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Sidwaya N° 7676 du 2/6/2014

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Axe Lomé-Ouagadougou : sept jours à côtoyer la mort
Publié le jeudi 5 juin 2014   |  Sidwaya


Axe
© Autre presse par DR
Axe Lomé-Ouagadougou : sept jours à côtoyer la mort


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Vendredi 9 mai 2014 à Lomé, au Togo. Il est 12 heures 9 minutes. Le soleil au zénith, est en train d’être caché par un épais nuage noir. Une pluie se prépare. Une voiture blanche stationne juste à l’entrée principale d’un hôtel situé à un jet de pierre du boulevard du 13-Janvier de Lomé. Un homme d’une quarantaine d’années en sort. Il s’agit du représentant de l’Organisation des transporteurs routiers du Faso (OTRAF), Ismaël Cissé. Il est venu nous rencontrer. Assis sur un banc sous un parasol dressé par un vendeur de marchandises diverses, nous l’attendions, un peu mélancolique. Pourquoi ? Parce que quitter Lomé et la joie de vivre de ses habitants, l’ombre frais des cocotiers de sa plage, le brouhaha de son port autonome et celui des femmes de son mythique grand marché, Assigamé, et surtout les nuits animées de son majestueux boulevard du 13-Janvier, nous rendaient triste. Mais nous étions aussi content de savoir que dans 24 heures, nous allons retrouver l’ambiance joviale de la rédaction de Sidwaya, les amis, la famille et les soirées électriques des rues de Ouagadougou, après une semaine passée hors du pays, à réaliser une série de reportages.

Au Terminal du Sahel

Destination, le Terminal du Sahel, situé à la sortie nord de la capitale togolaise. C’est à cet endroit que tous les camions gros porteurs, chargés en direction des pays de l’hinterland (Mali, Niger et Burkina Faso) démarrent en convoi. Sur le chemin de l’autogare, M. Cissé reçoit un coup de fil. Après quelques minutes d’échange avec son interlocuteur, il nous dit : «Vous acceptez faire le voyage de Ouagadougou à bord d’un camion remorque ?». «Oui ! Je veux réaliser un reportage sur leurs conditions de travail», avons-nous répondu. «Ton conducteur est une femme. Elle s’appelle Massata Cissé. L’unique femme burkinabè, conductrice de véhicule gros porteur», lance-t-il en souriant. «Je ne pouvais pas espérer mieux», ai-je rétorqué. Quelques minutes de route et de causeries ponctuées de rires, M. Cissé arrive au Terminal du Sahel. Il se gare à proximité d’un camion transportant un conteneur rouge. A l’avant, un jeune homme barbu, vêtu d’un t-shirt noir sans manches, aide des mécaniciens à monter un pare-choc et à régler les phares du véhicule. «C’est son camion, mais je ne la vois pas», a fait savoir notre guide d’un jour. «Si vous cherchez maman, attendez un instant, elle est allée prier avant le départ», laisse entendre un jeune homme. A peine cette conversation achevée, une femme d’un âge assez avancé, foulard blanc enroulé sur la tête, tout sourire, arrive. «Ha! M. Cissé, je vous attendais. Où est le journaliste ?», s’empresse-t-elle de demander. «Il est là», répond le représentant de l’OTRAF. «Dès que les mécaniciens finissent la réparation, nous allons partir», nous informe-t-elle. Le temps des présentations. Toujours joviale, la conductrice de 54 ans nous apprend qu’elle est native de Bobo-Dioulasso (capitale économique du Burkina Faso), mais originaire de la ville de Nouna dans la Kossi. Celui que nous avions considéré à première vue comme son enfant est plutôt son collègue, Lassina Coulibaly, qu’elle appelle affectueusement "Baba". «Ce jeune homme n’est pas mon apprenti. C’est un chauffeur ivoirien qui partait au Mali. Mais il a abandonné son véhicule dans les mains de son apprenti pour m’accompagner jusqu’à Ouagadougou. Parce que mon apprenti a disparu avec mes affaires alors que je dormais», explique la conductrice Cissé. A la suite des présentations, nous faisons discrètement le tour du véhicule afin de constater son état physique. Visiblement, le conteneur est bien maintenu par de grosses chaînes et la locomotive présente une belle allure. Mais l’état des douze pneus est inquiétant. Les crampons sont finis. Ils sont délabrés. De retour au sein du groupe, la première question est de connaître le poids réel du camion. Le véhicule pèse 50 tonnes. Avec le mauvais état des pneus, allons-nous arriver à Ouagadougou en deux jours ? «Si tout se passe bien, en deux ou trois jours, nous serons à Ouagadougou», rassure-t-elle. Lassina Coulibaly renchérit : «Lorsque nous prenons la route, seul Dieu sait comment et quand nous arriverons à destination. Notre sort est entre les mains d’Allah».

