Et l’Egypte qui fait encore parler d’elle. Depuis la nuit du samedi, jusqu’au dimanche, des populations hostiles à l’élargissement des pouvoirs du président égyptien Mohamed Morsis ont investi la célèbre place Tahrir, au Caire, pour exiger le retrait du décret constitutionnel confinant dans les mains du seul chef de l’Etat, les plus hautes prérogatives judiciaires. Le président égyptien qui détenait déjà les pouvoirs législatif et exécutif conforte sa superpuissance institutionnelle en s’octroyant des prérogatives judiciaires.
Poussé de sa tanière par une foule massée devant la présidence, Morsis a justifié sa décision par « la nécessité de préserver la révolution ». Cependant, le président est loin de pouvoir convaincre l’opposition unie autour du Front du salut national crée le 24 novembre et regroupant des partis laïcs, des courants révolutionnaires et des courants dits islamisants contre Morsis et ses fidèles acolytes, les islamistes qui prévoient des contre-manifestations les jours qui suivent. C’est autour des règlements de compte post révolutionnaires que le peuple égyptien met à nu ses clivages les plus profondes et les plus déplorables. « La révolution finit par bouffer ses enfants » dit-on. Et il faut une intelligence lucide pour éviter de donner à cette assertion tout son sens. Confusion.
Est l’ambiance qui entoure les palais de Justice après la chute de Hosni Moubarak et l’investiture de Mohamed Morsis. Des plaintes sur fond d’accusations malveillantes ont d’abord ciblé les ex-occupants du navire moubarakien, les envoyant à l’abattoir au mépris des règles et principes élémentaires du droit de la défense. Ensuite, les frères islamistes, dans une logique bien affichée d’intimider les opposants des présidents Morsis issus de leurs rangs, ont entrepris depuis un certain temps de porter plaintes contre des leaders de l’opposition tels Mohamed el-Baradei et le socialiste Hamdin Sabbahi, pour tentative de coup d’Etat. Si la nomination du nouveau procureur général a été bien accueillie par les islamistes, la contestation de la partialité de ce dernier crée des grognes dans le pays du Pharaon.
Et pour mettre fin à toute opposition, le président Morsis, 24 h après avoir réussi à obtenir le cessez-le-feu entre Israël et Palestine a donc décidé de « s’imposer comme le défenseur suprême de la révolution » en adoptant un décret constitutionnel manifestement impopulaire. En quoi la garantie des acquis de la révolution peut-elle justifier la violation du principe sacro saint de la justice : l’impartialité ? En tout cas, cette attitude qui vide et avilit le corps judiciaire a suscité aussi un remous dans le cercle des enfileurs de toges. Selon la presse égyptienne, le Conseil supérieur de la magistrature a signifié toute son indignation face au décret. Dans un communiqué publié le samedi 24 novembre 2012, le Conseil a relevé que ‘’la déclaration constitutionnelle annoncée jeudi par la présidence est une attaque sans précédent contre l’indépendance du pouvoir judiciaire et ses jugements’’. Aussi, le Conseil supérieur de la magistrature a-t-il exhorté le ‘’président de la république à distancer ce décret de toute éventuelle violation de l’autorité judiciaire”.
Voilà le dédale bien dressé où Morsis doit saisir l’occasion de marquer une petite distance avec les frères musulmans résolument engagés à desservir le peuple égyptien. La volonté de préserver les acquis de la révolution pour laquelle bien de sacrifices ont été faits par le peuple égyptien, mieux qu’un décret d’empereur baroque, ce qui est recommandé, c’est l’écoute du peuple et non l’attachement aux velléités d’un groupuscule. Déjà, certains n’hésitent pas à établir une comparaison entre le pouvoir de Moubarak et celui de Morsis. Les partis à tendance libérale faisant allusion au pouvoir du dernier parlent d’un « Pharaon dont la dictature est pire que celle de Moubarak » et soulignent que le raïs dispose aujourd’hui de tous les pouvoirs: exécutif, législatif et judiciaire. Il y a un an environ, les sujets du pharaon, épris des valeurs de démocratie et de liberté ont enclenché la longue et sanglante marche de la révolution. Une marche au cours de laquelle le peuple aura bu à toutes les coupes : celles de l’humiliation, des amputations, voire du trépas. Il sera récompensé en partie par le départ du dictateur Moubarak et son cortège oppressif.
Plus d’une année encore, le peuple égyptien attendant le lever du soleil de la démocratie, le vrai fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs tant prônée par le peuple. Les jours suivants s’annoncent inquiétants au Caire. On craint un affrontement entre les frères islamistes et l’opposition unie autour du Front pour le salut national. Mais, la solution est là : à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu. Le judiciaire au corps judiciaire l’exécutif au gouvernement et la tête du Pharaon trouvera son repos