Les vendeurs ambulants sont de plus en plus nombreux à Bobo-Dioulasso. Les femmes et les hommes qui s’y adonnent, nourrissent le secret espoir de se construire un avenir. Cependant, voir des enfants de bas âge pratiquer cette activité risquée et instable au détriment de leur scolarité, interpelle les consciences.
On rencontre les vendeurs ambulants un peu partout à Bobo-Dioulasso : dans la rue, sur les places publiques, dans les services publics et privés même dans les domiciles. Ils sont facilement reconnaissables grâce aux articles qu’ils arborent et proposent à tout venant. Ce sont entre autres, des parfums, des ceintures, des brosses à dents, des téléphones cellulaires, des lunettes, des montres bracelets, des mouchoirs, de la pâte dentifrice ou des vêtements qu’ils portent sur la tête, sur l’épaule, ou qu’ils tiennent en main ou poussent dans une charrette. Leurs marchandises sont très variées, puisqu’il y a également des fers à repasser électriques, des rasoirs, des ventilateurs portatifs, des serrures et cadenas, des lampes et torches électriques rechargeables… Ils se battent ainsi pour gagner leur pitance. La plupart d’entre eux disent être venus dans cette activité faute de mieux. Fidèle Zoungrana, la quarantaine, est vendeur-ambulant depuis cinq ans. Pour lui, c’est mieux que mendier, car il n’y a pas d’emploi. Quant à Mariam Ouédraogo, elle dit nourrir sa famille grâce à son commerce. Selon ses explications, elle a commencé à vendre quelques pagnes qu’elle prenait chez d’autres commerçants. Aujourd’hui grâce à Dieu, a-t-elle déclaré, elle dispose d’une charrette pleine de pagnes, d’habits, et de foulards qu’elle pousse à travers la ville. «Je n’ai pas de place fixe. Je me rends généralement dans les gares routières pour chercher les clients. Lorsque les véhicules s’en vont, je me repose un peu puis je continue à vendre en rentrant chez moi », confie-t-elle. Cependant les agents communaux, explique-t-elle, lui font payer souvent la patente. «Ils nous font payer 3000 F CFA au moins une fois par an. Si tu ne t’exécutes pas, on saisit tes articles», affirme Mariam Ouédraogo. Fayçal Waoura, lui, est un jeune togolais. Il dit avoir quitté l’école en classe de première. Orphelin, il a dû abandonner les bancs, car il n’y avait plus espoir de réussite. De la vente des montres d’occasion communément appelées «montres France-aurevoir», il s’est retrouvé à Bobo-Dioulasso, où il a été victime de vol. Il vit dans la famille Guira qui a accepté de l’héberger. Aujourd’hui, Fayçal Waoura s’est mis dans la vente de parfum. «Je ne connaissais personne pour m’aider, il fallait donc que je me débrouille », déclare-t-il.
Les enfants de plus en plus nombreux dans cette activité
Pour tous ces vendeurs, le marché est dur, mais il faut s’armer de courage. C’est justement avec «ce courage», que des enfants se sont lancés dans cette activité. Ils sont pour la plupart du temps sans parents proches ou quelqu’un en mesure de les aider à subvenir à leurs besoins. Une situation qui a conduit certains à abandonner les classes. D’autres, par contre, n’ont même pas eu la chance d’aller à l’école. Dans les rues, les restaurants, tout comme dans les services, seul ou en groupe, ces enfants se promènent toute la journée avec leurs articles. Aucune peur d’affronter le regard des adultes auxquels ils présentent leurs produits dont ils vantent les qualités. Souleymane Diarra, âgé de 13 ans, dit avoir quitté l’école depuis le CM1, n’ayant pas d’argent pour sa scolarité. Fils de commerçant, il vend des brosses à chaussures, des brosses à dents, des miroirs, des chargeurs de téléphones portables qu’il transporte à l’aide d’une brouette. « J’ai commencé avec 5000 F CFA que m’a remis mon père. Petit à petit, j’ai pu acheter une brouette et la remplir d’articles », dit-t-il. Même si Souleymane Diarra rêve d’ouvrir un jour sa propre boutique pour y vendre ses marchandises, il regrette cependant d’avoir abandonné l’école. « Je compte m’inscrire au cours du soir parce que j’aime l’école», ajoute-t-il. A la différence de ce jeune, d’autres enfants sont employés par des personnes avec lesquelles ils n’ont aucun lien de parenté. C’est le cas de Souleymane Traoré, 17 ans, qui travaille depuis deux ans pour l’oncle d’un ami vendeur-ambulant comme lui. «Mes parents sont en vie et ils m’encouragent à bien faire mon travail », dit-il.
