Ce jour fera sans doute date dans l’histoire de la Côte d’Ivoire pour cette raison : Simone, la grande Simone, la chère et tendre épouse de Laurent Gbagbo dont beaucoup s’accordent à dire qu’elle fut la passionaria de la faune politique ivoirienne durant une bonne vingtaine d’années, cette Simone est entendue par la justice ivoirienne ; face au juge d’instruction, elle doit non seulement répondre des chefs d’accusation dont elle avait déjà connaissance (crimes de sang, atteinte à la sûreté de l’Etat, crimes économiques…), mais aussi s’expliquer sur une nouvelle et très lourde faute dont on l’accuse depuis février 2012 : le crime de génocide. Et ce, au lieu de détention où elle se trouve embastillée et esseulée, Odienné, depuis plus d’une bonne année.
La chose provoquera sans doute des passions, chacun réagissant en fonction de son attachement à un camp ou à un autre… rien que de très normal. Mais toute raison gardée, on se devra d’observer qu’après une crise de la profondeur de celle que connut la Côte d’Ivoire en 2011 et qui se solda par le nombre de victimes que l’on sait, il n’est que très normal que la justice se fasse un honneur de chercher la lumière, la vraie, sur les épisodes douloureux qui faillirent précipiter la nation dans l’abîme et dont elle n’est, de toute évidence, pas remise des séquelles. Cela, personne ne pourra le contester sérieusement.
Des mesures allant dans ce sens furent d’ailleurs prises par le pouvoir en place tous azimuts : Laurent Gbagbo arrêté et interné à Korhogo fut transféré à la Haye, où il attend de comparaître pour la confirmation ou l’infirmation des charges ; des éléphants et pontes du Gbagboland sont mis aux arrêts et attendent de savoir à quelle sauce les nouvelles autorités décideront de les «manger».
Simone Gbagbo, qui comparaît à présent, a la sulfureuse réputation ( à tort ou à raison) d’être la dame de fer qui conduisit son ex-président de mari à des égarements coupables ; rien que pour cela, beaucoup d’Ivoiriens lui en veulent et souhaitent lui faire rendre gorge ; on dit d’elle qu’elle avait trop d’influence sur Laurent Gbagbo ; qu’elle fut l’un des faucons les plus impitoyables de la galaxie présidentielle, sans compter que son nom ressort dans des dossiers qui sentent le cadavre : affaires des escadrons de la mort, disparition du journaliste franco-canadien Guy André Kieffer… et on en passe.
Soit, la Simone n’était pas angélique, il faut en convenir, mais de là à l’affubler du crime de génocide !... il y a un pas qu’il ne fallait peut-être pas franchir. Pourquoi ? Parce que le concept est tellement chargé émotionnellement que, mal employé ou utilisé à tort, il risque même de produire l’effet contraire du résultat que vise la justice ivoirienne à l’heure actuelle. Dites «génocide» et l’écho vous répond «shoah», «drame arménien» ou «tueries au Rwanda». Simone, même au faîte de sa puissance et de son influence, a-t-elle pu rééditer ce qui se passa chez ces peuples dans la Côte d’Ivoire que nous connaissons ? Le dire ne signifie pas que l’on s’érige en avocat défenseur de cette femme qui, au temps de sa splendeur, par moments, se montrait intraitable, implacable et impitoyable ; mais il convient de respecter la mesure en toute chose ; et en l’occurrence, la décence commande peut-être que l’on révise à la baisse l’accusation de génocide.
Et ce, d’autant que l’on n’oubliera pas que cette justice des nouvelles autorités ivoiriennes, à ce jour, n’a dans son collimateur que des partisans du président déchu ; cela peut, à la longue, donner la désagréable impression d’une justice des vainqueurs, d’une justice aux ordres qui a pour feuille de route de traquer des sorciers tous embusqués dans le camp adverse, tandis que dans ses propres rangs on ne compte que des anges immaculés. Pour ce qu’il nous a été donné de constater lors de la sanglante crise ivoirienne, il faut, en toute sagesse et honnêteté, le reconnaître : il n’y avait pas (et alors pas du tout) d’un côté, des bons et de l’autre, des mauvais. Alors, dans ce contexte, à quand le jugement des seigneurs de guerre, des com-zones et autres auteurs de crimes bien connus mais toujours présents (certains d’entre eux sont, depuis peu, promus) dans la galaxie ADO ?
Et alors revient, comme une ritournelle, la sempiternelle question de la réconciliation en Côte d’Ivoire. Oui, elle est nécessaire, mais comment l’obtenir ? Il revient aux gouvernants du jour de trouver sans doute les solutions idoines ; mais d’ores et déjà, il est légitime de penser que ce n’est pas en torpillant sans cesse les vaincus du jour qu’interviendra la paix des cœurs dont ADO s’est cependant fait l’infatigable chantre depuis qu’il a pris les rênes du palais. Il leur faut essayer autre chose ; quelque chose qui vaille plus, qui vaille mieux. Toute vraie réconciliation vaut bien des sacrifices ; faux-fuyants et autres ersatz ne serviront qu’un temps ; juste un petit temps, jamais tout le temps.