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Le Quotidien N° 1097 du 25/6/2014

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Me Pierre-Olivier Sur, avocat de Karim Wade : «Le procès contre le fils de l’ancien président est scandaleux»
Publié le mercredi 25 juin 2014   |  Le Quotidien


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© Le Quotidien par DR
Me Pierre Olivier Sur, bâtonnier de l`Ordre des avocats de Paris et avocat de Karim Wade


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Présent récemment à Ouagadougou où il a mené un certain nombre d’activités dont la signature d’une convention avec le Barreau du Burkina, Me Pierre-Olivier Sur, Bâtonnier de l’ordre des avocats à la cour de Paris, a accepté, malgré son calendrier très chargé, de confier à « Le Quotidien » ses impressions sur sa profession. Il a notamment évoqué ce qu’il appelle l’agression du droit anglo-américain contre le droit francophone, le procès de Karim Wade dont il est l’avocat, la justice internationale qu’il ne porte pas trop dans son coeur, et bien sûr le Burkina qui est par contre une de ses passions. Il était en compagnie d’un jeune avocat français, Antoine Vey.


Le Quotidien : Pourquoi défendez-vous tant le droit OHADA ?

Bâtonnier Pierre-Olivier Sur : Derrière le symbole, il y a une tradition commune, une culture commune, une langue que nous partageons. C’est important parce que le droit français, notre système juridique, n’est pas le droit continental, le droit du code civil. C’est notre droit ensemble, c’est le vôtre et c’est le nôtre. Et ce droit français actuellement est attaqué en ce moment par le droit anglo-américain. La Common law qui veut, à travers la zone OHADA, imposer son modus operandi. Donc, je viens ici en tant qu’ambassadeur du droit français, du droit africain depuis toujours, du droit du code civil, du droit romain, de notre système juridique. Nous sommes persuadés, en France qu’aujourd’hui, le continent africain est un continent non seulement de développement, mais d’expansion. Aujourd’hui, il y a un milliard d’habitants en Afrique. Nous savons que, grâce à vous, le français sera la deuxième langue au monde ; ça va dépasser l’anglais. Notre devoir de dirigeants, de responsables d’une profession, de responsables d’un système juridique dont nous sommes des ambassadeurs, c’est de venir cultiver cela et l’arroser.

Que peut attendre le citoyen lambda de ce partenariat ?

Le citoyen burkinabè est dans un pays qui est, en ce moment, en développement. Pour accompagner un développement, il faut des véhicules. La première fois que je suis passé au Burkina, il y avait des bicyclettes. La deuxième fois, il y avait des mobylettes. La troisième fois, il y avait des voitures. La quatrième fois, il y avait des embouteillages partout. Maintenant, il y a un périphérique. C’est ça le développement. Le développement passe par des véhicules. On connaît le véhicule qui est la voiture, mais il y a un autre véhicule qui est le droit. Et, le droit est un véhicule de développement. Le droit français va vous permettre, avec nos juristes, de jeunes avocats français et de jeunes avocats burkinabè, de faire quelque chose de gagnant-gagnant qui va pousser votre pays vers le développement. La richesse, ce n’est pas que de l’argent. La richesse, c’est le rayonnement de votre culture. Nous sommes persuadés que nous pouvons ensemble y contribuer. C’est pour cela que nous signons une convention inter-barreaux. C’est pourquoi nous vous amenons les meilleurs de nos jeunes générations. Vous avez cette chance, vous avez les meilleurs. C’est la conférence du stage qui va faire des discours. On va le faire à l’africaine. Cela veut dire qu’il y aura toute la culture africaine. Ce qui me plaît chez vous, c’est que dans votre constitution dont j’ai lu le préambule, on rappelle la présence des chefferies. Et quand j’ai rencontré votre Mogho Naaba, il y a quelques années, je vous assure que j’étais fier de le rencontrer. Je me suis dit que ça c’est une culture.

Vous connaissez bien Burkina. Mais est-ce que vous vous intéressez à la vie nationale, surtout au débat juridique qui a lieu en ce moment ? Avez-vous entendu parler du débat sur le référendum ?

