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L’essor africain — Construire pour le futur : Allocution de Christine Lagarde Directrice générale, Fonds monétaire international
Publié le vendredi 30 mai 2014   |  Fonds Monétaire International


Ouverture
© Autre presse par DR
Ouverture à Maputo le 29 mai de la conférence «L’essor africain» organisée conjointement par le FMI et le Mozambique


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Introduction

Bonjour, bom dia!

C’est avec grand plaisir que je vous souhaite la bienvenue à cette conférence sur l’Afrique. Je remercie le Président Guebuza et le gouvernement du Mozambique de nous accueillir ici, ainsi que les nombreux autres partenaires sans qui cette manifestation n’aurait pas été possible.

C’est véritablement un grand privilège pour moi d’être parmi vous aujourd’hui, cinq ans après la Conférence de Tanzanie. L’Afrique a obtenu des succès remarquables et les perspectives globales pour le continent incitent à l’optimisme. C’est une période exaltante pour l’Afrique, et le thème de cette conférence, L’essor africain, traduit bien cette exaltation.

Le voyage du Mozambique

À de nombreux égards, le Mozambique est l’illustration type de cet esprit positif. Depuis une vingtaine d’années, le pays affiche des taux de croissance parmi les plus élevés de l’Afrique subsaharienne, avec une moyenne de 7,4 % par an.

Des mesures décisives ont été prises pour faire reculer la pauvreté et rehausser l’espérance de vie. Ces progrès sont le résultat de longues années de renforcement des institutions et de bonne gestion économique. La découverte récente de ressources naturelles offre une occasion unique de consolider cet acquis et de faire en sorte que les bienfaits de la croissance soient mieux partagés.

Comme le dit un proverbe africain : «Si tu veux avancer vite, pars seul. Si tu veux aller loin, pars avec quelqu’un».

Le Mozambique a parcouru un long chemin — et le voyage continue; le FMI l’a accompagné et continuera de le faire. Nous avons apporté notre contribution sous forme de soutien financier et de conseils de politique économique. Nous avons soutenu le programme de réformes du Mozambique en développant notre assistance technique et les initiatives de renforcement des capacités, qui se poursuivent aujourd’hui.

Je voudrais féliciter le Mozambique — et, à vrai dire, l’ensemble de la région — de ces résultats remarquables. L’Afrique a pris sa destinée en main. Le moment est maintenant venu de construire l’avenir.

Cette conférence offre une occasion unique de réfléchir — ensemble — aux enseignements que l’on peut tirer des succès de l’Afrique et aux défis qui se profilent à l’horizon. Il reste encore beaucoup à faire. Le continent est caractérisé par une grande diversité et certains pays risquent de rester au bord de la route, surtout ceux qui subissent des conflits à répétition. Dans d’autres, la croissance rapide ne profite pas encore à toute la population, et beaucoup d’Africains ne voient pas les fruits de la réussite économique.

Dans cet esprit, je voudrais partager avec vous ma réflexion en considérant trois perspectives :
(i) La situation actuelle — en faisant le point sur les succès de l’Afrique;
(ii) Les défis immédiats et ceux qui se profilent à plus long terme; et
(iii) Les grandes priorités que doivent se fixer les pouvoirs publics pour affronter ces défis et faire en sorte que l’avenir prometteur de l’Afrique devienne réalité.

1. La situation actuelle — le décollage de l’Afrique

Commençons par la situation actuelle. Il est clair que l’Afrique subsaharienne a réussi son décollage : elle connaît une croissance économique vigoureuse et régulière depuis près de vingt ans et a fait preuve d’une résilience remarquable face à la crise financière mondiale.

La stabilité économique a été payante. Dans plus des deux tiers des pays de la région, la croissance économique se poursuit de façon ininterrompue depuis dix ans ou plus.

Cette croissance a permis de rehausser le niveau d’instruction de la population et de faire baisser sensiblement la mortalité infantile. Au Bénin et à Madagascar, par exemple, le taux de scolarisation primaire a augmenté de plus de 50 points de pourcentage. Certes, les taux de départ étaient parfois très bas, mais c’est tout de même un progrès considérable.

