A l’Assemblée nationale du Burkina, il est le seul député issu de l’Organisation pour la démocratie et le travail (ODT). Lui, c’est Dieudonné Sawadogo. Du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) à l’Alliance pour la démocratie et la fédération- Rassemblement démocratique africain (ADF-RDA), il a déposé finalement ses valises à l’ODT. Aujourd’hui au Faso a bien voulu lui tendre le micro, afin de savoir le parcours politique de l’homme. Il a aussi été question d’une analyse de la situation politique nationale et de la vie de l’ODT, jadis animé de contradictions.
AF : Dites-nous comment vous êtes arrivé dans la politique ?
DS : Dire comment je suis arrivé dans la politique est une longue histoire, car depuis mon enfance et en 1978 déjà, je suivais mon père pour assister à des meetings.. Avec la Révolution, j’ai tenté de m’y intégrer petit à petit, à travers les travaux d’intérêt commun. A un moment donné, je militais dans le parti majoritaire (Congrès pour la démocratie et le progrès). A un certain moment, je ne me suis pas révolté, mais mon attitude n’était pas loin d’une révolte. Etant jeune, j’ai remarqué que dans la province du Bam, les aînés ne voulaient pas de la promotion des petits frères. Cela voudrait dire qu’à long terme, il n’y aura pas de relève. C’est ce qui ne m’a pas plu. Je me suis alors dit qu’il faut que j’y envoie l’opposition. Beaucoup ne m’ont pas compris en son temps.
Il y en avait aussi ceux qui me traitaient de «petit révolutionnaire», d’autres me traitaient de «faux type». Je leur ai tout simplement dit avoir opté de prendre mes responsabilités bien qu’étant petit. C’est ainsi que j’ai quitté le CDP pour l’Alliance pour la démocratie et la fédération-Rassemblement démocratique africain (ADF-RDA). Vous n’êtes pas sans savoir que c’était le parti d’opposition. Je peux dire qu’au niveau du Bam, je suis le seul à oser amener l’opposition pour contrer le CDP.
Vous imaginerez donc comment j’étais vu et traité politiquement. Mais cela ne m’a pas du tout découragé. Au niveau du Bam, mon choix porté sur l’ADF-RDA vise à redonner un dynamisme au parti. Je l’ai vraiment réveillé, puisqu’en son temps (2004-2005), l’ADF-RDA était presque morte, voire inexistante dans la province. L’occasion qui m’a permis de faire revivre l’ADF-RDA, c’est mon association (Association pour la protection de la nature et pour le développement social au Burkina).
J’avais organisé une compétition de football intervillages. Tous les villages que l’association couvrait ont pris part à ladite compétition. Le parrain que j’avais trouvé, Me Gilbert Noël Ouédraogo, m’a accueilli à bras ouverts. Le responsable provincial du parti en son temps, le regretté Joseph K. Sawadogo, a soufflé au parrain que s’il arrivait que je sois avec eux, l’ADF-RDA allait prendre un nouvel envol.
Les anciens et les nouveaux du parti qui étaient avec moi peuvent jusqu’à présent, reconnaître en moi un battant et un homme aux initiatives propres. Au moment où il fallait choisir les candidats pour les législatives de 2007, ils ont jugé nécessaire que je suis petit et il fallait identifier une autre personne à ma place.
C’est ce qui a créé notre discorde. Ils ont fait naître ainsi un sentiment de découragement au sein de mon équipe. Sincèrement, je n’ai pas pu supporter, parce que malgré ma jeunesse, à travers ce que j’ai fait pour le parti, je n’ai pas pensé qu’un jour, Gilbert pouvait me lâcher de la sorte. Ce qui m’a conduit à un mois des élections, à déposer ma démission sur la table du président du parti (Gilbert Noël Ouédraogo). J’ai encore pris mes responsabilités de déposer ma valise et celle de mon équipe à l’Organisation pour la démocratie et le travail (ODT).
