En temps crise ou de conflits, le plus souvent, les médias font l’objet de menaces et de persécutions. Les autorités administratives ou militaires des pays en conflits ou en crise sacrifient sous l’autel « de la sécurité nationale et de la surveillance » la liberté d’information. Dans son Classement mondial de la liberté de la presse, édition 2014, Reporters sans frontières (RSF) dénonce notamment « l’impact négatif des conflits sur la liberté de l’information et ses acteurs ». En effet, note RSF, « il y a une interprétation trop large et abusive du concept de la protection de la sécurité nationale aux dépens du droit d’informer et d’être informé. Cette dernière tendance constitue une menace croissante au niveau global, dangereuse pour la liberté de l’information jusqu’au cœur des Etats de droit ». Et le cas le plus récent de cet amer constat est le Nigéria où l’armée vient de s’illustrer négativement en saisissant, le vendredi 6 mai 2014, les éditions de quatre quotidiens. Il s’agit précisement de ‘’the Nation’’, ‘’the Daily trust’’, ‘’the leadership’’ et ‘’Punch’’. Ces médias ont en effet reçu la visite indésirable des soldats de l’armée nigériane dont l’objectif était d’empêcher de façon systématique et unilatérale la distribution des journaux. Et pour justifier cet acte digne d’un Etat dictatorial et militaire, le porte-parole de l’armée, Chris Olukolade, visiblement à court d’arguments, parle «d’une opération de sécurité visant des véhicules de livraison des journaux ». A l’en croire, « l’opération a été menée, car ces convois sont soupçonnés d’être utilisés par des groupes armés pour transporter illégalement des armes ». Et de poursuivre ses justificatifs très simplistes en soutenant qu’ « aucun secteur, en particulier, n’est épargné ». « Nous avons aussi fouillé des ambulances », a affirmé le porte-parole de l’armée. Qu’à cela ne tienne, cette opération de saisie des journaux indigne plus d’un, en ce qu’elle relève d’une époque révolue. Et dire qu’elle été conduite par une armée incapable d’assumer ses propres missions. C’est tout simplement révoltant. Pire, ces fouilles opérées par les soldats, aux dires des victimes, n’ont permis de voir « aucun élément compromettant ». Dès lors, on ne peut pas se passer de conclure que le fond du problème se trouve ailleurs et que cette opération ne vise nullement une prétendue sécurité nationale. Le seul justificatif valable de cette opération est le contenu des médias qui sont très critiques à l’endroit de l’armée, depuis son incapacité avérée à faire face aux activités terroristes de Boko Haram. L’élément ayant occasionné cette furie de l’armée est sans doute cette enquête du groupe de presse Media Trust qui a publié dans son quotidien « une enquête compromettante, accusant des généraux de l’armée d’occuper des locaux militaires pour un usage personnel ». A cela s’ajoute les dénonciations « des affaires de corruption impliquant les militaires et les critiques régulières contre son manque d’efficacité dans la lutte contre Boko Haram ». Une triste réalité que ne veulent pas entendre ces généraux en manque criard de stratégie militaire pour libérer le pays du joug du terrorisme. Au lieu de s’occuper donc de cette lutte qui met à rude épreuve la souveraineté et la stabilité du pays, ces généraux, toute honte bue, brandissent l’argument du concept de sûreté de l’Etat pour s’adonner à une véritable censure. Sinon, entre Boko Haram qui enlève les lycéennes, fait des attentats à chaque instant, et les médias qui donnent l’information, qui des deux menace véritablement la sécurité du pays ? Evidemment, c’est Boko Haram ! Incapable donc de faire face à cette menace terroriste, cette pléiade de généraux n’a pas trouvé mieux que de s’attaquer aux médias dont le seul pêché est d’avoir dénoncé les tares de cette armée qu’on dit être la plus puissante en Afrique. Ce comportement vis-à-vis des médias est la preuve irréfutable de l’état de déliquescence de cette armée qui avoue, du même coup, son impuissance à faire face aux problèmes réels de sécurité de son pays ? Car, s’occuper de la censure des médias, est loin de la mission et des prérogatives de l’armée, si ce n’est pas qu’elle est en perte de crédibilité auprès des populations.
Classé 112e sur 180 pays en termes de liberté de la presse, le Nigéria, à travers sa grande muette, vient une fois de plus de s’enfoncer dans le sombre tableau des pays irrespectueux de la liberté d’expression. Une situation qui donne raison à RSF qui a constaté, lors de son dernier rapport, que « la liberté de l’information cède trop souvent devant une conception trop large et une utilisation abusive de la notion de sécurité nationale, marquant un recul inquiétant des pratiques démocratiques » .