À bon droit, l’Afrique est de plus en plus considérée comme une destination de choix pour les investissements des pays avancés et des pays émergents : les entrées de capitaux devraient atteindre le chiffre record de 80 milliards de dollars cette année.

De fait, il n’est pas surprenant que des «pays pionniers» comme le Kenya, l’Ouganda et le Botswana fassent mentir les vieux stéréotypes et s’affirment résolument comme des lions africains.

Pourtant, la marée de la croissance n’a pas fait monter tous les bateaux.

La pauvreté se maintient obstinément à des niveaux inacceptables et touche encore environ 45 % des ménages de la région. Les inégalités restent très prononcées. Et certains pays subissant encore des conflits internes à répétition déploient d’immenses efforts pour s’affranchir de la fragilité.

La route de l’Afrique vers la réussite a été véritablement remarquable. Mais s’il est une chose que la crise mondiale nous a enseignée, c’est l’importance de répartir plus largement les bienfaits de la croissance. Lorsque tout le monde est gagnant, la croissance est plus durable.

Au fil des ans, le FMI a été un proche partenaire de l’Afrique pendant ce voyage, y compris pendant la crise. Nous avons écouté, nous avons appris et nous avons réagi.

Nous avons réformé nos instruments de prêt de manière à ce que les pays qui en ont besoin puissent avoir davantage accès et avec plus de souplesse aux ressources de l’institution; nous avons élargi notre politique d’intérêt zéro; et nous avons simplifié nos règles de conditionnalité.

Nous avons adapté nos conseils pour mieux répondre aux défis propres à la région. Et nous avons complété ces conseils par la création de cinq centres régionaux d’assistance technique, au Gabon, au Ghana, en Côte d’Ivoire, à Maurice et en Tanzanie. Aujourd’hui, la plus grande partie des services de développement des capacités assurés par le FMI est consacrée à l’Afrique.

Nous nous réjouissons à la perspective de poursuivre et de renforcer ce partenariat fécond.

2. Perspectives : préoccupations immédiates et défis à plus long terme

C’est l’Afrique elle-même et son peuple qui détiennent les clés de leur avenir. Certes, les perspectives de la région sont très positives. La croissance économique de l’Afrique devrait être de l’ordre de 5,5 % cette année et l’année prochaine, et encore plus forte, proche de 7 %, dans les pays les plus pauvres.

Mais l’Afrique doit rester attentive à ce qui se passe par-delà l’horizon. Globalement, alors que le monde sort de la Grande récession, la reprise demeure faible et inégale. Qu’est-ce que cela signifie pour l’Afrique?

Préoccupations immédiates

Dans l’immédiat, les perspectives de la région pourraient être assombries par trois grandes préoccupations :

(i) un ralentissement de la croissance dans les pays avancés et, en particulier, dans les pays émergents qui sont les principaux partenaires commerciaux de l’Afrique;
(ii) une baisse des prix de certains produits de base; et
(iii) un resserrement des conditions financières extérieures et un risque de volatilité accrue des marchés pendant la normalisation des politiques monétaires.
Les responsables auront certainement fort à faire. Mais ils savent comment s’y prendre. Le FMI se tient prêt à apporter son aide sous forme de conseils, d’assistance technique et, le cas échéant, de soutiens financiers.


Défis à plus long terme

Au-delà de ces préoccupations immédiates, plusieurs défis à plus long terme pourraient influer de façon considérable sur les perspectives de l’Afrique. Certains dans un sens positif, d’autres un peu moins.

Défis démographiques : L’Afrique est le plus jeune continent du monde. D’ici à 2040, il devrait avoir la plus grande population active du monde, avec 1 milliard de travailleurs, c’est-à-dire plus que la Chine et l’Inde réunies. Mettre ce réservoir croissant de capital humain au service des secteurs productifs ouvrirait des possibilités économiques et sociales extraordinaires. Pour en tirer pleinement parti, il faudra le gérer avec habileté et clairvoyance.

Défis technologiques : L’innovation technologique offre d’énormes possibilités. Elle peut contribuer à l’intégration mondiale, améliorer la productivité et promouvoir l’inclusion. C’est une force qu’il faut mettre à profit de façon efficace et efficiente.

