Affaire Salifou Nébié: « On va emmerder le gouvernement jusqu’à ce que justice soit faite », Balkissa Konaté/Ouédraogo, chargée de la mobilisation et de l’organisation du MBN
Présenter leurs condoléances à la famille du juge Salifou Nébié et manifester leur mécontentement face à ce qu’ils qualifient « d’assassinat ». C’est la démarche initiée, le 22 juin 2014, à Léo, par 3 mouvements associatifs de jeunes que composent le Collectif anti-référendum (CAR), leMouvement brassard noir (MBN), l’Association de la ligue des jeunes (ALJ). Avant de se rendre à Dabiou, dans la famille du défunt, ils ont effectué une visite de courtoisie aux notabilités de Léo pour demander leur bénédiction, en vue de rétablir la vérité sur cette affaire. Ensuite, le cortège s’est ébranlé vers le village natal du défunt, Dabiou, pour y rencontrer la famille.A Dabiou, la délégation a présenté ses condoléances à la famille du juge et a, par ailleurs, exprimé sa détermination à poursuivre ses efforts pour que sa mort ne reste pas un crime impuni.
Pour les mouvements associatifs, le déplacement de Léo de ce 22 juin 2014 avait un double objectif : présenter d’une part les condoléances à la famille du défunt et exprimer leur détermination quant à l’issue réservée au dossier, d’autre part. A Léo, ils ont d’abord rencontréles notabilités en rendant respectivement une visite de courtoisieau chef de terre de Léo, Sibiri Yago, et au chef de canton, Rigobert Yago. Le message a été le même devant ces responsables coutumiers : venir exprimer leur compassion et affirmer leur détermination quant au sort réservé au dossier. A leur tour, les notables ont salué l’initiative des jeunes et souhaité que Dieu les accompagne dans la recherche de la vérité sur cette mort dont les circonstances demeurent encore floues.
Emotion et consternation dans la famille du défunt
La délégation des mouvements associatifs s’est ensuite rendue à Dabiou, village natal du défunt, situé à 5 km de Léo. Là, elle a rencontré les membres de la famille du défunt. Comme précédemment, elle a présenté « ses sincères condoléances » et exprimer sa détermination à se battre pour que la lumière soit faite sur les circonstances de la mort du juge constitutionnel.A l’évocation du nom du défunt, nombre de personnes n’ont pu s’empêcher de verser des larmes. Surtout, ce vieil homme qui n’a pu lever un seul instant la tête. Sur place, il a fondu en larmes. « Nous sommes venus pour présenter nos sincères condoléances à la famille à Léo. Pour leur montrer que le combat qu’on mène est le combat de tous les Burkinabè. C’est le combat de toute une nation », a affirmé Balkissa Konaté/Ouédraogo, chargée de la mobilisation et de l’organisation du MBN. « Le combat du juge Nébié contre le référendum et la modification de l’article 37 est devenu le nôtre », ont soutenu les membres de la délégation. Sur place, le MBN a clamé son exigence de la vérité, de la lumière et de la justice sur ce qui s’est passé, convaincu que « ça ne peut pas être un accident ». D’autant plus que « des riverains vivant à 72 mètres du lieu où le corps du juge a été retrouvé n’ont rien entendu ». Selon la famille du défunt, « Dieu a vu les assassins et tôt ou tard, ils seront démasqués et punis par la loi à la hauteur de leur forfait ».
