Le Burkina est un pays où les populations essaient de témoigner chaque jour leur attachement aux traditions et à la religion. Et en général, cela se fait à travers des œuvres ou des dons. On voit ainsi des fidèles réaliser des lieux de culte, aider des hommes de Dieu. Les chefs traditionnels sont aussi appuyés par leurs sujets, qui les aident à faire face à leurs charges. Quand ces actions de bienfaisance sont faites de façon désintéressée, juste par conviction religieuse ou par souci d’aider autrui, il n’y a rien à redire. Malheureusement, cette solidarité est de plus en plus dévoyée. Surtout en cette période préélectorale, beaucoup de cadeaux sont empoisonnés. Ils ne répondent qu’à des calculs mesquins et non à un quelconque élan de générosité. Et il arrive que bien des bénéficiaires tombent dans le piège. Comment cela se passe-t-il ? Des bons samaritains arrosent actuellement certains chefs religieux et coutumiers de biens divers. Le hic, c’est qu’ils ont des arrière-pensées, en général politiques. La saison de la chasse aux leaders d’opinion est ouverte pour certains hommes politiques et leurs acolytes de toutes catégories socioprofessionnelles. On appelle cela aussi du clientélisme. Et comme le pays est pauvre, avec des autorités morales pauvres, rien de tel qu’un « petit cadeau » pour les mener à épouser votre vision des choses. Consciemment ou non, bien des chefs coutumiers ou religieux jouent ainsi le jeu des politiques, pour avoir accepté leurs dons. Le résultat est catastrophique sur toute la ligne : des personnes censées être les garantes de la probité, de l’union et de la paix, deviennent au mieux des gens sans aucun pouvoir et peu écoutés, au pire des pyromanes activant les braises de la division. Quand un garant de la tradition ou un homme de Dieu succombe à certaines tentations, il se lie pieds et poings et devient une marionnette aux mains de certains manipulateurs. Il est obligé de prendre parti, dans une situation où il devait être le recours, l’arbitre, le sage. C’est le cas des leaders d’opinion apolitiques. Ils accueillent, écoutent et conseillent tout le monde, en faisant des considérations partisanes. Mais combien sont-ils aujourd’hui à pouvoir jouer ce rôle ? Très peu. L’échec retentissant de la médiation autosaisie, montre bien la gravité de la situation. Composée de personnalités, à priori respectables, comme un ancien chef d’Etat, d’un homme d’Eglise et d’un chef religieux musulman, la médiation n’a cependant pas pu convaincre l’opposition de son impartialité et de son objectivité. Cette situation illustre à merveille la défiance vis-à-vis de bien des personnalités morales au Burkina.
Elles deviennent disqualifiées pour régler des conflits. Du reste, la récurrence de certains conflits montre d’ailleurs la perte d’influence des chefs et hommes de Dieu : leur l’autorité se délite de plus en plus à cause de leur engagement politique. Dès lors qu’ils perdent leur poids moral dans la société, c’est un mécanisme essentiel de prévention et de règlement des conflits qui s’enraye. En tant que citoyens, les autorités morales ont le droit d’avoir un choix politique. Mais ils ne doivent pas se transformer en propagandistes pour tel ou tel parti. Un sursaut d’orgueil est nécessaire de leur part, pour éviter au Burkina de plonger dans le gouffre dont il se rapproche de plus en plus, du fait de l’entêtement du pouvoir à vouloir sauter le verrou limitatif des mandats présidentiels.
Les hommes politiques, notamment les dirigeants, doivent aussi comprendre que la corruption de certaines personnes ne peut assurer durablement la quiétude sociale. Il s’agit d’une illusion de paix. Le vrai investissement en faveur de la paix, pour un dirigeant, c’est de travailler à développer son pays et non à vouloir corrompre les autorités morales (chefs coutumiers et religieux). Car, au-delà du fait que l’achat de conscience est un raccourci qui ne mène nulle part, il porte en lui les germes de la division et de la discrimination entre les populations. Mais comme on ne peut rien attendre des politiques, de véritables adeptes de Machiavel pour qui la fin justifiera toujours les moyens, alors il faut placer ses espoirs dans un sursaut des acteurs civils et des leaders d’opinion. Le salut de nos sociétés et de notre démocratie dépend en grande partie de leur capacité à s’affranchir des manœuvres politiciennes .