Nous ne souhaitons pas rentrer dans la politique interne. Ce que je vais vous dire simplement en spectateur, c’est que le Burkina, depuis vingt ans, a été dans la sous-région, le pays dont l’expansion a été la plus forte, dont les populations ont pu accéder à un niveau de santé qui est meilleur que dans les pays limitrophes. Donc, je pense que les Burkinabè ont connu une progression et que cette progression se ressent au niveau international. Je pense que votre pays, qui était un pays perdu, est rentré dans le concert des Nations. A Ouaga 2000, vous vous êtes mis à recevoir le monde entier. Et, quand il y a des états de crise internationale dans les pays africains, c’est le Burkina qu’on appelle. Le Burkina a été très raisonnable au moment du conflit de la Côte d’Ivoire. Le Burkina a joué sa partition dans tous les conflits des pays limitrophes. Sur l’avenir, il y a un moment donné où il faut une transition démocratique. Et, il faut que les dirigeants actuels laissent la place aux dirigeants nouveaux. Et tout cela doit se faire dans le cadre d’une transition démocratique, surtout pas avec la violence.

On sait que vous êtes l’avocat de Karim Wade, que pouvez-vous nous dire de cette affaire ?

Le Sénégal est un grand Etat de droit qui, contrairement à d’autres pays africains, a toujours accepté la loi des urnes. On n’a pas vu dans l’histoire du Sénégal, depuis la décolonisation, qu’un président battu par les urnes s’accroche au pouvoir, ne serait-ce qu’une journée. C’est exemplaire. Le problème, c’est que parfois, et c’est le cas aujourd’hui au Sénégal, le vainqueur se retourne. Il ne faut jamais se retourner, il ne faut jamais regarder dans le rétroviseur si on veut marcher de l’avant. C’est mauvais pour soi-même et pour son peuple. C’est là qu’il a mis en place un procès scandaleux en droit contre le fils de l’ancien président. Je dis scandaleux en droit parce que c’est un procès qui résulte d’une cour d’exception qui n’est pas acceptable par les critères du droit universel. C’est aussi une bonne leçon pour le pays ici. Il faut accepter la transition, mais la transition n’est possible que si les dirigeants qui sortent sont respectés parce qu’ils sont respectables. La famille Wade est respectable. Elle a fait de très grandes choses pour le pays. C’est comme ici avec la famille Compaoré. Ils ont fait sortir le pays et l’ont accompagné en termes de modernité. Ce qui n’est pas acceptable, c’est qu’une fois la transition démocratique assumée, on se retourne dans le rétroviseur et on met le fils du président en prison. Cela n’est pas bien. La bonne Afrique, c’est l’Afrique qui progresse.

On le sait, le Sénégal est un pays démocratique. Pourtant, il y a une traque judiciaire qui se mène contre le fils de l’ancien président

Il y avait une cour de justice qu’on appelle la CREI qui a été mise en place par une loi en 1982. Et puis quelques années plus tard, cette cour est sortie du code de l’organisation judiciaire. Il y a eu un travail de codification. On a mis en place une cour suprême. Cette cour d’exception a dû, pour qu’elle puisse fonctionner aujourd’hui, être ressuscitée. Et vous savez comment on l’a ressuscitée ? Par un décret présidentiel. Donc, cette cour a été inventée par une loi et abrogée par une loi. Et elle a été réactivée par un décret. Déjà, ça c’est illégal. Deuxième sujet d’illégalité, cette cour pratique un système procédural qui est absolument ahurissant. Quand vous êtes poursuivi dans tous les Etats de droit du monde, c’est à l’accusation de prouver que vous êtes coupables. Ici, on vous poursuit. On vous dit : ‘’vous avez violé, vous avez volé, c’est à vous de prouver que vous êtes innocent’’. Mais moi, si je vous accuse d’avoir volé un billet de 10 Euros lors de votre dernier passage à Paris, il sera très difficile pour vous de prouver que ce n’est pas vrai. Vous avez été à Paris et vous aviez dans votre portefeuille un billet de 10 Euros. Le seul système juridique possible, c’est à moi de prouver que vous avez volé. ‘’Regardez, j’ai trois témoins, j’ai une photographie, il y a une vidéo-surveillance, on le voit prendre le billet de 10 Euros’’. L’accusation doit prouver. Alors, on peut envisager de vous condamner. Mais, on ne peut pas vous demander de prouver que vous n’avez pas volé le billet de 10 Euros. C’est la preuve négative. Or, dans ce système de la CREI, on demande aux personnes poursuivies de prouver qu’elles n’ont pas volé un milliard d’Euros. Vous savez, quand les accusations sont trop énormes, elles deviennent absurdes. Quelqu’un qui aurait volé un milliard d’Euros, on le retrouve sur des comptes. On peut détourner de petites valises de billets, soit 10 000 Euros ou 100 000 Euros. Mais, un milliard d’Euros, ça ne disparaît pas dans la nature. Du coup, on est allé chercher dans les comptes et on n’a rien trouvé. C’est pourquoi l’accusation d’un milliard d’Euros au départ est devenue 170 millions d’Euros, alors qu’on n’a pas eu à intervenir en tant qu’avocat. Parallèlement en France, on a obtenu un classement sans suite.

