera du reste ».
﹡Adama Ouédraogo, secteur 5 de Ouahigouya, oncle et tuteur de Abdou Zoungrana : « C’est un montage pour se venger »
« Je connais un peu l’histoire des deux. Il faut savoir que mon cousin a marié la fille quand elle n’avait que le CEP. Il l’a soutenue jusqu'à ce qu’elle soit enseignante de nos jours. Le constat est simple : après ses mauvaises conduites dans son poste d’affectation et les malentendus, la femme croyait toujours qu’Abdou allait faire retour pour négocier. Mais lorsqu’elle a appris qu’il a fait des fiançailles avec une autre fille, elle s’est levée pour le convoquer et voilà la situation. Dans cette affaire, je suis contre la manière dont la justice a tranchée cette affaire. Les faits sont clairs, la fille a fait un montage pour se venger et la justice aussi a tranché comme elle entend et ce n’est pas une bonne chose. Ces genres de verdict peuvent être sources de troubles à l’ordre, de recul de la justice parce qu’il a été injustement condamné. Mais face au pouvoir judicaire, nous ne pouvons que nous en tenir à leur décision. Sinon lorsque vous écoutez le public et ceux qui connaissent leur histoire, on voit la vérité. Je suis vraiment désolé de ce verdit qui condamne injustement Abdou ».