Est-ce le début de la répression violente de toute forme de manifestation au Burkina ? En tout cas, le pire est à craindre si la police a la main aussi légère contre les manifestants, comme ce fut le cas à Bagaré, dans la province du Passoré, le 14 mai dernier.
Ce jour-là, la brutalité des forces de sécurité a atteint son comble, face à des hommes et femmes voulant juste exprimer un droit, celui de manifester librement. Il y a même un blessé par balles, ce qui témoigne de la férocité de la répression.
Certes, la police et l’administration mettent en avant le caractère illégal de la marche, pour n’avoir pas été autorisée. Mais est-ce pour autant qu’il faut user de moyens aussi disproportionnés face à des civils ? La police doit être républicaine même en cas de manifestation non autorisée. Et d’ailleurs, pourquoi une telle interdiction ? Est-ce une mesure sécuritaire ou politique ? Dans la gestion d’une crise comme celles qui ont lieu dans nos communes, la prudence, le sang-froid et l’objectivité de l’Etat et de ses représentants doivent être de mise.
Ne jamais prendre parti pour telle ou telle chapelle, observer les seules prescriptions de la loi, voilà ce qu’on attend d’une institution de la république. Si la répression violente de la marche, à Bagaré, par les forces de l’ordre, visait à restaurer la fameuse autorité de l’Etat et à décourager tous ceux qui enfreindraient à la loi, on peut encore comprendre. Mais s’il s’agit d’une opération partisane, alors il faut craindre pour la paix sociale dans la commune, voire la province tout entière. Car les victimes ne croiront plus en l’impartialité des forces de sécurité, qu’elles considéreraient comme de simples milices au service de certains clans.
Dans un contexte délicat comme celui du Burkina, le moindre dérapage est porteur de risques. La modération est donc recommandée de la part de tous les acteurs de la vie nationale, à commencer par les forces de l’ordre. Imaginons un seul instant l’onde de choc qu’aurait provoqué la mort du blessé le plus grave…
Ce serait un cycle de vengeances, comme on en a vu dans d’autres localités. Du reste, rien ne dit que l’affaire est close. En tout état de cause, une enquête doit être menée en bonne et due forme pour faire la lumière sur cette bavure.
Vu donc la situation nationale délétère, la police, dès maintenant, doit recadrer ses éléments afin de les amener à avoir des règles d’intervention appropriées, bref, à faire preuve de professionnalisme. Le zèle des policiers à Bagaré, contre de paisibles manifestants, est d’autant plus curieux qu’au même moment, les délinquants écument nos villes et campagnes, sans rencontrer de résistance. Même si on peut leur concéder de vouloir faire respecter la loi, la furie des forces de l’ordre est paradoxale. En effet, pendant que des manifestants sont brutalisés, des bandits sèment la panique dans le pays.
C’est sur ce terrain de la protection des biens et des personnes contre la grande criminalité que la lutte doit être concentrée. Après les mutineries de 2011, l’image des forces de sécurité avait pris un sacré coup. Mais à force de travail, elles retrouvent peu à peu la confiance des populations. Il ne faut pas à nouveau brader cette embellie en se trompant de cible. Les vrais ennemis de la république, ce sont les bandits qui empêchent les citoyens de dormir, pas les populations exigeant des droits, même si parfois force est de reconnaitre qu’elles sont manipulées par des politiciens tapis dans l’ombre.
Dans une démocratie, la liberté de manifester est sacrée. Il faut donc tout faire pour la préserver. Le Burkina est en train d’entrer dans une période sociopolitique où les forces de l’ordre seront sans doute fortement sollicitées. Jusqu’en 2015, tout peut arriver dans ce pays, le meilleur comme le pire. Les forces de l’ordre, qui seront sans doute sur les dents, sont appelées à jouer vraiment leur rôle régalien plutôt que de contribuer à mettre le feu aux poudres .
