Journée noire pour les riverains de l’Hôpital national Blaise-Compaoré, situé dans la commune rurale de Komsilga. Ce lundi 14 avril 2014, ils ont assisté impuissants à la démolition manu militari de leurs habitations. Sommés depuis bientôt cinq ans de déguerpir du domaine de l’hosto, ils n’avaient pas bougé d’un iota jusqu’à ce que le monstre vorace du Génie militaire entre hier en action.
Le lundi 14 avril 2014 dans la matinée, l’atmosphère était surchauffée dans les environs de l’hôpital national Blaise-Compaoré (HNBC), sur la route de Saponé, pas seulement à cause de la température ambiante en cette période de canicule. Dès les alentours de Palace hôtel, un pick up de la CRS (Compagnie républicaine de sécurité) fait le guet avec à son bord des éléments parés de leur équipement antiémeute.
Une fois à l’Hôpital et renseignements pris, il s’avère que ce sont les habitants vivant dans les «non-lotis» jouxtant le centre hospitalier qui sont en train d’être déguerpis. Aux quatre coins du domaine médical et aux alentours, sont postés des «CRS», des gendarmes et des éléments de la BAC (Brigade anticriminelle). En faisant le tour de l’hôpital, nous croisons des tricycles, des charrettes et des taxis chargés de mobiliers de maison.
Arsène Poda, qui s’apprête à embarquer la porte de son logis, confie, visiblement triste : «Nous avons eu vent du déguerpissement, mais on ne pensait pas que cela aurait lieu de sitôt». Un détour dans les décombres et nous butons sur un contingent d’infortunés. «Où voulez-vous qu’on aille ? Nous n’avons aucune solution à part occuper encore des espaces vides. Nos autorités n’ont pas de pitié», dit Noëlie Nikièma, ulcérée.
Monstre vorace
En face de nous, la scène est poignante. Un bulldozer du Génie-militaire démolit les habitations sous bonne garde des forces de l’ordre. Les populations y assistent, impuissantes. Partout, des tas d’effets hétéroclites (chaînes, matelas, ustensiles de cuisine, etc.) dans ce qui est devenu un véritable capharnaüm. Ceux qui ne sont pas encore touchés par la voracité du « monstre » vident et décoiffent leur maison. Un attroupement attire notre attention. S’y trouvent le coordonateur du réseau Novox international, Séni Nana, et Seydou Traoré du Mouvement de solidarité pour le droit au logement (MSP-Drol). «Il y a un peu plus de deux semaines, un conseiller de Komsilga est venu me voir avec une décision du haut-commissaire sommant ceux qui sont installés sur les périmètres de l’Hôpital Blaise-Compaoré de quitter les lieux dans un délai de 15 jours», a affirmé Séni Nana. En effet, on nous indique un mur en construction et qui délimiterait les 115 hectares de l’Hôpital.
Pour l’homme de Novox, cette situation pouvait se résoudre autrement, mais les «autorités» ont donné ce délai pour faire une démonstration de force aux populations vulnérables. Même son de cloche chez Seydou Traoré. Pour lui, même si les gens devaient être délogés, ce n’est pas de la sorte. «Nous déplorons vraiment cette façon musclée de faire les choses». Et d’asséner «Je me demande si nous sommes dans un Etat de droit. Même au temps des CDR, les gens n’étaient pas traités de la sorte». Toutefois, il reconnaît que par deux fois (2009 et 2012), les habitants ont été interpellés sur le déguerpissement. En effet, une mission d’information conduite le 6 juin 2012 par le maire de Komsilga, Julien Nonguierma, s’était terminée en queue de poisson. En son temps, l’édile avait rappelé aux personnes concernées qu’elles sont installées dans le domaine de la structure sanitaire, qui s’étend sur 115 hectares et dont seulement 16 étaient mis en valeur.
Qu’à cela ne tienne ! Seydou Traoré est remonté à bloc : «Aujourd’hui, les autorités ont encore failli, et ont montré combien elles sont barbares», a-t-il ajouté. Il poursuit qu’en agissant ainsi, les autorités démontrent combien elles se foutent des conventions qu’elles ont signées. Il en veut pour preuve l’engagement pris par les parties prenantes lors du symposium international sur l’habitat tenu en octobre 2007 dans notre pays. Selon lui, il y est écrit qu’il n’y aura plus de déguerpissement au Burkina sans relogement. Il pense que l’ONU-Habitat se doit d’interpeller les responsables burkinabè et de montrer à l’opinion internationale que près de 7 000 personnes ont été déguerpies (le 14 avril 2014) sans relogement. Et Adama Ouédraogo, un désormais sans domicile, de regretter qu’on les «chasse ainsi comme des étrangers dans leur propre pays». «Où vont dormir nos enfants qui reviennent de l’école ? Dans ces conditions, pourront-ils eux aussi devenir président, ministre ou directeur dans ce pays ? », a-t-il martelé, bavant littéralement de colère. Quand nous quittions les lieux peu avant midi, les infortunés allaient chacun de son côté à la recherche de solution palliative à leur problème. Nous avons essayé de joindre le bourgmestre Julien Nonguierma en vain. Des sources proches de ce dernier ont indiqué qu’il était en mission. Certainement que l’occasion nous sera donnée à son retour d’en savoir plus sur cette affaire.