Mauvaises odeurs, piqûres de moustiques

Les différents réglages sont terminés aux environs de 18 heures. Massata Cissé ouvre la portière côté chauffeur. Elle s’installe et introduit la clé-contact. Un quart de tour vers le haut et le moteur est en marche. Elle essaie les phares, ça marche, même si ce n’est pas comme elle l’aurait souhaité. Elle caresse le volant avec sa main gauche et celle de la droite saisit le levier, un pied sur l’accélérateur. Sereine, elle avance et freine. Elle revient en arrière et freine de nouveau. Son test est concluant. Elle règle la facture de la réparation. Le long périple peut commencer. Mme Cissé manœuvre habilement et se fraie un passage parmi les camions garés. Le camion de Massata Cissé est maintenant stationné hors du Terminal. Le moteur tourne, le départ est imminent. Quelques instants après, la conductrice apprend que ses autres collègues (tous des hommes) avec qui elle devait constituer le convoi sont repartis en ville pour une dernière virée. Elle tombe des nus. «A cause d’eux, nous allons dormir ici. M. le journaliste, si vous n’êtes pas gêné, allez-y prendre une douche et venez dormir. Il y a une natte dans le véhicule», nous lance-t-elle. Le chauffeur Coulibaly nous accompagne dans les toilettes publiques. «Si le rang est long, nous irons dans la brousse avec des seaux d’eau pour nous doucher. Mais soit vigilant parce qu’il y a des délinquants partout», prévient-il. Les autres prétendants aux toilettes, après avoir su qui nous sommes, nous laisse l’espace. Ensuite, ce fut la première nuit dans une gare routière. Entre deux camions, une natte exposée à l’air libre, chacun cherche le sommeil. Mais difficile de dormir au milieu des odeurs des urines, des déchets, des eaux usées, des piqûres de moustiques, surtout quand nous nous rappelons que quelques heures plutôt, nous étions dans un hôtel avec toutes les commodités. En outre, il faut s’endormir avec une oreille et garder un œil ouvert. Il y a, à tout moment, des personnes peu recommandables qui rôdent. D’ailleurs, les dormeurs ont été réveillés autour de 3 heures du matin par des cris d’un apprenti chauffeur nigérien. Les 500 litres du véhicule dont il a la charge ont été chiffonnés par des voleurs alors qu’il dormait sous le réservoir. Après cette alerte, plus question de fermer les yeux. Chacun monte la garde à côté de son camion. A 5 heures du matin du 10 mai, c’est le départ pour Ouagadougou. "Maman chauffeur" à la baguette et quatre autres chauffeurs prennent la tête du convoi. Première panne à la sortie de Lomé, précisément à Tsévié. Le système de freinage ne donne pas. Un arrêt de 3 heures permet au mécanicien, tiré de son sommeil par le coup de fil de Massata Cissé, de réparer la panne.