La province comptait seize (16) partis politiques en compétition à ces élections. Malgré mon arrivée tardive à l’ODT, surtout à l’approche des élections, le parti est arrivé à la troisième place, après le CDP et l’ADF-RDA qui se sont partagé les deux sièges.
Cette même année, ceux de l’ADF-RDA utilisaient mon nom pour leur campagne. Je me suis dit que la lutte continue. Du début 2008 jusqu’aux élections du 2 décembre 2012, j’ai mené une bataille dans toute la province du Bam et le résultat est là aujourd’hui.
AF : Vous étiez en parfaite opposition au CDP, aujourd’hui vous êtes presque dans le même navire politique. Comment pouvez-vous expliquer cela ?
DS : Dire que je suis du CDP, c’est trop dire. Mais, nous partageons quelque part, les mêmes idées et les mêmes manières de gouverner.
J’avais juste constaté une chose qui me déplaisait au CDP. Je me suis dit que si ça continuait ainsi, la répercussion risque d’être longue, parce que si les gens ne pensent pas à une relève à un certain niveau, il n’y aura plus de relève. Et cela n’est pas intéressant.
C’est ce qui m’a motivé à prendre mes distances. Si vous pensez que j’étais contre le CDP et aujourd’hui pour lui, tout peut se faire en politique. Remarquez ce qui se passe sur la scène politique actuellement. Tout en me réservant de dire certaines choses, vous voyez que les amis politiques d’hier peuvent devenir des ennemis politiques aujourd’hui, et vice versa.
AF : La scène politique burkinabè a connu depuis un certain temps, l’avènement d’un parti politique, le MPP. Quelles impressions cela vous inspire ?
DS : Cela ne peut être que des impressions politiques. Pour moi, en politique, tout est permis, tout peut arriver et tout peut se faire. Avec l’arrivée du MPP, sur la scène politique, je me dis que c’est une situation prévisible. La façon dont on voyait venir les choses, on savait qu’un jour, il allait y avoir une explosion au sein du CDP.
Vous savez que le CDP est un très grand parti qui regroupait la quasi-totalité des cadres du pays. Vous n’êtes pas sans savoir et vous conviendrez avec moi que si vous avez tous ces caciques avec vous, des frustrations ne peuvent pas ne pas naître à un certain moment.
Il y aura des mécontents. Nous les hommes, nous sommes trop pressés, même dans la vie active. Il faut que les gens sachent que si aujourd’hui c’est mon tour, demain c’est le tour d’une autre personne. Si on me nomme Premier ministre aujourd’hui, il faut que je pense à ce qu’on m’enlève un jour pour quelqu’un d’autre et la vie continue. C’est cela la vie. Les choses tournent. Si c’est une seule personne qui est là et qui ne bouge pas.
C’est bon mais ce n’est pas arrivé comme le disent les gens. Pour moi quand on parle du MPP, je le vois autrement. J’aurais voulu qu’on parle plutôt d’un front de refus CDP comme ce qui s’est passé à un moment donné sur la scène politique avec le RDA et le Front de refus RDA. Pour moi, le CDP et le MPP sont tous pareils. Ils sont tous issus de la même termitière. Maintenant qu’il y a eu des mécontentements et des frustrations quelque part, pour moi c’est normal. Ce qu’on souhaite, c’est d’appeler les uns et les autres à mettre de l’eau dans leur vin.
AF : Quelle est votre analyse de la situation politique nationale actuelle et quelle est la position de l’ODT face au référendum ?
DS : Mon analyse personnelle est que ce qui est inscrit dans la constitution doit être respecté. On dit que la constitution est notre fétiche. Même si tu appartiens à une société donnée, c’est ce qu’elle veut que tu fais. Si tu te mets en marge de ses lois, tu es à bannir. C’est ce que la constitution dit que nous suivons. Si la constitution nous dit clairement d’aller au référendum, on y va ! Cela crée quelle peur ?
