«Toujours la même ponctualité !» fait remarquer le directeur de publication (DP) de L’Observateur Paalga, Edouard Ouédraogo, en recevant le vendredi 09 novembre 2012 à 10h tapantes : le maire de la capitale, Simon Compaoré. «C’est toujours de la roche !» prévient l’édile qui tape du poing sur la table pour donner la preuve de ce qu’il avance lorsqu’il parvient à la rédaction du journal après près de trois quart d’heures d’entretien avec le DP. L’hôte du jour claudique un peu, séquelle du grave accident de la circulation qu’il a eu le 4 mars 2012 de retour de la clôture du Congrès du CDP, mais l’espoir est toujours vif et le franc-parler intact. C’est parti alors pour plus d’une heure d’échanges dans le pur style «Simon Compaoré».
Vous êtes maintenant un habitué de la maison, quel bon vent vous amène cette fois-ci, à moins que ce ne soit un ouragan nommé Simon ?
• Je rentre de New-York où j’ai assisté pour la dernière fois au Conseil d’administration de l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche. Vous ne le savez peut-être pas, mais nous sommes deux maires dans le monde, celui de la ville d’Atlanta et moi-même, que le Secrétaire général de l’ONU a nommés membres dudit Conseil d’administration. Comme je termine mon mandat, je suis allé là-bas et j’ai été reçu par le SG en marge du CA.
Je suis donc passé voir le doyen d’abord pour le remercier du soutien dont moi-même et mon équipe avons bénéficié tout au long de mes trois mandats ; ensuite parce que je suis en train d’organiser les 17 années de la décentralisation à Ouagadougou. Le but de l’opération, c’est de voir quels sont les acquis, les insuffisances et les perspectives.
On l’a compris, vous ne comptez pas quitter la mairie en catimini mais en fanfare. Quelles sont les activités qui vont constituer votre au revoir à la "ville" ?
• Merci de me donner un vocabulaire volumineux (rires) ! Disons que je ne vais pas partir sur la pointe des pieds. Et parmi les activités que j’ai évoquées justement avec le koro, il y a trois conférences de presse dans un style nouveau avec respectivement la presse écrite, les radios et les télévisions de la place. Ce sera à l’hôtel de ville et ce sera open ! C’est dans le cadre du devoir de redevabilité des maires. Il y aura également du sport, notamment un grand prix cycliste, du cyclo cross, du cross, des baptêmes de rues, et un livre d’or qui va capitaliser toutes nos actions. Il y aura aussi des rencontres avec les chefs coutumiers et les leaders religieux. De même, je vais rencontrer un échantillon représentatif de la population dans chaque arrondissement pour leur dire merci. Sans oublier une dernière session du Conseil municipal. Pour finir il y aura la rencontre avec le peuple de Ouaga à la place de la Nation. En 1995, c’est là que tout a commencé. Je suis rentré par là, je veux sortir par là.
Dans un exercice d’autosatisfaction, vous l’avez dit récemment : «Wallaye, nous avons travaillé !». Toutes proportions gardées, on peut en convenir avec vous. Mais s’il est un domaine où votre bilan reste mitigé, c’est la sécurité routière où le désordre et l’anarchie sont devenus la règle. Voyez les environs de Rood Wooko, de Sankaryiaré et de L’Obs. Même si vous ne serez plus là, que peut ou que doit faire la mairie pour résoudre le problème ?
• On ne va pas rentrer déjà dans ce que j’aurais amplement l’occasion de dire lors de mon bilan, mais il y a un mot que je n’aime pas : autosatisfaction. Non ! Je ne fais pas de l’autosatisfaction, vous qui êtes assis, même si vous ne m’aimez pas, vous ne pouvez pas dire que Simon Compaoré, c’est un paresseux. Ça jamais ! Nous on a relevés des défis mais ce n’est pas pour autant qu’on est arrivé à faire tout ce qu’on voulait. On n’est pas prophète chez soi.
C’est pourtant le mot qui convient le mieux à la situation, même si nous avons ajouté qu’on peut en convenir avec vous...
• Le terme-là n’est pas bon. Reconnaître qu’on a fait ceci et cela, ce n’est pas faire de l’autosatisfaction parce que je reconnais que ce qui reste à faire dépasse ce qui a été fait.
Dans le domaine de la sécurité routière par exemple ?
• Attendez ! Ne me stressez pas (rires) ! Honnêtement, ce n’est pas seulement dans ce domaine. Comme disent les anglais, nous avons des weak points (points faibles) et nous les connaissons.
Et cela fait-il partie de vos points faibles ?
