Les ministres de l’Agriculture africains se réunissent à Addis-Abeba cette semaine pour débattre des politiques qui façonneront un marché agricole qui pèsera, selon les estimations, mille milliards de dollars américains d’ici 2030, soit trois fois plus qu’en 2010. On peut discuter de la sous-évaluation ou de la surévaluation de ce chiffre, mais une chose est certaine : nous ne devons jamais sous-estimer le dynamisme entrepreneurial de l’Afrique ni la capacité potentielle de nos millions de petits exploitants agricoles à nourrir notre continent et le reste du monde. Les petits exploitants africains peuvent changer la donne du secteur agricole.
Quatre-vingts pour cent de la nourriture que nous consommons en Afrique est produite par des petits exploitants, en majorité des femmes, dont les terres dédiées aux cultures et à l’élevage s’étendent sur moins d’un hectare. Aujourd’hui, leur production reste bien en deçà de leur potentiel. Mais quand les agriculteurs africains disposent de ce que les autres agriculteurs du monde considèrent comme acquis, ils rattrapent leur retard. Il faut donc leur donner les moyens d’accéder à des financements, aux technologies agricoles et aux marchés, tout en sécurisant leurs droits de propriété sur leurs terres, en leur assurant des services de vulgarisation efficaces, et en mettant en œuvre des politiques de soutien.
Les initiatives permettant aux agriculteurs africains de s’adapter aux conditions de croissance mises à mal par le changement climatique sont aussi essentielles. Toutefois, nous pouvons davantage soutenir le développement agricole africain en s’attaquant au fossé entre les hommes et les femmes dans l’agriculture et en surmontant les obstacles qui limitent la productivité des femmes par rapport à celle des hommes.
En mettant ces principes de base en pratique et en développant des partenariats stratégiques et réfléchis, nos petits exploitants peuvent prospérer en tant qu’entreprises et disposer d’un meilleur accès aux marchés florissants au niveau local, régional et même international. Leurs progrès vont à la fois insuffler une énergie nouvelle à l’économie mondiale et permettre à nos économies rurales de s’épanouir. Si les petits exploitants africains prospèrent, le monde prospèrera.
L’alternative est plutôt sombre. La réalité est qu’aujourd’hui en Afrique, la moitié de la population vit dans une extrême pauvreté, et plus de 60% de la population vit dans des zones rurales très reculées – et cela ne changera pas de sitôt. En outre, la population de la majeure partie de l’Afrique subsaharienne va plus que doubler entre 2012 et 2050, atteignant un total 11,3 fois plus élevé qu’en 1950. Par quels moyens les Africains pourront-ils avoir accès à une alimentation saine, gagner leur vie et vivre dignement entre 2015 et 2050 ?
La meilleure option est d’accélérer une révolution verte durable au bénéfice des petits exploitants africains. Nous devons les aider à mieux exploiter les progrès scientifiques afin d’améliorer leur productivité et, in fine, leurs conditions de vie. Ceci peut être fait de concert avec les entreprises agricoles de toutes tailles, y compris les grandes entreprises agro-industrielles, sans pour autant oublier que les petits exploitants doivent rester la priorité.
Lorsque les ministres de l’Agriculture se rencontreront, ils auront l’opportunité de prouver leur engagement envers les petits exploitants africains et d’accélérer les progrès réalisés grâce au PDDAA, le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine. Lancé il y a dix ans par l’Union africaine et approuvé par les gouvernements africains, le PDDAA appelle ces mêmes gouvernements à consacrer au moins 10% de leurs budgets annuels à l’agriculture, et à atteindre une croissance agricole annuelle de 6% d’ici 2015.
L’horizon 2015 se rapprochant, le moment est venu de renouveler ces engagements si nous voulons faire de l’agriculture africaine une source durable de richesse, d’alimentation et de santé pour les populations rurales pauvres.
Au cours de la dernière décennie, le PDDAA a contribué à la prise de conscience de la place centrale qu’occupe l’agriculture dans le développement de l’Afrique. Durant cette période, les partenaires internationaux ont inversé le brusque déclin de l’aide publique au développement à destination de l’agriculture, s’engageant à verser des dizaines de milliards de dollars en faveur de l’agriculture africaine.
Quelques rares pays, comme l’Éthiopie, le Burkina Faso, le Ghana et le Rwanda, ont vu leur secteur agricole faire d’énormes progrès, permettant ainsi aux autres pays de tirer des enseignements de leur expérience. Ce n’est pas une coïncidence si les taux de pauvreté de ces pays ont considérablement baissé : 49% en Éthiopie, 44% au Ghana et 37% au Burkina Faso.
L’Union africaine a fait de 2014 l’année de l’agriculture et de la sécurité alimentaire. La meilleure façon de la célébrer est de tenir nos engagements et d’atteindre nos objectifs. Pour ce faire, nous avons de nombreux alliés. Avec la collaboration de l’Union africaine et d’autres partenaires, l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA, Alliance for a Green Revolution in Africa) est engagée dans un éventail de partenariats public-privé offrant des solutions pratiques au défi représenté par la mise en place d’une trajectoire durable vers la sécurité alimentaire en Afrique.
Nous sommes arrivés à un tournant où tous les acteurs impliqués doivent accroître leurs engagements, sceller de nouvelles alliances et se rassembler derrière les petits exploitants agricoles de l’Afrique. En leur donnant les moyens, nous pouvons changer les règles du jeu et initier une décennie de transformations agricoles sans précédent.
Jane Karuku est la présidente de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA)