La grève de 96 heures, lancée par le Syndicat national des travailleurs de la santé humaine et animale (SYNTSHA), débutée le mardi 13 pour prendre fin le vendredi 16 novembre 2012, a été très bien suivie par le personnel clinique du Centre hospitalier régional (CHR) de Kaya. La particularité de cette grève est que le service minimum de soin n’était pas assuré. Si cette situation a été difficile pour le CHR, les mesures qui ont été prises par l’administration ont permis de juguler les effets de cette grève et d’éviter le pire.
Lundi 12 novembre 2012. Il est 23h53mn. Une lueur de pharetransperce la faible luminosité de la partie arrière des bâtiments administratifs de l’hôpital. Le vrombissement nocturne du véhicule de la directrice du CHR de Kaya, Cyrille Priscille Kaboret, se fait entendre. Quelques instants après, c’est celui de la directrice régionale de la Santé, Euphrasie Wetta, par ailleurs président du conseil d’administration de l’hôpital, qui apparait. A un jet de pierre de là, ce sont les directeurs des services administratifs du CHR qui attendent avec impatience. Quel mobile peut-il rassembler les caciques de l’hôpital à pareil moment ? La raison, c’est que le mot d’ordre de grève lancé par le SYNTSHA doit être observé à partir de minuit. Il sied alors pour eux, de constater de visu dans les services d’hospitalisation du CHR, le suivi de cette grève et de prendre les mesures qui vont s’avérer nécessaires.
La visite en groupe dans les services d’urgence et d’hospitalisation a permis sur place de prendre le pouls la situation : ceux qui obéissent au mot d’ordre de grève et qui quittent leur service respectif, et ceux qui ne le font pas. Le premier constat : la grève est bien suivie. Il faut maintenant activer le plan de gestion de la grève qui avait été mis en place. En effet, l’équipe de direction avait rencontré auparavant le syndicat de l’hôpital afin de d’accorder les violons sur le service minimum à faire. Mais, de l’avis de la première responsable du CHR, ce fut un échec total. Le syndicat estime que c’est un mouvement national et que, par conséquent, il ne peut pas prendre la responsabilité d’assurer le service minimum.
Le modus operandi mis en place
Face à cet échec, la batterie de mesures pour faire face à cette grève se met en application. Le modus operandi prévoit de refaire le programme avec les agents non grévistes, les agents en Service national de développement (SND), les personnes réquisitionnées au niveau du CHR, les bénévoles et autres stagiaires. En plus de ces agents, l’hôpital avait obtenu de l’aide en personnel de l’infirmerie de la garnison et des forces armées de Kaya, réquisitionné par le gouverneur du Centre-nord, l’appui de quelques élèves IDE de l’Ecole nationale de santé publique (ENSP) se trouvant à Kaya, le soutien de Save the Children pour les services de la pédiatrie et du CREN, ainsi que d’autres agents provenant du district sanitaire de Kaya. Ce sont donc ces agents qui ont été redéployés dans les différents services d’urgence et d’hospitalisation pendant toute la période de la grève. Ce personnel a été confronté à des cas assez difficiles durant cette période, notamment la situation des personnes vulnérables comme les enfants malades, les femmes enceintes et d’autres malades référés des structures périphériques de la région. La quasi-totalité des Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de la ville de Kaya étant fermée pour cette même raison, tous les cas sont référés directement au CHR. Chaque jour, l’équipe de la direction, conduite par la première responsable, fait des va-et-vient incessants afin de gérer les urgences et les situations qui s’imposent.
Des cas de sauvetage in extremis
Certains cas ont nécessité de faire appel au gynécologue pour lever l’urgence, comme ce fut le cas d’une femme en accouchement nécessitant une intervention. “Vu son état, il fallait que toute une équipe vienne pour une intervention sinon la femme allait mourir avec l’enfant dans le ventre. Mais grâce à Dieu, ils ont été sauvés. Ce petit garçon sauvé et qui est venu au monde est devenu mon mari”, s’est réjouie la directrice. Le deuxième jour de la grève, la maternité a enregistré un nombre impressionnant de femmes pour accouchement alors qu’un manque cuisant de personnel soignant se pose. “C’est une brave dame, une accoucheuse de son état, et non loin de la retraite qui, seule, s’est battue avec ténacité et bravoure pour faciliter sept accouchements. Tous les enfants et leur mère se portent bien et cela m’a comblée”, a fait savoir, toute heureuse, la DG. Face à cette situation, il fallait prendre le taureau par les cornes pour éviter d’essuyer les plâtres. “C’est cette situation qui a justifié l’appel au niveau central pour demander un apport en personnel. Si d’autres femmes viennent pour accoucher alors que nous ne sommes qu’à la moitié de la grève, je crains que le pire n’arrive”, a-t-elle expliqué. Cet appel au niveau central a été entendu, et 4 sages-femmes et un maïeuticien en fin de formation à l’ENSP sont arrivés de Ouaga pour pallier les insuffisances. Cet apport, selon la DG, était nécessaire et a permis de stabiliser la maternité pendant que les autres équipes s’ingénient, non sans difficultés, à soigner les autres patients dans le reste des services.