• C’est effectivement l’un des points où nous n’avons pas pu réaliser tout ce que nous voulions, mais quand on va vous montrer ce qu’il y a dans le portefeuille, vous verrez qu’il y a quelque chose qui mijote. Je ne vais pas vous en dire davantage sur ce qu’on est en train de concocter, sinon la rencontre n’aura plus sa raison d’être mais quand vous prenez Ouagadougou, c’est une ville qui croit de 100 à 150 mille personnes par an et qui, d’ici 2050, aura une population de 3 millions et demi, elle est déjà à deux millions d’habitants aujourd’hui. Elle est passée de 1 000 ha en 1960 à 52 000 ha de nos jours. C’est une ville qui pose véritablement beaucoup de problèmes. Ouagadougou, c’est par exemple 6 fois et demi Cotonou du point de vue espace, c’est trop ! Du point de vue mobilité donc, il y a problème ! Il y a des projets et il y a des réflexions que je vous exposerai plus en détails lors de notre rencontre. La mentalité est également exécrable à Ouagadougou. Et nous n’avons pas toujours bénéficié d’un soutien franc et massif pour prendre des mesures draconiennes et nous assumer. Que celui qui veut foutre le bordel aille le faire chez lui !
Mais quelque part, on estime que vous ne pouvez pas mettre de l’ordre à certains endroits parce que vous êtes redevable à ceux qui font ce bordel comme ce fut le cas à Rood Wooko, car ce sont vos électeurs…
• Non ! Ça ne marche pas avec moi ! Non, non, non, non ! C’est prendre les gens pour des moutons. Vous croyez que c’est en acceptant toutes les bêtises dans les marchés que vous allez être élus ? Non ! L’admiration qu’on voue à certains élus de la ville, ce n’est pas parce qu’ils ont été moutons, c’est parce qu’ils ont osé. Vous savez ce qu’on a failli me faire dans ce marché-là ?
Autre tâche noire des 17 ans de vie communale, les lotissements qui ont toujours donné lieux à toutes sortes de barbotages. Vous êtes en train de faire vos cartons et ça continue, comme hier à Yagma. A ce propos, quel est le fond du problème là-bas ?
Sur ce point-là, je vais être prolixe (rires). Vous savez, quand on a de la farine dans la bouche et que l’on veut parler, cela devient un exercice périlleux, car on peut s’étouffer. Et moi, comme je n’ai pas de farine dans la bouche, je peux parler sans risque de m’étouffer. Quand je suis arrivé hier à l’aéroport en provenance de New-York, je suis allé directement au bureau, comme d’habitude. C’est après que j’ai appris qu’il y a eu des problèmes à la gare de O.A. avec des femmes et des incidents à Yagma. Mais à cette question, je ne vais pas répondre à la place du maire Tiga Pascal Ouédraogo qui a, du reste, accordé une interview sur la question ce matin à une radio de la place. En clair, la mairie n’est pas véritablement concernée. C’est un problème entre le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme, la SONATUR, ....
Le problème, c’est que même quand c’est l’Etat qui effectue les lotissements, il est obligé de ramener la gestion des parcelles au niveau du maire pour être en conformité avec les textes puisque c’est le maire qui signe les documents, qui délivre les permis urbain d’habiter. Sinon, ce n’est pas le maire qui a diligenté ce lotissement comme les autres qu’il a eu à faire. On accompagne seulement les structures de l’Etat telles la SONATUR dans la viabilisation des espaces. Il y a un maire central et des maires d’arrondissement et au terme de la loi, ce sont les seconds qui sont les vrais responsables des lotissements. Le maire de Ouagadougou ne lotit pas. Je souhaite que vous me laissiez la possibilité de revenir sur la question des lotissements et de vous dire que même si on balayait toute l’équipe qui est là et que personne ne revenait après les élections, qu’on mette une nouvelle équipe, il y a des pré-requis qui, s’ils ne sont pas réalisés, les mêmes causes vont produire les mêmes effets. Nous, on a remplacé des gens et on s’est rendu compte que les problèmes que l’on évoque aujourd’hui, existaient bien avant nous. Si vous remontez le temps, vous verrez par exemple qu’il y a beaucoup d’erreurs qui ont été commis sous la Révolution pour ce qui concerne les lotissements et dont nous continuons d’hériter aujourd’hui, ce qui cause beaucoup de problèmes. L’administration est une continuité, donc nous assumons.
Dans une ville comme Ouagadougou, on devrait avoir une informatisation complète des parcelles bâties et non bâties avec les noms des propriétaires à l’appui pour éviter qu’une personne puisse tromper la vigilance des agents des mairies et avoir plusieurs parcelles. On a essayé de le faire mais on n’a pas pu. Et les magouilleurs en profitent. Aujourd’hui si on dit qu’il y a des lotissements, à cause de ces difficultés, on a beau faire, il y a des gens qui vont tricher. Deuxièmement, ceux qui gèrent doivent être responsables. Il y a des maires qui ont laissé faire. Ils ont préféré faire confiance à d’autres personnes qui se sont assumées mais d’une autre façon. Il y a des maires aussi qui n’ont pas eu une gestion correcte. Je n’ai pas de difficulté à le leur dire. Durant mes dix-sept ans, aucun maire d’arrondissement ne peut dire que je suis venu le voir pour une affaire de parcelle. Jamais ! Est-ce parce que je n’en ai pas besoin ? J’ai des enfants, des parents.