Est-ce que cette évolution du dossier à Paris prouve que Karim Wade est blanc comme neige ?

Je peux vous dire une chose, c’est que je connais son père. Il vit en France dans un petit pavillon qui est situé entre Versailles et Paris. C’est un pavillon bourgeois, je puis vous le dire. Un point, c’est tout. Il ne roule pas sur l’or. Et le fils Karim a un appartement de moins de 100 m2. C’est tout ce qu’on a trouvé en France. S’il avait détourné un milliard d’Euros, tandis que sa famille vit en France –sa maman est française-, on aurait trouvé l’argent en France. Mais, on n’a pas trouvé. Voilà le sens du classement sans suite donné en France.

Vous avez apprécié l’avancée économique que connaît le Burkina. Tout de même, certains observateurs disent que le pays est à la croisée des chemins vu le débat sur les questions politiques qui risque, selon eux, de créer un blocage. Qu’en pensez-vous ?

Moi, je ne fais pas de politique. Je suis là en témoin engagé du système. D’abord témoin que depuis 20 ans, le Burkina a énormément progressé et qu’il faut s’en féliciter. Si on vient ici, c’est pour coopérer, pour travailler ensemble. Ce qui compte pour moi, c’est que le droit romano-germanique, notre culture commune, puisse nous permettre de travailler ensemble en nous méfiant de ce que l’OHADA est en train d’essayer de faire triompher : la Common law. Je pense qu’on est dans un pays de l’Afrique de l’Ouest, de culture commune, et dans un pays où nous, les avocats français, devons apparaître comme les ambassadeurs d’un véhicule de développement. Et, c’est ça notre droit. Les acteurs de ce véhicule de développement, ce sont les avocats français. C’est pourquoi nous sommes venus avec les meilleurs de nos jeunes avocats, et en particulier Antoine Vey. Vous allez avoir tout à l’heure (ndlr : le 20 juin 2014 dans l’après-midi) un exemple de ce qu’on fait de mieux en France et au Burkina. Dieu seul sait que l’éloquence africaine, qui est une éloquence qui est dense, qui est une éloquence de tambour, qui est une éloquence de force, a quelque chose à nous apprendre.

Doit-on comprendre que la Common law est une guerre entre le droit français et le droit anglo-saxon ? De quoi s’agit-il exactement ?

Antoine Vey : Ce n’est pas une guerre. L’avenir pour les jeunes avocats est fait de rapprochements entre les pays francophones d’Europe et d’Afrique, puis le rapprochement avec la Common law. La question, c’est justement pour ne pas opérer une substitution d’un système par un autre. Mais permettre des rapprochements pour que les systèmes se mélangent pour le meilleur droit. Il ne faut pas envisager ça comme un conflit, mais comme des transformations. C’est pourquoi c’est important que de jeunes avocats français puissent rencontrer de jeunes avocats burkinabè pour qu’on puisse réfléchir ensemble à l’amélioration générale du système.

Mais y a-t-il une menace par rapport au droit francophone ?

Antoine Vey : Il n’y a absolument pas de menace contre le système francophone. Au contraire, le système francophone présente beaucoup d’avantages qui sont très clairement perçus par les Anglo-saxons. La menace vient parfois d’une grande adaptabilité à court terme du droit anglais alors que notre droit nous favorise la sécurité des relations juridiques. Il y a une nette activité, peut-être un peu plus superficielle du droit anglais. Nous venons pour rappeler la force du droit français, la force au niveau de la sécurité des transactions, au niveau des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Pierre Olivier Sur : Il ne faut pas qu’on se trompe ; on est absolument favorable à une globalisation dans la sous-région par un droit commun qui est le droit OHADA. Ce qu’il y a, c’est qu’il ne faudrait pas que ce droit OHADA subisse des attaques de droit de la Common law. Il faut que le droit OHADA soit notre système juridique parce que notre système juridique est le meilleur au monde. La preuve, ce sont les juridictions pénales internationales qui fonctionnent en droit de la Common law qui, justement, fonctionnent mal.

