Le signe de croix sur le front, sur la poitrine, sur l’épaule gauche, sur l’épaule droite….voilà bien le geste chrétien le plus systématique et le plus courant qui soit. Il semble qu’un enfant en parlait comme du «numéro de téléphone» de Dieu ! Et il est vrai que, quand on veut «appeler» Dieu, quand on veut se mettre en sa présence, on trace ce geste de la main droite, et la prière peut commencer. Le catéchisme de l’Eglise catholique enseigne que le «signe de la Croix nous fortifie dans les tentations et dans les difficultés» et précise que, pour ce faire, le chrétien commence sa journée, ses prières et ses actions par le signe de croix. La question est la suivante : comment l’instrument du supplice infamant que les Romains réservaient aux esclaves est-il devenu le signe des chrétiens, de leurs églises et de leurs maisons ?
Pour comprendre le signe de la croix, il faut aller au-delà du signe devenu pour certains aujourd’hui un bijou ou un motif décoratif. Saint Paul parle de la folie et du scandale de la croix (1 Corinthiens, 1, 23). La croix est devenue le signe des chrétiens, parce qu’elle révèle la passion de Dieu pour l’humanité et parce qu’elle est salut pour le monde. Dans la mesure où «il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime» (Jean 12, 2), la croix est le moment de la révélation suprême. «Ce qu’il y a de plus profond dans le christianisme, dit le théologien Hans Urs von Baltasar, c’est l’amour de Dieu pour la terre. Que Dieu soit riche au ciel, cela les autres religions le savent aussi. Mais qu’il ait voulu être pauvre avec sa créature, qu’il ait voulu souffrir en son ciel en communion avec le monde et que, par son Incarnation, il se soit mis en mesure de manifester à ses créatures l’amour passionné qu’il éprouve pour elles voilà ce que personne jusqu’alors n’avait entendu dire».
Le Dieu des chrétiens n’est pas un Dieu «impassible». Il est tout entier, générosité, don de lui-même, amour passionné. La croix est le signe des chrétiens parce qu’elle apporte le salut au monde. Bien sûr, Jésus ne s’est pas incarné pour mourir sur une croix, il est mort parce qu’il s’est incarné pour être solidaire de l’humanité jusqu’au bout. En mourant sur la croix, il nous révèle qu’il y a plus important que de garder sa vie pour soi, qu’il y a des valeurs et des personnes humaines qui méritent qu’on sacrifie sa vie pour elles. La croix est le signe des chrétiens parce qu’elle est au cœur de la vie chrétienne.
Dès le baptême, le chrétien est marqué du signe de la croix, plongé avec le Christ dans la mort, pour vivre d’une vie nouvelle avec le Christ Ressuscité (Romains 6, 4). Et le signe de croix est présent dans la prière, les sacrements, les célébrations tout au long de la vie chrétienne. Lorsqu’au début de toute prière individuelle ou communautaire, le chrétien fait le « signe de croix », il dit sa confiance dans la croix de Jésus ; il proclame sa foi en la Trinité ; il rappelle la «signation» de son baptême qui l’a introduit dans le mystère pascal. Tout entier corps et esprit, le chrétien est sous le signe de la miséricorde de Dieu manifestée en Jésus-Christ. Chaque chrétien est appelé ainsi à accueillir la croix dans sa vie et à s’unir au sacrifice de Jésus qui vient sauver le monde. La croix n’est pas un objet d’art, encore moins un gri-gri protecteur de malheur. Porter sa croix, c’est d’abord une démarche intérieure.