En 17 ans, vous n’avez jamais été attributaire d'une parcelle dans aucun arrondissement, vous ou des proches ?
• Jamais ! Je n’ai jamais été attributaire de parcelle. Jamais ! Si vous trouvez, vous me coupez la tête !
Dans le récent classement du REN-LAC, la police municipale occupe la deuxième place. Ce qui n’est pas un rang flatteur pour une jeune institution comme elle. M. le maire, quel mémoire en défense aurez-vous pour vos enfants ?
• Moi je suis très proche de la Police municipale. Je sais que j’ai eu à licencier des éléments qui se sont rendus coupables de mauvais comportements. Avec moi, les cas de flagrants délits se règlent directement par le licenciement sans autres formes de procès, même pas de conseil de discipline. Cela traduit la volonté des autorités de mettre fin aux mauvais comportements. Certes, il y a peut-être des brebis galeuses dans la Police municipale, mais il ne faut pas condamner tout le monde. Pour tout vous dire honnêtement, je suis dubitatif sur ce classement-là. Parce qu’il n’y a pas de milieu où il n’y a pas de brebis galeuses. Maintenant si, dans le cadre de vos enquêtes, vous avez eu à faire qu’à des cas concernant ces brebis galeuses, il y a un problème. Dans tous les cas, aujourd’hui les policiers savent que celui qui se fait détecter, il n’y a pas de pardon. Peut-être une autre personne va pardonner, pas le maire Simon Compaoré.
Vous avez parlé tantôt d’élu qui ose, votre premier adjoint Jean Christophe Ilboudo pourrait-il être ce maire-là ?
• Ecoutez, si c’est sur ce point-là, vous avez tiré à terre (rires).
Vous ne serez pas «prolixe» ?
• Non, je veux être responsable. Je n’ai pas 60 ans pour rien. On ne parle pas de ça. Moi-même si vous me dites qui va être élu, I don’t know. Les élections vont venir et les urnes vont parler, ensuite les parties joueront leur partition. Je ne ferai pas de travail qui ne relève pas de ma compétence. I don’t know, wait and see. Je puis seulement vous assurer que j’ai une équipe qui a mené un combat avec moi que j’aurai l’occasion de féliciter, on a quelques fois souffert ensemble, réussi ensemble et aussi échoué ensemble, et en tant que premier responsable, j’endosse les échecs.
Plus hyper actif que Simon Compaoré, tu meurs ! Du coup, on vous plaint quand vous ne serez plus à l’hôtel de ville. Comment sera votre vie après la mairie ? De quoi allez-vous occuper votre temps?
• Wallaye, merci mais il ne faut pas me plaindre ! Je ne suis pas un homme à plaindre, je suis ce que je suis. A 60 ans, on n’est pas un vieux gaga. Ce qui est sûr, pour la ville qui m’a vu naître, à chaque fois que l’occasion me sera donnée de mettre ma contribution à profit, je ne marchanderai pas mon soutien. Maintenant, je suis à la retraite, donc un jeune retraité depuis septembre dernier. Si vous voulez une petite précision, je viens de toucher ma pension d’octobre à décembre parce que je n’ai plus droit à des salaires. Mais je crois que je le ferai mensuellement, car trimestriellement c’est mortel dèh (rires) !
Quelle sera donc votre vie après la mairie alors ?
• Je suis économiste et gestionnaire de formation, si quelqu’un ou une société me sollicite pour un service ou une mission quelconque, j’ai des compétences que je peux faire valoir.
On parle de Simon Compaoré, conseiller d’un président de la sous-région…
• Ecoutez, vous n’allez pas m’amener là où vous voulez que je vienne (rires). Dans la vie, il faut avoir de l’ambition mais une ambition contrôlée. Si quelqu’un a besoin de mes compétences, à 60 ans, il est vrai que je marche difficilement mais je suis saint d’esprit et je pense que je peux vendre une partie de la force de travail qui me reste pour être encore utile. Dans tous les cas, comme nous sommes là, vous aurez l’occasion de m’interviewez sur telle ou telle question. Je suis sûr que je ne vous intéresserai même plus tellement et ce serait bien comme ça. Que vous m’oubliez définitivement !
Mais est-ce qu’on aura le souvenir de votre expérience à travers des mémoires ?
• Beaucoup m’ont conseillé d’écrire, mais moi je parle beaucoup plus que je n’écris. Ça se prépare. Il faut tout noter au fur et à mesure, car à un moment donné la mémoire vous trahit… Mais bon, on verra bien.