Faites-vous allusion à la CPI ?

Exactement, je parle de la CPI (ndlr : Cour pénale internationale) qui fonctionne mal. C’est trop cher, c’est trop long et c’est trop.

Ne défendez-vous pas les dictateurs africains ?

En tout cas, je vous laisse la responsabilité du terme dictateur. Je ne défends pas de dictateurs africains. Devant les juridictions pénales internationales, pour l’instant, j’ai surtout défendu des victimes. Au Cambodge, les victimes des Khmers rouges. Là, on a imposé un système français qui est celui de la constitution de partie civile qui n’existe pas en Common law, c’est-à-dire admettre que les victimes sont des parties au procès. A Nuremberg, le procès qui a suivi les exactions atroces subies par l’Europe pendant la deuxième guerre mondiale, les fils et filles des victimes étaient de simples témoins. Ils n’étaient pas partie au procès. Pourquoi ? Parce que c’était la Common law, du droit onusien. Au Cambodge, dans l’affaire des Khmers rouges, on a imposé, en pleine Common Law, notre système français qui permet aux victimes d’être partie au procès. C’est pourquoi je dis qu’en Afrique, notre droit est meilleur et donne la possibilité aux victimes d’avoir une meilleure place au procès. Nos jeunes avocats qui plaident devant les cours d’assise le savent bien. Ils plaident parfois pour les parties civiles, parfois pour les accusés. Récemment, j’ai été contacté en République démocratique du Congo dans les histoires de viols collectifs comme instruments de guerre. Je voudrais que les avocats soient aussi les briseurs de silence, qu’ils portent la parole des victimes. J’ai fait en sorte qu’on puisse mettre des procès en place en RDC, briser le silence des victimes et leur permettre d’accéder au droit. En tant que bâtonnier de Paris, je les y aide et je dis que dans le premier procès emblématique, j’y serai sur le banc des victimes. Ne me dites pas que je suis avocat des dictateurs. Je suis avocat des gens qui souffrent.

Vous avez dit que le droit en Afrique est meilleur. Paradoxalement, les dirigeants africains sont renvoyés devant la CPI. En tant qu’avocat, ne pensez-vous pas que l’Afrique peut juger ses dirigeants ?

Si ! Je pense que ce qui est fait au Sénégal dans l’affaire Hissène Habré, c’est bien. C’est une cour africaine qui va juger un Africain. La procédure Hissène Habré me parait bonne, même si c’est très difficile. J’ai été moi-même un des avocats de Hissène Habré. En tant qu’ancien avocat de Hissène Habré, en tant qu’homme de loi, il est bien que Hissène Habré soit jugé par une juridiction africaine même si j’émets toutes les réserves sur la façon dont cette juridiction africaine a été mise en place.

Le coup de griffe sur le droit francophone est venu récemment de Barack Obama, qui a lancé à la figure de François Hollande que chez lui, un chef d’Etat ne peut pas donner des instructions à un juge…

Antoine Vey : Comme vous le dites, c’est un coup de griffe qui ne porte pas beaucoup à conséquences. Dans le langage politique, il y a des attaques en règle. Il faut aller un peu plus en profondeur pour voir quelle est la réalité des choses. En France, nous avons ce qu’on appelle un juge d’instruction qui est une autorité indépendante et qui est totalement distincte du parquet. Le parquet est placé sous une forme d’autorité hiérarchique du pouvoir politique mais comme on dit en droit français, la plume est serve mais la parole est libre. Les parquetiers font finalement l’office de l’accusation et de l’autorité de poursuite. Les systèmes juridiques, c’est une adaptation par rapport à la culture, à la mentalité et à l’histoire d’un peuple. Donc, il n’y a pas de concurrence sur ce point. Les Français doivent améliorer leur système. Sans donner de leçon aux autres Nations, nous ne sommes pas les derniers du peloton. Nous avons un système qui nous convient .


Propos recueillis par Alphonse C. GUEBRE et Roland S. KI

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