Depuis le meurtre du juge constitutionnel Salifou Nébié, le 24 mai dernier, la ville de Léo est en ébullition. Par deux fois, le 30 mai et le 2 juin, à travers respectivement une marche et une opération ville morte, les habitants de la localité sont sorties nombreuses pour manifester leur indignation face à la mort atroce et suspecte de leur fils. En outre, elles exigent que la lumière soit faite « très rapidement » sur ce drame. La pression est donc très forte sur les autorités judiciaires. Mais le gouvernement n’est pas en reste, puisque les marcheurs ont remis leurs revendications au haut-commissaire de la province de la Sissili. C’est dire qu’au-delà de son caractère judiciaire, l’affaire Salifou Nébié prend une tournure politique. Le gouvernement ne semble pour le moment pas voir les choses de cette façon. Jusqu’à présent, il a en effet soigneusement évité de se prononcer sur le sujet, encore moins de promettre quoi que ce soit. Il a plutôt laissé le procureur général Wenceslas Ilboudo assurer tout le travail de communication sur l’affaire, comme pour dire qu’il s’agit d’un dossier exclusivement judiciaire dans lequel l’Exécutif n’a rien à voir. Une ligne de conduite en principe normale dans un Etat de droit, mais difficilement tenable, à long terme, au regard du contexte burkinabè. Dans ce pays, non seulement peu de Burkinabè croient en l’indépendance de la justice, mais en plus, la conjoncture politique très tendue amène à toujours regarder vers l’Etat quand une affaire aussi grave survient. Dans ce climat sociopolitique marqué par de profondes divergences entre pro et anti-référendum, des allusions sont faites par rapport aux positions du juge tué. Un lien est donc vite fait par certains entre les convictions du juge et son assassinat. Un autre problème pourrait bien amener le gouvernement à mettre les pieds dans le plat : les manifestations publiques. Même si elles sont, pour l’instant, circonscrites à Léo, il n’en demeure pas moins qu’elles ont besoin d’une réponse politique, en attendant celle judiciaire. Aucun dirigeant ne peut ignorer une agitation de l’ampleur de celle qui s’est emparée de la capitale de la Sissili. Mieux, un bon dirigeant doit anticiper, pour éviter un effet de contagion à d’autres villes et pourquoi pas à tout le pays. Dans ce genre de situation, le silence peut être assimilé à l’indifférence et à l’inaction, toute chose dangereuse en ce sens qu’elle pourrait susciter plus de méfiance et de colère chez les protestataires. Enfin, dernier élément non négligeable, c’est l’entrée en scène des organisations de la société et des partis de l’opposition. D’une même voix, ils réclament justice pour Salifou Nébié. Certains, notamment les partis, pourraient même en faire une nouvelle source de revendication.
Il y a donc tout un faisceau d’éléments qui font que l’affaire Salifou Nébié ne peut être exclusivement judiciaire et juridique. L’importance de la victime, les circonstances de sa mort, les réactions de protestations qui en ont suivi, tout cela donne une dimension quasiment d’affaire d’Etat au problème. Pour désamorcer la bombe, le gouvernement devra rassurer les uns et les autres sur le fait que la justice mène son enquête de façon indépendante. Si un message fort n’est pas adressé aux populations de la Sissili et à l’ensemble des Burkinabè, ne doit-on pas craindre que l’affaire Salifou Nébié vienne grossir la liste des motifs de mécontentement des Burkinabè ? Le temps de la justice étant ce qu’il est, l’affaire peut connaitre un cours plus ou moins long. En tout cas, les parents de la victime trouveront toujours, à tort ou à raison, le temps long. La justice est donc interpellée, elle qui n’a pas toujours bonne presse au regard de son incapacité à faire la lumière sur certains crimes. Mais, les politiques ont aussi leur partition à jouer pour que la sérénité soit de mise autour de ce énième crime au Burkina .