Une main-d’œuvre bon marché
La situation de ces enfants mérite une certaine attention. Selon le chef de service de l’Action éducative en milieu ouvert (AEMO), Soumaïla Bamba, inspecteur d’éducation spécialisée, la plupart d’entre eux sont « des enfants en situation de rue ». Selon ses explications, les enfants qui, dans la journée sont dans la rue et le soir rentrent en famille, sont appelés «enfants dans la rue », tandis que ceux qui ont comme domicile la rue sont les «enfants de la rue». Une situation qui les expose à plusieurs risques : exploitation économique parce que certains voient là une main-d’œuvre bon marché, exploitation sexuelle par des adultes, dit-il. A cela, s’ajoutent les violences physiques. « Certains enfants sont utilisés comme indicateurs par des voleurs ou c’est eux-mêmes qui sont envoyés par des adultes pour voler », fait comprendre M. Bamba. Le comble, selon lui, c’est que les enfants perdent l’amour d’autrui pour avoir été endurcis par la rue. Les risques qu’encourent les enfants sont connus par les parents. Cependant ils n’abordent pas le problème sous le même angle. Selon Amidou Bondé, commerçant à proximité du grand marché de Bobo-Dioulasso, c’est Dieu qui est le garant des enfants. Pour lui, le commerce permet aux enfants de se débrouiller, au lieu de n’avoir rien à faire à la maison. «Je sais que les enfants peuvent être détournés, mais Dieu est là pour les aider. Si mon enfant ne revient pas après une sortie, je serai triste mais je ne peux pas lui dire de rester à la maison pour ne rien faire », souligne-t-il, tout en précisant qu’il ne laisse pas les filles faire le commerce ambulant. Quant à Aïcha Koté, une vendeuse de pagnes, elle pense plutôt que les enfants qui ont moins de 15 ans ne doivent pas se pavaner pour vendre des marchandises. Elle dit employer des filles qui ont plus que cet âge. En outre, Mme Koté a fait comprendre que le commerce est dangereux pour les petites filles qui peuvent être victimes de viol.
La mission de l’AEMO, service de la direction provinciale de l’action sociale et de la solidarité du Houet, consiste à faire retourner les enfants dans leur famille, qu’ils soient de la rue ou dans la rue. Une difficile réconciliation, quand certains parents même refusent leur propre enfant. «Certains parents ne veulent plus de leur enfant. Ils disent que son absence permet la stabilité dans le foyer et nous demandent de le garder », explique-t-il. En 2014, sur 540 enfants en situation de rue enregistrés, seuls 40 ont été retournés en famille, selon M. Bamba.
Appel à la responsabilité des parents
Les raisons évoquées par les enfants pour abandonner leur famille sont multiples, selon le chef de service de l’AEMO. Pour arriver à les connaître, un lien de confiance est important. «Souvent, les enfants ne vous donnent pas leur vraie identité. Lorsque la confiance va s’installer, ils commencent à dévoiler un pan de leur histoire», indique-t-il. Ce sont entre autres, la mésentente dans le foyer, les violences subies dans les foyers avec les recompositions des familles (le remariage), les enfants confiés laissés à eux-mêmes au regard de la conjoncture économique difficile des parents-hôtes. Soumaïla Bamba parle aussi du décrochage scolaire et de la mauvaise compagnie que les enfants ont à l’extérieur de la famille. Au regard de la triste réalité, il demande aux parents de faire encore preuve de responsabilité dans l’éducation de leurs enfants. «On ne doit pas rejeter son enfant parce qu’il ne se comporte pas bien. Nous devons nous interroger sur notre responsabilité. Les parents doivent faire des efforts dans l’éducation des enfants», déclare-t-il. A travers son analyse, il y a comme une fuite de responsabilité des parents eu égard aux interactions qui influencent l’éducation des enfants. Par exemple, la recherche effrénée de la richesse prend le plus de temps, parce que nous pensons que c’est l’argent qui fait le bonheur. Les parents manquent de temps pour s’occuper de l’éducation de leurs enfants. Ils n’accordent de temps ni à leurs familles, ni à leurs enfants. «Même les week-ends, on veut travailler», fait comprendre Soumaïla Bamba avant de renchérir : «Nous pouvons avoir l’argent, mais sans l'éducation de nos enfants, ces derniers dilapideront un jour cette richesse après nous... L’incivisme n’est qu’une des conséquences de la démission des parents dans l’éducation des enfants ». En attendant, la proportion inquiétante des enfants parmi les vendeurs-ambulants mérite que les autorités et la société entière se penchent sur la question.