Quant aux belligérants, chacun n’a qu’à affûter ses armes sur le terrain au lieu de s’adonner à des bagarres ! C’est en ce moment qu’on reconnaîtra la démonstration de force de tout un chacun. Maintenant si le CDP arrive à convaincre la population et le «oui» domine, il n’y a pas de problème. Si ce sont les opposants qui arrivent à convaincre leurs militants et le «non» domine, que Blaise Compaoré accepte sa défaite. S’il y a lieu d’aller au référendum, on n’y va. S’il y a lieu de ne pas aller, il n’y a pas de problème. A l’ODT, nous sommes sereins. Nous suivrons la décision qui tombera.
AF : Etes-vous donc pour l’alternance en 2015 ?
DS : L’alternance en 2015 ? Pour moi, qu’est-ce que ça veut dire ? Tout ce qui est écrit, si nos frères, nos devanciers sur la scène politique voulaient l’alternance en 2015, ils n’auraient pas dû faire la constitution de cette manière. Je m’excuse parce que je suis un piètre en droit, mais quand on jette un coup d’œil sur la constitution, nous savons que ce sont les mêmes qui l’ont fait et qui ont voulu que ça soit comme ça.
Maintenant que les uns et les autres se lèvent aujourd’hui et parlent d’alternance, c’est à nous de leur poser la question de savoir s’ils veulent l’alternance en 2015. S’ils le voulaient, ils n’auraient pas dû tripatouiller la constitution pour qu’on se retrouve là où nous sommes aujourd’hui. Je pense que le simple citoyen qui prend la constitution de nos jours, sait que le CDP et les gens du MPP qui étaient au CDP ont fait de ce qu’ils veulent en 2015. Maintenant qu’ils ont tiré le vin, c’est à eux de le boire. Ils ont transcrit leur expression dans la constitution. Si d’autres se lèvent aujourd’hui pour dire non, c’est leur problème.
Ce qui est le plus important, c’est que le pays demeure dans le calme et dans la paix.
AF : Au cas où le référendum serait inévitable, feriez-vous la campagne pour le «oui» ou pour le «non» ?
DS : S’il s’agit d’aller au référendum, nous mènerons la lutte pour défendre la position du groupe politique auquel nous appartenons. Ça c’est clair au moins !
AF : Le député Ablassé Ouédraogo dont la position est claire, et avec qui vous ne partagez pas les mêmes opinions politiques, vous a accompagné à Kongoussi le 11 mai passé, pour votre meeting de remerciement. Comment comprenez-vous cela ?
DS : Rires. Beaucoup de personnes m’ont effectivement interpellé quant à la présence de Ablassé à mon meeting. Avant tout, je peux dire qu’il est un Burkinabè et il est mon frère. D’ailleurs quand je distribuais mes cartes, je n’avais pas prévu sa carte.
Il m’a vu distribuer des cartes et il m’a demandé : «Dieudonné, qu’est-ce que tu es en train de faire ?» Je lui ai dit que je dois faire mon meeting de remerciement à Kongoussi. C’est là qu’il m’a dit que même si je ne lui donne pas de carte, il est mon frère et à chaque moment que je le juge utile, il sera à mes côtés. Il y a des gens à qui j’ai donné des cartes mais qui n’étaient pas là ! Maintenant ces derniers ne peuvent pas me reprocher d’avoir invité des chefs de partis de l’opposition.
Avant tout, Ablassé est mon frère et il est député. Pour moi, en venant à Kongoussi pour m’accompagner, il vient en tant que député de l’Assemblée nationale. C’est l’occasion pour démontrer aux Burkinabè que lorsqu’il s’agit d’une situation quelconque, il faut que nous ayons à l’esprit de se retrouver, quel que soit notre bord politique. Il faut savoir qu’on a besoin de tout le monde.
C’est de là que naîtront les vraies discussions et les vraies ententes. J’ai toujours refusé de prendre mes distances avec quelqu’un qui n’est pas du même bord politique que moi. S’il faut toujours refuser ou chasser ceux qui n’ont pas les mêmes positions que toi, le monde ne serait pas le monde. Tu seras seul. Et à quoi sert d’être seul sur cette terre ? C’est ce qui m’a poussé à inviter Ablassé à venir m’accompagner pour mon meeting de remerciement.