Chez le marabout de Sokodé

Bon an mal an, nous arrivons à Sokodé, après 22 heures. A l’amorce d’une colline au centre-ville, le système de freinage lâche à nouveau. Baba, devenu l’homme à tout faire, descend précipitamment. Il pose une cale afin d’éviter que le camion qui repartait déjà en arrière ne se retrouve à l’intérieur d’une concession ou sur le bas-côté de la voie. Il y parvient. Ouf ! L’équipage et le véhicule sont sauvés d’une catastrophe. Pour la deuxième fois, la nuit se passe à la belle étoile. Le matin du 11 mai 2014, Massata Cissé fait appel à Safiou, un garagiste de Sokodé bien connu des routiers. Après son diagnostic et un petit réglage, il conseille de sortir hors de la ville pour qu’il administre les soins nécessaires au «malade». Maman commence la montée. Première vitesse, deuxième et au troisième, le levier se bloque. La panique s’invite à bord. Mais courageusement, elle parvient à conduire son «monstre des routes» hors de la ville comme voulu par le mécanicien. Safiou passe toute la journée à rechercher et à réparer une partie des pannes. «Vous avez eu de la chance. Le système de freinage a été mal monté. Il faut reprendre tout à zéro», indique le spécialiste. Pendant que Safiou s’attelait à résoudre le problème mécanique, nous apprenons que le terrain sur lequel le véhicule est stationné a été aménagé gratuitement pour les routiers par un marabout de Sokodé. Amsa, c’est ainsi qu’il s’est présenté, est une vieille connaissance de la conductrice depuis qu’elle circule sur cet axe. Il nous ouvre sa porte et ses douches. Enfin, une occasion pour nous de prendre une bonne douche après deux jours sans bains, sous la chaleur. Cette gare est un lieu de repos pour les camionneurs. Profitant de cette pose, nous faisons une immersion dans leur monde. Les langues se délient pendant les causeries. Il y a toute sorte de personnes dans ce milieu. Des voleurs, des consommateurs de stupéfiants, des honnêtes et des malhonnêtes gens, des coupeurs de routes, des coureurs de jupons, des homosexuels... Ce dernier point soulevé dans la causerie fait sursauter "Maman chauffeur". Elle en avait déjà entendu parler dans certains milieux, mais dans son milieu, jamais elle n’en avait imaginé malgré ses 24 ans d’aller-retour sur les routes. En outre, l’on apprend que les camionneurs sont exploités par leur patron. Le salaire mensuel dépasse rarement 50 000 F CFA. C’est la troisième nuit à passer sur la route. La mosquée est transformée en chambre pour «maman». Nous prenons place dans la cabine du camion. Quant à Baba, comme toutes les autres nuits, il étale sa natte sous le réservoir. Le lendemain, Safiou termine sa réparation après 12 heures, au grand bonheur des voyageurs. Mais la facture est salée : 135 000 F CFA. "Maman chauffeur" colmate à gauche et à droite. Chaque membre du groupe contribue à sa manière. Elle parvient à payer une partie de la somme. Et promet de régler le reste à son prochain voyage.