Défis environnementaux : Le changement climatique et une demande sans cesse croissante mettent à mal la viabilité des ressources naturelles, ce qui ne fait qu’aggraver les inégalités et l’exclusion. Le défi consiste à appliquer des politiques qui favorisent la croissance tout en faisant sorte que celle-ci profite au plus grand nombre et soit respectueuse de l’environnement.


3. Construire pour le futur — Trois priorités

Quelles sont donc les priorités pour que ces défis deviennent des opportunités ?

J’en vois trois : les infrastructures, les institutions et le peuple.

Les infrastructures

Premièrement, les infrastructures — l’énergie, les routes et les réseaux technologiques. Ce sont les fondations de tout édifice solide et durable.

En pratique, il convient de combler le déficit des infrastructures de l’Afrique.

Au cours des trente dernières années, la production d’électricité par habitant en Afrique subsaharienne a pratiquement stagné. Seulement 16 % des routes sont pavées, contre 58 % en Asie du Sud. Ces déficits représentent des coûts énormes pour les entreprises — et pour les populations.

De nombreux pays de la région prennent des mesures encourageantes pour les combler. En Éthiopie et au Mozambique, par exemple, les investissements dans le secteur de l’énergie augmentent, notamment avec des projets qui encouragent les échanges transfrontières d’électricité. Le Kenya et la Côte d’Ivoire engagent aussi des projets d’infrastructures régionaux dans le secteur de l’électricité, ainsi que dans les réseaux routiers et ferroviaires.

Ces investissements sont essentiels pour pérenniser la croissance et en élargir l’assise. Des infrastructures de qualité peuvent attirer l’investissement étranger. Elles peuvent accélérer la diversification des économies et la création d’emplois, et favoriser l’intégration régionale.

Toutefois, il peut être extrêmement coûteux de combler ce déficit des infrastructures. Les besoins d’investissement de la région sont estimés à environ 93 milliards de dollars — par an. Dans la plupart des cas, les investissements sont élevés et concentrés dans la phase initiale. Ils doivent être sélectionnés avec soin, et gérés et exécutés dans une perspective budgétaire à moyen et à long terme.

Le FMI peut apporter son aide. Nous collaborons avec bon nombre de nos pays membres, par l’intermédiaire de nos centres de renforcement des capacités et de notre assistance technique sur le terrain, pour accroître leurs capacités d’investissement public et de gestion de la dette. Ces pays sont ainsi bien mieux en mesure de tirer parti de nouvelles possibilités de financement.

Les institutions

Passons maintenant à la deuxième priorité : les institutions. Il s’agit ici de gouvernance, de transparence et de cadres économiques sains.

Nous avons parlé des fondations de l’édifice; imaginons maintenant que les institutions constituent les systèmes qui permettent au bâtiment de bien fonctionner et de durer longtemps — comme les systèmes de chauffage, de climatisation et d’eau.

Nous savons tous que l’Afrique dispose d’un potentiel extraordinaire : elle représente plus de 30 % des réserves minières du monde. Si ces richesses sont bien gérées, elles offrent des opportunités exceptionnelles de croissance et de développement économiques. Par ailleurs, ces ressources peuvent contribuer à combler les déficits considérables des infrastructures dont je viens de parler.

Pourtant — et permettez-moi d’être franche — dans trop de pays, les rentes des industries extractives profitent à une minorité. L’industrie minière peut représenter une part élevée de la production et des recettes d’exportation, mais elle ne contribue souvent que relativement peu aux recettes budgétaires et à la création d’emplois. Cela détruit le tissu de l’économie et la cohésion sociale.

Qu’est-ce que l’on peut faire ? Pour commencer, il serait bon de renforcer les institutions et la gouvernance dans le secteur des ressources naturelles. La transparence peut accroître la responsabilisation et faire en sorte que ces ressources profitent à tous.

Beaucoup de pays ont pris des mesures dans ce sens. Par exemple, la Sierra Leone et l’Ouganda établissent de nouvelles règles budgétaires en anticipant des flux de ressources considérables. La Côte d’Ivoire a adopté un nouveau dispositif juridique pour le secteur minier qui aidera à attirer davantage d’investissements directs étrangers.

