Joseph Kabila, un des chefs d’Etat africains tentés par le pouvoir à vie, a été rappelé à l’ordre dimanche dernier par les Etats-Unis. Par la voix de son secrétaire d’Etat John Kerry, la première puissance mondiale a enjoint le président de la RD-Congo de respecter la Constitution en ne briguant pas un autre mandat en 2016. S’adressant au chef de l’Etat congolais, les yeux dans les yeux, le diplomate américain a martelé que «les États-Unis d’Amérique sont intimement convaincus [...] que le processus constitutionnel doit être respecté». Russell Feungold, l’envoyé spécial américain pour la région des Grands Lacs, a été encore plus précis, plus direct : «Nous ne voulons pas que Joseph Kabila change la Constitution ou fasse un troisième mandat». On ne sait pas ce que Kabila pense de ces phrases lourdes de sens. Ce qui est sûr, il devrait être en train d’y réfléchir intensément. En tout cas, les appels du pied de ses thuriféraires se font de plus belle, l’invitant à faire sauter l’article 220 de la Constitution limitant le mandat présidentiel à deux non renouvelables. Et on se demande si les mises en garde américaines le dissuaderont de créer une nouvelle crise politique, juste pour sa gloire personnelle. Les injonctions des grandes puissances font souvent l’effet de l’eau sur des plumes de canard. Les dirigeants africains soulèvent en effet leur souveraineté, quand certaines vérités leur sont assénées de l’extérieur. Soit. Mais quand le pays bascule dans le chaos du fait de leur aveuglément et de leurs errements, ils sont les premiers à appeler à l’aide internationale. Ainsi, on a vu comment la RDC, empêtrée dans une longue crise politico-militaire, a pu recouvrer un semblant de paix grâce à un soutien massif de la communauté internationale. Si Kabila a pu rétablir quelque peu l’ordre dans l’Est du pays, il le doit aux forces de l’ONU dont les pays développés sont les principaux bailleurs de fonds. Rien que pour cela, ils ont donc un droit de regard sur ce qui se passe sur le continent et particulièrement en RDC. Tenter de tripatouiller la Constitution, ce serait remettre en cause la paix chèrement acquise, étant donné que l’opposition n’entend pas se laisser faire. L’essentiel est que les Américains auront prévenu. Et si cette opposition de John Kerry au charcutage complaisant et égoïste de la Constitution est une doctrine américaine, alors elle s’applique à tous les autres chefs d’Etat africains.
Ainsi, si John Kerry se retrouvait devant un Blaise Compaoré, il devrait tenir le même langage. En effet, le président burkinabè serait tenté lui aussi par le syndrome du révisionnisme constitutionnel. Plus qu’en RDC, le Burkina est même très avancé dans ce processus, avec tout le tapage fait par les partisans du président autour de ce projet anti-démocratique. Il y a urgence à se prononcer sur le cas burkinabè, au regard de la proximité de la présidentielle (2015 contre 2016 pour la RDC), des intentions affichées par les partisans du régime et des risques de déstabilisation du pays. Pour le moment, l’ambassadeur américain s’est gardé de tout commentaire sur la question. Mais s’il est logique, il doit lui aussi épouser la vision de son patron, John Kerry. Sauf si les Etats-Unis ont une diplomatie à géométrie variable, ce qui est valable pour la RDC l’est aussi pour le Burkina. Tout est possible avec les USA. En Egypte, ils ne se sont pas gênés de soutenir les putschistes qui ont renversé le premier président démocratiquement élu du pays. Ils n’ont pas non plus jugé infréquentable le Général Al-Sissi qui a ordonné la répression sanglante des Frères musulmans. Il ne faut donc pas être naïf en croyant à une application stricte et non sélective des principes démocratiques chers à l’Amérique.
Mais pour une fois, on ose croire que les Etats-Unis seront logiques avec eux-mêmes, concernant la question du respect des Constitutions. Cette doctrine, on le sait, entre en droite ligne de la conception que Barack Obama a de la démocratie. Sa célèbre phrase prononcée à Accra, constituant le socle de sa politique africaine, à savoir que «L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes». Quelques dirigeants assoiffés de pouvoir ont raillé Obama pour cette assertion, et pourtant il a raison. Si des pays comme la Belgique, le Japon ou Israël n’avaient pas des institutions fortes, ils ne pouvaient pas s’en sortir avec leurs fréquentes instabilités gouvernementales. C’est dire qu’avec un socle institutionnel solide, un pays peut survivre à n’importe quelle crise sans grand dommage. Les dirigeants africains qui se croient indispensables à leurs pays devraient donc revenir à plus d’humilité .