Abdoulaye Konaté est connu pour ses sculptures textiles composées de centaines d’amulettes évoquant la tenue des chasseurs Dozo ou des musiciens sénoufo. Les années ont passé, et l’artiste a approfondi cette démarche tout en se renouvelant. Son expo à la Dak’art 2014 prouve que l’artiste africain nest ni condamné à émigrer en Occident ni à renier sa culture pour réussir.
Cet artiste plasticien malien sexagénaire qui vit et travaille à Bamako est actuellement le directeur de l’Institut national des Arts de Bamako (INA). Fonctionnaire et artiste, il a réussi la prouesse de s’inscrire résolument dans l’art contemporain tout en puisant dans le fond culturel et pictural de l’Afrique pour nourrir son imaginaire.
Dans les années 90, au moment où les artistes plasticiens utilisaient les artefacts culturels africains comme des objets d’exotisme, lui exploite les amulettes pour donner de la texture à ses œuvres mais surtout pour évoquer une Afrique fédérale avec une armée transnationale, les chasseurs dozos en l’occurrence, qui ont existé au 13e siècle avec l’empire du Mandé.
Il fut lauréat du Grand Prix Léopold-Sédar-Senghor de la biennale de l’art contemporain (Dak’art) en 1996, avec une de ses œuvres dénommée Hommage aux chasseurs du Mandé. Ces productions, quasi monochromes, ocre, ont cédé la place à des œuvres plus ouvrées dans la forme et avec une palette chromatique plus riche.
Ainsi, de sa dernière exposition à l’Institut français de Dakar en mai 2014, qui regroupe des œuvres de la dernière décennie, on peut dire que son travail suit deux lignes de rail : la première est une recherche sur la couleur et le volume, la seconde reste la thématique sociale. En effet, l’épurement des formes et le traitement de la couleur sont perceptibles dans ces œuvres-là.
L’artiste assemble des milliers de bandelettes de tissu sur un support et varie les couleurs pour obtenir un effet d’optique. On a des œuvres qui paraissent monochromes comme ses Compositions et ses Bleus qui se déclinent en série mais sont des dégradés avec d’infimes nuances. Il y a toujours une couleur dominante (Blanc, violet, Bleu), mais l’intrusion d’une autre couleur, un rouge ou un blanc, donne à l’ensemble un caractère énigmatique.
Si l’artiste a évolué dans ses recherches sur la forme et les couleurs dans ces sculptures de tissus qui tendent à l’abstrait, il reste fidèle à son engagement social et expose aussi des créations figuratives qui sont des appliqués sur tissus. Cette série de toiles évoquent les bruits et les fureurs du monde.
Sur ces toiles au fond blanc, des cimeterres, des minarets et des croissants lunaires sont ainsi cousus. On l’aura compris, l’artiste questionne le monde actuel tant sur les plans politique que spirituel. Ici, la dénonciation de l’islamisme dans le septentrion malien avec Non à la Charia à Tombouctou. Gris-gris pour Israël et la Palestine est une grande toile qui juxtapose le keffieh palestinien et l’étoile de David, c’est un appel à la paix des braves au Moyen-Orient.
Quant à Génération biométrique, qui représente un jeune homme, calotte crânienne ouverte, qui tend son cerveau, elle dénonce l’immigration choisie, ce pillage des cerveaux africains par l’Europe qui fait suite à l’esclavage et au pillage des ressources géologiques.
Avec cette collection, Abdoulaye Konaté confirme qu’il est un artiste africain ouvert sur le monde. Il avoue son admiration pour Rembrandt et De Vinci, mais c’est dans l’art des teinturières du Mali, dans celui des tisseuses de pagnes et dans le fond culturel bambara qu’il puise pour élaborer une œuvre contemporaine et profondément africaine.
Cet artiste est un modèle pour ceux qui veulent tendre vers l’universel en creusant leur singularité. Et les artistes africains devraient revenir à leur patrimoine comme les lamantins vont boire à la source. Car tel Antée, l’artiste n’acquiert sa puissance créatrice qu’au contact de sa terre.