AF : D’aucuns disent que c’est Daouda Zoromé, maire de Kougoussi, qui a battu campagne pour vous, lors des élections municipales passées. Qu’en est-il exactement ?
DS : S’il nous a aidés à faire la campagne, l’ODT allait diriger la mairie aujourd’hui. Peut-être que j’étais député-maire ! Les gens ont l’art d’interpréter mal les situations.
Ils cherchent toujours des poux sur des têtes rasées. Je ne comprends pas pourquoi le maire en question va battre la campagne pour l’ODT et il vient encore pour être le maire de son parti. Ou bien il démissionnait pour venir à l’ODT, ou bien c’était un de l’ODT qui était maire. Pourquoi c’est un maire CDP qui est aux commandes ? C’est ça aussi qu’il faut comprendre.
AF : Etes-vous de la mouvance présidentielle ou avec Blaise ?
DS : La Mouvance présidentielle ou pour Blaise ? Mais c’est Blaise le président !
AF : Si un autre que Blaise venait au pouvoir, allez-vous être toujours dans la mouvance ?
DS : La réponse à cette question appartient à l’avenir. Un philosophe disait que l’homme a peur de l’avenir, parce qu’il contient sa mort. Tu connais aujourd’hui ce que tu es, mais pour demain tu ne peux pas le savoir. Si je dis que je serai bleu ou noir demain, c’est devancer les choses d’une manière naturelle, alors que présentement, il faut être à tout moment avec sa décision et sa ligne de conduite.
C’est ce que je me dis. Si vous voyez, entre-temps Blaise était avec Sankara lors de la Révolution. Après le Front populaire est venu. Qui savait que ça allait venir ? Personne ! Chaque situation avec ses situations.
AF : Issa Anatole Bonkoungou, maire de l’arrondissement n°4 de Ouagadougou a quitté le navire du CDP pour l’ODT. Qu’est-ce qui l’a amené selon vous ?
DS : Je pense bien que Issa Anatole Bonkoungou et son équipe sont des gens responsables et intelligents. S’ils ont opté de déposer leurs valises à l’ODT, c’est qu’ils ont opéré un choix responsable. Partant de là, s’ils n’épousaient pas les idéaux du parti, ils n’allaient pas faire un pas vers nous.
Je me dis qu’ils ont peut-être suivi les actions de l’ODT au niveau de leur arrondissement. Lui et sont équipe ont dû raffiner et voir après le CDP, le parti qui semble leur être favorable. Je crois que c’est tout une multitude de questions qui les a amenés à l’ODT. Seuls eux peuvent vous dire réellement leur motivation à l’ODT. On ne fait que saluer positivement leur venue.
AF : Vous êtes beaucoup sollicité pour des parrainages d’activités dans le Bam. Comment vous vous en sortez ?
DS : M’en sortir c’est trop dire. Je fais de mon mieux. Tout simplement parce que nous sommes là, pour cette population. Si je remercie Dieu aujourd’hui, je la remercie aussi parce c’est grâce à elle aussi que je suis là où je suis. Même si je vais me déplumer, il faut que je le fasse pour cette population. Comme le disent les Mosse, la vache ne saurait remercier la mare car elle y reviendra demain.
Pour moi également, il faut que j’aille au-delà d’où je suis parti comme je l’ai dit pendant ma campagne que je prendrais mon bâton de pèlerin et ma boîte de mendiant et aller où il faut demander. Je n’aurai pas honte de demander. Et si je gagne, ma population verra ce que j’ai gagné.
Je ne compte pas seulement sur ce que je gagne pour satisfaire ceux qui me demandent les parrainages. Il y va de soi que je le fasse. Nous sommes deux députés dans le Bam et si je suis beaucoup sollicité, il en est de même de l’autre. Chacun de son côté fait des efforts pour ne pas décourager les populations. C’est ce que je suis en train de faire.