L’ex-procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno Ocampo, avait annoncé la couleur : Laurent Gbagbo ne sera pas le seul à faire face à un mandat d’arrêt international suite aux violences postélectorales en Côte d’Ivoire. Ce n’est donc pas une surprise de voir cette même juridiction internationale demander aux autorités ivoiriennes de lui livrer une autre personne : Simone Gbagbo. Comme on le sait, l’ex-première dame de Côte d’Ivoire est en attente d’être jugée dans son propre pays depuis la chute du régime de son mari de président. Amnesty International appuie la demande de la CPI tout en rappelant la nécessité de sanctionner tous les coupables des deux camps. Il est probable que dans le contexte actuel du pays, la justice ivoirienne ne puisse pas être à même de garantir un procès équitable à l’ex-première dame et à d’autres barons du régime déchu. Aussi, les prévenus gagneraient à être jugés devant une juridiction où les droits de la défense ont plus de chance d’être respectés. De ce fait, la CPI serait, aux yeux de certains, l’assurance de cette justice impartiale que les démocrates appellent de tous leurs vœux. Il appartient aux autorités ivoiriennes de décider de la suite à donner à cette requête. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles ne semblent pas disposées par l’idée de transférer Simone Gbagbo à la Haye. En tout cas, elles ne font pas preuve du même empressement que dans le cas de Laurent Gbagbo. Comparaison n’est certes pas raison, mais il y a matière à réflexion quand même. Les raisons de cette attitude peuvent être multiples. On peut y voir une façon de soutenir l’indépendance de la justice ivoirienne devant laquelle la procédure contre l’ex-première dame est déjà en cours. Il est possible qu’il s’agisse également, dans le cadre des efforts de réconciliation, d’un clin d’œil fait au parti de l’ex- chef de l’Etat qui a refusé la main tendue du pouvoir suite à l’extradition de son mentor à la CPI. Mais, on peut aussi penser que cette attitude n’est pas dénuée de tout calcul politique. Simone Gbagbo est probablement un des éléments d’une liste qu’on imagine quelque peu longue, à en juger par l’ampleur des violences commises dans le pays. De prime abord, une extradition de Simone Gbagbo ne devrait pas empêcher le régime ivoirien de dormir tranquillement. Mais à y voir de près, ce n’est pas si évident que cela. La CPI semble prendre un malin plaisir à délivrer ses mandats d’arrêt aux compte-gouttes. Dans ce jeu, difficile de savoir ce qui peut arriver du jour au lendemain. A qui le tour après Simone Gbagbo ? Le régime d’Alassane Dramane Ouattara (ADO) est face à une situation complexe. Jusque-là, le transfèrement de Laurent Gbagbo semble avoir été quelque chose d’exceptionnel. Une nouvelle extradition suite à une requête du genre confirmerait la disponibilité des autorités ivoiriennes à coopérer pleinement avec la CPI dans ce dossier de violences postélectorales. Le principe serait ainsi acquis et une éventuelle remise en cause de cette disponibilité par le pouvoir en place serait vue d’un mauvais œil. Alors, que fera le régime d’ADO si demain la CPI venait à réclamer des têtes dans son propre camp ? Si un mandat d’arrêt du genre venait à être lancé contre un ou certains de ses éléments, le pouvoir d’ADO saura-t-il trouver des arguments convaincants pour refuser de faire demain ce qu’il aura fait hier et confirmé aujourd’hui avec les autres ? Difficile s’il tient à se faire respecter. Pourtant, la violence en Côte d’Ivoire n’a pas été l’affaire d’un seul camp. Ce serait d’ailleurs une lapalissade. Les degrés et les niveaux de responsabilité peuvent varier, mais dans le fond, il y en a dans les deux camps opposés qui ont des choses à se reprocher. C’est du reste ce que confirment des rapports de certaines organisations comme Amnesty international. Comme on le sait, la CPI essuie déjà de sévères critiques relativement à son incapacité à être impartiale, à réprimer comme il se doit des crimes massifs commis dans le monde par de grandes puissances. Dans ces conditions, on imagine mal cette juridiction se hasarder à confirmer ce sentiment dans le dossier ivoirien. On peut, de ce fait, légitimement penser que tous les présumés coupables seront appelés à répondre de leurs actes et ce, tôt ou tard. C’est dire donc l’embarras dans lequel se trouve le président Ouattara qui a des brebis galeuses à extirper de ses propres rangs mais qui, au regard de la fragilité de son pouvoir, craint certainement de scier la branche sur laquelle il est assis. Il n’est donc pas évident qu’il soit disposé à ouvrir la boîte de Pandore. Mais pourvu seulement que la justice n’en fasse pas les frais.