Quid des décès pendant
cette grève ?
Il se sussurait sur le net qu’il y a des vagues de décès au CHR de Kaya. Sur la question, la DG a reconnu cet état de fait, mais elle n’a pas la même version que celle qui est sur Internet. “Ce ne sont pas des rumeurs à partir du moment où on doit mourir à l’hôpital. Il ya eu des décès, mais les chiffres et les services que les gens donnent sur Internet ne sont pas vrais”, a-t-elle expliqué. Au total, selon les chiffres qu’elle a communiqués, il y a eu 7 décès (3 décès aux urgences) au premier jour, 2 décès (pédiatrie et chirurgie-post-opéré) au deuxième jour, 2 décès (CREN et urgences) au dernier jour. “Il y a de la mauvaise foi, sinon des gens meurent les jours sans grève et cela n’émeut personne. Et maintenant que c’est la période de la grève, on invente n’importe quoi pour dire qu’il y a décès par-ci et décès par-là” a déploré la DG.
Près de 80% des cliniciens en grève
Au terme des quatre jours de grève, le taux de suivi de la grève oscille autour de 60%. Mais, il y a un bémol à ce niveau, a fait remarquer la DG, qui ajoute que ce taux est basé sur le personnel dans son ensemble, y compris l’administration. “Il est évident que si nous allons nous focaliser sur le personnel soignant seulement, le taux de suivi de la grève atteindra les 80%”, a-t-elle reconnu. Toutefois, elle admet que la situation aurait pu être pire si des bonnes volontés ne s’étaient mises ensemble pour gérer cette crise. A cet effet, elle remercie le personnel administratif et soignant non-gréviste et toutes les autres personnes qui ont exécuté les différentes tâches. A l’adresse des syndicats et partenaires sociaux, Cyrille Priscille Kaboret se veut sans ambages et tient à leur rappeler ceci : “le droit de grève est reconnu à chaque citoyen, c’est vrai. Mais il faudra à l’avenir, ou les prochaines fois, songer à la population, au bien-être de la population en instaurant le service minimum car des cas non souhaités, des situations non voulues peuvent arriver à tout le monde sans exception”.
Une mauvaise nouvelle foudroyante
Avant de prendre congé de la DG, celle-ci reçut un coup de fil annonciateur d’une mauvaise nouvelle : ‘’Un accident de véhicules vient de se produire vers Pissila faisant deux morts et de nombreux blessés’’. Vite, il faut agir, ce qui nécessite de convoyer les blessés au CHR pour les soins. Mais le hic est que par ces temps de grève, le manque d’ambulances et de chauffeurs s’est fait sentir avec acuité. Mieux vaut fourbir ces armes que de s’asseoir, et d’un bond, elle se leva et nous sortîmes ensembles. C’est bientôt la pénombre, la nouvelle équation est de gérer cet accident de circulation qui a fait au moins 13 blessés. Sans tarder, l’appel tous azimuts au rassemblement est lancé, et chacun est prié d’être présent avant que les victimes d’accidents n’envahissent l’antre de l’hôpital. Appel entendu. Presqu’une heure après, l’hôpital est rempli de monde, les véhicules ayant convoyés les blessés avec leurs parents et proches sont là. Le manque de cliniciens est criard, mais il faut faire avec ceux qui sont arrivés. Un agent de la pharmacie est aussi appelé à la rescousse pour assurer la disponibilité des produits. Bientôt, deux cas graves sont envoyés au bloc opératoire et les 11 autres au post-opéré. Les soignants, débordés mais volontaires et décidés, jouent des pieds et des mains pour soigner ces blessés parfois dans un méli-mélo sur certains cas sans accompagnants. Pour pallier cela, le service social est vite appelé en soutien. La situation se normalise peu à peu, les esprits s’apaisent et la foule commence à se calmer. Il fait déjà tard, il sera bientôt minuit, heure à laquelle les grévistes seront de retour pour suppléer les autres qui sont restés au four et au moulin depuis quatre jours. Trois agents viennent de faire leur entrée en direction de leur service de garde respectif. La DG et son équipe, dans le même élan qu’au début de la grève, refont le même scenario dans les services. Tout est rentré dans l’ordre, car chacun est à son poste