Le véhicule prend feu

Quelques minutes après le démarrage, nous affrontons la première descente dangereuse de l’axe Lomé-Ouagadougou : celle de Bafilo. Cet obstacle passé, les falaises d'Aledjo se dressent en face. Le tronçon est redoutable. Des montagnes rocheuses par-ci, et des falaises par-là, ajouté à la forme serpentée de la route. Alors que nous étions au sol en train d’immortaliser les traces laissées par un camion ayant terminé sa course au fond de la fosse, la veille de notre arrivée sur ce lieu, un bruit assourdissant retenti. C’est l’avant-dernière roue gauche du camion de Massata Cissé qui explose. Il y a la frayeur à terre et dans la cabine du véhicule. Mais vaillamment, la conductrice Cissé parcourt le reste du trajet avec les onze autres roues du véhicule, tout en implorant les dieux de la route que les freins, le levier ou un autre pneu ne l’abandonne à cette phase critique. Au sommet de la côte, une roue de secours, aussi lisse que les autres, est montée.
La traversée se poursuit jusqu’à la dernière descente de Kanté. Mme Cissé prévient que cette portion de la route est la plus crainte des routiers. Mais il est 22 heures. La fatigue, la faim et la peur sont au rendez-vous. 4 heures de repos s’imposent. Avant de se coucher, il faut se nourrir. Des mangues sont au menu. Trouver le sommeil au milieu de nulle part, au clair de lune, en compagnie des moustiques, des cris d’oiseaux nocturnes, du vent frais, n’est pas aisé. Deux heures du matin, Massata Cissé et ses «enfants» sont sur pied. Au cours de cette dernière descente, Mme Cissé profite donner des cours de conduite à ses compagnons. «Pour ne pas échouer dans ces zones dangereuses, il faut rouler avec la première vitesse et avoir un pied sur le frein. Lorsque tu es surchargé, il faut avancer avec la vitesse C. Surtout rester éveillé et concentré au volant», conseille la quinquagénaire. L’inquiétude et l’épreuve de Kanté sont franchies. Mais l’inattendu se produit. Sans doute, n’ayant pas supporté la chaleur occasionnée par les multiples freinages, une roue arrière explose et prend feu, à environ 10 kilomètres après la ville. C’est une grosse frayeur. Le véhicule se vide de ses occupants en un temps record. Nous courrons dans tous les sens. Il n’y a pas d’extincteur à bord. Difficile de maîtriser les flammes. Comment les éteindre? «Qu’allons-nous devenir si tout le véhicule s’embrase ? Je serai renvoyée», s’écrie Massata Cissé. Qu’à cela ne tienne, l’incendie est circonscrit avec du sable. Le soulagement se lit sur les visages. "Dieu merci. Je n’ose pas imaginer ce qui nous serait arrivé si c’est une des roues situées à côté du réservoir qui s’enflammait. On allait parler de nous au passé’’, se soucie Baba. La jante est maintenue au petit matin avec de grosses chaînes.
Mais comme le dit un adage «jamais deux sans trois», le troisième pneu éclate avant Barkoissi, un village situé à quelques encablures de la frontière. Il n’y a plus de roue de secours et de sous au bout du «pagne». "Maman chauffeur" active son carnet d’adresse. Son réseau a permis de résoudre les autres pannes du camion survenues plus tard, comme la quatrième explosion de roue et les deux autres crevaisons de chambre à air. A certains endroits, nous bénéficions également, du soutien des populations pour les besoins alimentaires.
Ce fut ainsi jusqu’à notre arrivée à 1 heure 3 minutes à l’échangeur de l’Est de Ouagadougou, le 16 mai 2014. Avant de se quitter, une question sort de nos lèvres. A combien êtes-vous payée, "maman chauffeur" ? «Je touche un salaire mensuel de 50 000 F CFA», confie-t-elle. Lassina Coulibaly de s’étonner: «Avec cette souffrance, on vous donne cette somme ? Le véhicule que je conduis m’appartient. Je donne 50 000 F CFA à mon apprenti après chaque voyage, sans compter sa nourriture. C’est une grande souffrance, surtout pour une femme de votre âge». Notre aventure, en tant que routier, s’arrête ici. Mais avant de boucler ce récit, assis dans la rédaction climatisée de Sidwaya, un coup de fil nous permet d’avoir des nouvelles de nos deux compagnons.
Massata Cissé, sous le soleil de Ouagadougou, était à la recherche d’une solution durable à ses problèmes de roues. Quant à Lassina Coulibaly, au volant de son camion, nous informe qu’il se trouve à la frontière entre la Guinée Conakry et le Mali en direction de Bamako avec un nouveau chargement. L’aventure et les risques se poursuivent pour eux.

Steven Ozias KIEMTORE
kizozias@yahoo.fr
Ouaga-Lomé-Ouaga

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