Ecarter la thèse de l’accident
De retour de Dabiou, les membres de la délégationont, cette fois-ci, exprimé leur mécontentement à Léo à travers une marche pacifique partie du rond-point Natou. Avec des slogans hostiles au pouvoir en place, les manifestants sont passés par la route du Ghana, la maison des jeunes de Léo, avant de revenir au rond-point. « Nébié, justice », « Justice, pourrie », « gouvernement pourri », sont entre autres les slogans. « Il faut reconnaître que la mort de Salifou Nébiéa été un grand problème et un grand désarroi pour toute la population. Aujourd’hui même, on n’a pas voulu organiser cette manifestation qui a été un peu brusque pour éviter des débordements. Mais vous avez pu remarquer, de gauche à droite, comment les gens sont sortis massivement pour assister pacifiquement à cette marche. C’est vraiment dommage et c’est une perte pour tout le monde. C’est une perte inestimable, car on ne peut pas le remplacer », a affirmé Siaka Nignan, originaire de Léo. Pour lui, le juge constitutionnel a été assassiné à cause de l’idéal de démocratie qu’il défendait. « Nous savons que pour des questions qui ne sont pas droites, les choses tordues, Salifou ne rentre pas dedans. Ça au moins, c’est clair. Donc, ça ne nous étonne pas que des rumeurs disent qu’il avait une position assez nette qui tranchait d’avec celles des autres qui étaient le référendum. Ça au moins, c’était sûr qu’il n’allait pas accepter.Puisque la Constitution ne permet pas qu’il y ait référendum. Et en tant que garant de la Constitution, la logique voudrait qu’il ne soit pas d’accord pour la révision de la Constitution », a-t-il témoigné. « On ne peut pas faire un accident, quitter Ouagadougou en moins de 30 mn, c’est vrai que ce n’est pas loin, et puis se retrouver de l’autre côté de la route. Ça, c’est quelle sorte d’accident avec les doigts cassés, les yeux percés, les orteils cassés, la gourmette en argent de l’autre côté, un verre de ses lunettes de l’autre côté ? C’est quel truc qui a pu le propulser jusqu’à ce que sa nuque se fracasse et personne n’entend le bruit pour sortir ? Personne n’a rien entendu jusqu’à ce que l’accident puisse se passer et que celui il l’a commis puisse disparaître. Et son portable se retrouve dans la poche de quelqu’un d’autre. Il faut qu’on évite de nous faire avaler des couleuvres. Qu’on dise la vérité, c’est ce que nous demandons. Ils n’ont qu’à nous dire que c’est comme ça. Point barre. Dans sa première déclaration, le procureur a dit que la thèse de l’assassinat n’est pas à écarter. Dans tous les journaux, ça a été dit. Pourquoi brusquement on vient nous parler d’accident ? Non, on n’est pas d’accord et on va le faire savoir très prochainement d’ailleurs », a fait remarquer Siaka Nignan.
Rétablir les faits
Impuissants face à la mort du juge, les manifestants demandent que justice lui soit rendue, en sanctionnant les fautifs à la hauteur de leur forfait. « Comme nous l’avons dit depuis la première marche, nous souhaitons qu’il y ait la lumière sur l’assassinat de Salifou Nébié. Ensuite, si nous avons cette lumière, qu’on interpelle les auteurs et qu’on leur donne la sanction qu’ils méritent. Qu’on vienne nous dire que c’est par suite d’accident qu’il est mort à Saponé, c’est insulter l’intelligence des gens. On n’a pas besoin d’un médecin légiste pour venir nous raconter des histoires comme ça. Nous souhaitons que la lumière soit effectivement faite. Que ceux qui ont commis ce forfait retrouvés et qu’on leur inflige la sanction qu’ils méritent », a ajouté SiakaNignan.« On va mener le combat jusqu’à la fin. On va emmerder le gouvernement jusqu’à ce que justice soit faite. Parce que jusqu’à présent, le gouvernement ne s’est pas encore prononcé. On veut que le gouvernement se prononce et nous dise les causes exactes de cette mort. Parce qu’on ne peut pas nous emmener un médecin légiste de la France pour nous dire que c’est quelqu’un qui a bu et qui a eu un accident. Or, tout le monde sait que c’est un assassinat », a soutenu Balkissa Konaté/Ouédraogo. Le 28 juin prochain, les mouvements engagés dans la lutte contre la tenue du référendum et la lutte contre les crimes impunis entendent organiser un meeting à la place de la Nation pour faire entendre davantage leur cause .
Par Toua Ladji TRAORE