Ce sont des domaines où le FMI a permis d’exploiter un large éventail d’expériences internationales. Et nous nous réjouissons de continuer à apporter notre aide.

Le peuple

Donc, nous avons les fondations de notre bâtiment (les infrastructures) ; nous avons établi les systèmes qui permettent au bâtiment de fonctionner de manière efficace et efficiente (les institutions) ; maintenant, nous devons permettre au peuple de l’utiliser.

Cela m’amène à ma troisième priorité : le peuple — les enfants, les jeunes, les travailleurs et, en particulier, les femmes.

Je serai claire : le plus gros potentiel de l’Afrique, c’est sa population. C’est la clé pour que la région recueille pleinement les dividendes de sa croissance démographique. Selon certaines estimations, une augmentation de 1 point de pourcentage de la population active peut accroître la croissance du PIB de 0,5 point de pourcentage. C’est énorme.

Cependant, à cet effet, il faut créer de « bons » emplois dans le secteur privé. Aujourd’hui, seulement 1 Africain sur 5 trouve du travail dans le secteur formel. Cela doit changer. Grâce à un meilleur accès à des services de qualité dans l’éducation, la santé et les infrastructures, cela peut changer.

De même, on peut exploiter la technologie pour que des millions de personnes aient accès aux services financiers. À cet égard, l’expérience du Kenya offre des enseignements précieux au reste du monde pour ce qui est de donner des moyens d’agir aux pauvres en leur donnant accès aux services financiers.

Grâce notamment à la banque mobile, 75 % de la population kenyane a maintenant accès aux services financiers. Surtout, ce sont les pauvres qui ont profité le plus de cette expansion des circuits financiers.

J’en arrive ainsi à un sujet qui m’est cher : les femmes. Je sais que la plupart des femmes africaines ne peuvent pas se permettre de ne pas travailler. Mais lorsqu’elles travaillent, elles sont pour la plupart employées dans des activités informelles. Nous savons tous ce que cela signifie : une productivité faible, des revenus faibles, des perspectives médiocres. Nous connaissons tous aussi les contraintes : l’accès à l’éducation, au crédit et aux marchés.

Les gains qui peuvent être réalisés en s’affranchissant de ces contraintes sont immenses, en particulier grâce à l’éducation des jeunes filles. Selon certaines estimations, la perte économique due à l’écart d’éducation entre les filles et les garçons dans les pays en développement pourrait aller jusqu’à 90 milliards de dollars par an — soit presque autant que le déficit des infrastructures pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne !

Comme le dit le vieil adage africain : « si tu éduques un garçon, tu formes un homme. Si tu éduques une fille, tu formes un village ».

Mon message est clair : il faut investir dans les femmes. C’est un investissement très rentable, économiquement et socialement.

Conclusion

En conclusion, nous assistons tous à une transformation de grande portée en Afrique. Il y a cinq ans en Tanzanie, les économies africaines étaient mises à l’épreuve car l’économie mondiale était confrontée à sa crise la plus grave depuis la Grande Dépression. Aujourd’hui, nous nous réunissons au Mozambique sur fond d’optimisme et d’espoir.

Les opportunités sont vastes et les défis, s’ils sont considérables, peuvent être relevés, en poursuivant sans relâche des politiques solides, sur le plan économique et social. Aujourd’hui, il s’agit d’aller plus loin — d’œuvrer ensemble à une stratégie de croissance solidaire, riche en emplois et durable. Aujourd’hui, il s’agit de permettre aux pays à la traîne de profiter des gains enregistrés par de nombreux pays, en les aidant à s’affranchir de leurs fragilités et à mettre en place des institutions solides.

Je terminerai en citant l’hymne national du Mozambique : « Pedra a pedra construindo um novo dia » — « Pierre par pierre, construire un nouveau lendemain » — c’est l’esprit de l’essor africain.

L’essor africain profitera aux populations du continent. Au-delà, l’essor africain profitera au monde. Une Afrique toujours plus intégrée au monde — et le monde qui apprend de l’Afrique.

Je vous remercie – obrigada.

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