Jusqu’au moment où nous bouclions la présente édition, l’affaire n’était toujours pas officielle. Ni le pouvoir judiciaire ni le pouvoir exécutif n’en avait fait cas. Pourtant, depuis le vendredi 13 juin 2014, Jeune Afrique a publié sur son site d’information des extraits du rapport d’autopsie du corps du juge Nébié, retrouvé mort le samedi 24 mai 2014 sur la route de Saponé.
Selon notre confrère, le document, rédigé par le médecin légiste français Stéphane Chochois, venu réaliser à Ouagadougou une nécropsie «à ciel ouvert» le 4 juin, conclut à une mort «des suites d’un accident de la circulation, avec percussion violente par un engin indéterminé». (Lire ci-contre).
La nouvelle, qui circule déjà dans la capitale burkinabè, a fait l’effet d’une bombe. Tant elle prend à contrepied une bonne partie de l’opinion publique, convaincue d’un acte criminel sur la personne du magistrat et dont les mobiles ne peuvent qu’être politiques.
Mais il n’y a pas que les défenseurs de la thèse de l’assassinat qui doivent manger leur chapeau, si tant est qu’ils soient prêts à gober «un rapport digne du scénario d’un film hollywoodien». Même la justice burkinabè, au regard des conclusions de cet examen médico-légal, s’est complètement fourvoyée dans la qualification de cette mort suspecte : en effet, lors de son second passage sur les antennes de la Télévision nationale le 31 mai dernier, le procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou, Wenceslas Ilboudo, a lui aussi emprunté la piste criminelle : «…on peut se dire qu’on est en présence d’indices précis et concordants d’homicide volontaire. C'est-à-dire que le médecin légiste a retrouvé des blessures provoquées sur le corps de Salifou Nébié. Et donc le terme qui sied c’est l’homicide volontaire. Plus tard, avec l’évolution de l’enquête, on pourra dire s’il s’agit d’un meurtre ou d’un assassinat. Mais pour le moment, on s’en tient au terme d’homicide volontaire».
C’est que, faut-il le signaler, cette déclaration du parquet général est fondée sur un premier rapport d’examen (clichés radios et scanners) réalisé par un spécialiste burkinabè dont le «professionnalisme» a par ailleurs été salué par le procureur général.
Voilà donc la justice écartelée entre deux procès-verbaux d’autopsie contradictoires. Laquelle pèsera plus lourd dans la balance ? Commandera-t-on une contre-expertise pour départager les deux ?
En attendant les réponses à toutes ces questions sans pour autant présumer qu’elles puissent démêler cet écheveau de mystères dans cette affaire Nébié, le moins qu’on puisse dire, pour revenir au rapport Chochois, c’est qu’il tombe comme un véritable pavé dans une mare judiciaire déjà boueuse. Et les ondes d’eau viendront éclabousser davantage un corps qualifié à tort ou à raison de godillot de l’exécutif.
Il faut dire que dans sa gestion, jusque-là, le dossier a souffert de plusieurs maladresses, fortuites ou intentionnelles, c’est selon. Aux «balbutiements et autres hésitations», soulevés par le Syndicat autonome des magistrats burkinabè (SAMAB), sont venus s’ajouter les griefs du Syndicat des médecins du Burkina (SYMEB) contre l’autopsie réalisée par l’expert français. Dans une récente déclaration, nos toubibs reprochent au gouvernement d’avoir fait réaliser des examens post-mortem par un étranger au mépris des principes déontologiques et éthiques qui régissent leur profession. En outre jugent-ils exorbitants les frais de cette mission médico-légale dont le montant total aurait pu payer plus de deux kits d’autopsie alors que le pays n’en dispose d’aucun.
Faut-il voir dans toutes ces lacunes constatées dans la gestion du dossier quelque manœuvre pour brouiller les pistes ? Trop tôt pour être affirmatif. Mais force est de constater que tout cela contribue à troubler la sérénité qui doit entourer la conduite d’une affaire aussi sensible que l’affaire juge Nébié.
Avec donc une «justice suspecte», un «rapport suspect» et une «mort suspecte», le tout dans un contexte sociopolitique délétère, on a un cocktail suffisamment explosif. Les incidents survenus le jour de l’enterrement le démontrent. Il convient alors de manipuler le dossier avec toute l’attention que requiert la gravité de la situation.
A la justice, qui a déjà reçu le rapport de l’autopsie «à ciel ouvert», de travailler dans la plus grande transparence. Puisqu’au point où nous en sommes, le contenu du document n’est plus qu’un secret de polichinelle, pourquoi ne pas le rendre public ?
Que l’opinion publique et la presse continuent à exiger la manifestation de la vérité tout en se départant de la vision du «coupable idéal».