Mission quasi impossible pour Joachim Chissano. C’est du moins le sentiment qu’on a, suite à la nomination de l’ancien président mozambicain au poste d’envoyé spécial de l’Union africaine (UA) pour le Sahara occidental. En effet, cette charge lui a été confiée par l’UA, lors de son 23e sommet tenu à Malabo. Mais avant même qu’elle ait commencé, cette mission, bien que saluée par le Front Polissario, a du plomb dans l’aile à cause de l’opposition du Maroc à cette nomination. Le Royaume chérifien voit dans cette décision, la main de l’Algérie qui a toujours été un soutien sans faille pour le Front Polissario.
Le Maroc n’a aucunement l’intention de se soumettre à la décision de l’UA
Il est vrai que l’Algérie a apporté sa caution à cette nomination qui fait suite à un rapport du Conseil de paix et de sécurité de l’UA dirigé par l’Algérien Smaïl Chergui. Et pour le Maroc, tout cela est la preuve que c’est Alger qui a tiré les ficelles pour que Joachim Chissano soit mandaté à ce poste.
Il faut dire que les raisons de cette méfiance du Maroc vis-à-vis de l’Algérie remontent loin dans l’histoire même du Sahara occidental. En effet, le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie se sont d’abord disputé cette ancienne colonie espagnole avant que Mauritaniens et Algériens se retirent officiellement de la bataille. Ainsi donc, tout comme la Mauritanie, l’Algérie ne revendique plus, en tout cas pas de façon officielle, cet espace géographique comme partie intégrante de son territoire. Mais ce n’est pas du tout l’avis du Maroc. Du fait du soutien sans faille de l’Algérie à la lutte du Front Polissario pour l’indépendance du Sahara occidental, le Maroc estime que l’Algérie ne joue pas franc jeu. Selon Rabat, le Front Polissario agit pour le compte de l’Algérie. Ainsi, le combat de ce mouvement ne serait que la traduction concrète des manœuvres de l’Algérie qui agirait en sous- main. Bien entendu, Alger, de son côté, réfute ces accusations et dit soutenir la lutte du Front Polissario au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. C’est dire combien la méfiance, voire la défiance entre les deux Etats, est difficile à dissiper.
De plus et au-delà de ses ressentiments vis-à-vis de l’Algérie, le Maroc n’a aucunement l’intention de se soumettre à la décision de l’UA qu’elle juge « incompétente » dans ce dossier. Pour le Royaume de Mohamed VI, l’affaire du Sahara occidental serait « du ressort exclusif de l’Organisation des Nations unies (ONU) ». L’UA ne devrait donc pas s’y aventurer. Ce d’autant plus que le Maroc n’en est pas membre. Il faut noter, en effet, que le royaume chérifien s’est retiré de l’Organisation africaine en 1984, justement pour protester contre l’admission, en son sein, de la République arabe sahraouie démocratique qui a bénéficié du soutien de pays et de mouvements dont le Front de libération du Mozambique (Frelimo) auquel appartient Joachim Chissano, réputé progressiste et considéré proche de l’Algérie. En rappel, alors que le Front Polissario exige l’indépendance pure et simple du Sahara occidental, le Maroc n’accepte que l’idée d’une autonomie. Les Nations unies essaient depuis longtemps de trouver une solution à cette difficile équation et leur idée de référendum pour trancher la question n’a pas encore connu un début de matérialisation en raison, entre autres, de la complexité du problème et des difficultés pour l’organisation d’un scrutin fiable. S’étant retiré de l’UA pour protester contre la gestion de ce problème du Sahara occidental par l’organisation continentale africaine, le Maroc qui a multiplié les initiatives pour isoler les tenants de l’indépendance de cette zone, ne voit donc pas d’un bon œil ce regain d’intérêt africain pour ce conflit.
Il faudra espérer que Joachim Chissano soit mis en situation d’apporter une contribution
Mais, si on peut comprendre la méfiance du Maroc, on ne peut tout de même pas applaudir son attitude et ses propos à la limite outrageants envers l’UA et son envoyé spécial. Non seulement, l’ONU, dans son action à travers le monde, s’appuie sur les organisations régionales comme l’UA. Mais aussi, Joachim Chissano est une bonne référence sur le continent. En effet, l’ancien chef d’Etat mozambicain est actif dans la résolution des conflits sur le continent, en atteste son rôle de médiateur dans la crise malgache. La mission de parvenir à un compromis sur le sort du Sahara occidental est déjà si difficile en elle-même, qu’il n’y avait vraiment pas besoin d’en rajouter. C’est dire que le Maroc, qui coopère du reste avec l’UA d’une manière ou d’une autre, serait mieux inspiré s’il accordait à Joachim Chissano une certaine présomption de bonne foi, quitte à reconsidérer sa position suite aux actes que viendrait à poser cet envoyé spécial.
Certes, l’ex-chef d’Etat mozambicain a du pain sur la planche et on a du mal à voir sur quelles bases il pourra asseoir un dialogue fécond et non de sourds entre les protagonistes. Mais aussi difficiles qu’ils soient à instaurer, ces pourparlers n’en demeurent pas moins utiles. Un dialogue franc entre les protagonistes du conflit au Sahara occidental, serait même un moyen de limiter les risques d’une reprise des combats dans cette zone où les islamistes de tout poil ne se feront pas prier pour accourir. La gestion d’un possible embrasement du Sahara occidental dans ce contexte où l’ « International islamiste » a fait la preuve de sa redoutable capacité de nuisance ne serait pas une partie de plaisir pour le Maroc.
En tout état de cause, un dialogue entre Rabat et le Front Polissario est nécessaire pour maintenir un espoir, si mince soit-il, de parvenir un jour à la résolution pacifique et définitive de ce conflit. Il faudra donc croiser les doigts pour que toutes les initiatives pouvant contribuer à maintenir l’espoir de paix soient acceptées et encouragées par toutes les parties en conflit. Il faudra surtout espérer que Joachim Chissano soit mis en situation d’apporter une contribution utile à la résolution de ce conflit qui n’a que trop duré. Ce faisant, gageons que son rapport de mission, prévu pour être présenté au 24e sommet de l’UA en 2015, puisse confirmer que cette mission valait la peine d’être diligentée. Et si d’aventure quelque blocage devait persister du fait de la non- appartenance du Maroc à l’UA et de la méfiance subséquente qu’elle a vis-à-vis de l’Organisation africaine, il serait judicieux que l’ONU reprenne à son compte cette initiative qui, en tout état de cause, est complémentaire à la mission de l’UA au Sahara occidental.