Il s’en est fallu de peu pour que la visite officielle que la présidente du Libéria, Ellen Johnson Sirleaf, a effectuée le 7 novembre dernier en France, passât sous silence. En effet, pour une des rares fois, une visite officielle d’un chef d’Etat africain dans l’Hexagone ne provoque pas de vagues. On aurait cru à une visite privée. Pourtant, il s’agit bien d’une visite officielle au cours de laquelle il a été question, selon de bonnes sources, de l’intervention militaire de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) au Nord-Mali, de la coopération économique entre le Libéria et la France. D’habitude, les visites des têtes couronnées africaines à la patrie des droits de l’homme suscitent de la controverse, des manifestations hostiles, des lettres de protestation adressées au locataire de l’Elysée. La réputation de dictateur, d’autocrate, de faux démocrate, etc. précède la visite de bon nombre de chefs d’Etat africains en France. Les opposants, les défenseurs des droits humains, de la liberté d’expression et de presse saisissent généralement l’occasion de ces visites pour se faire entendre de ces chefs d’Etat qui briment leurs concitoyens, volent ou pillent les ressources de leur pays, verrouillent les systèmes démocratiques, etc. Le résultat est que ces chefs d’Etat ne peuvent pas effectuer en toute tranquillité une visite, même privée, en France. Pourtant, ce n’est pas le cas de Ellen Johnson Sirleaf qui a visité la France sans qu’il y ait un comité d’accueil hostile. Peut-être parce qu’elle est la seule femme africaine élue présidente et que son pays n’est pas une ancienne colonie française.
Mais il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas seulement que certains chefs d’Etat de pays africains francophones dont les visites en France sont mal vues et mal vécues par certains de leurs compatriotes qui s’y trouvent ou des mouvements de défense de droits humains occidentaux. Il y a aussi des chefs d’Etat de la sphère anglophone qui ne peuvent pas se rendre tranquillement en France. C’est le cas par exemple de Robert Mugabe du Zimbabwe, de Yaya Jammeh de la Gambie et nous en oublions. Contrairement donc à beaucoup de ses pairs, la iron woman (dame de fer) du Liberia a une bonne réputation – à l’extérieur en tout cas – qui a même amené la France à lui dérouler le tapis rouge pour sa visite officielle.
Elle a été co-lauréate en 2011 du Prix Nobel de la paix avec sa compatriote Leyman Gbowee. La même année, le magazine américain Forbes l’a classée parmi les femmes les plus puissantes du monde. A ces lauriers, la France a ajouté aussi la sienne en faisant de la première magistrate libérienne Grand-croix de la Légion d’honneur, la plus haute distinction civile française. Pour le locataire de l’Elysée, François Hollande, c’est une manière de « saluer une exemplarité s’étendant bien au-delà de l’Afrique » et aussi de « rendre hommage à l’action pacificatrice de la présidente libérienne dans un pays qui a connu plus de vingt ans de guerre civile ». Un assaut d’amabilités et des éloges auxquels n’ont pas droit la plupart des chefs d’Etat africains qui se bousculent pour se faire recevoir à l’Elysée et se prendre en photo, à la fin, sur le perron avec le locataire. Si François Hollande se laisse aller à tant de bienveillance, c’est qu’il est à l’aise avec ce genre de visite. Ni le tapis rouge, ni la décoration n’ont fait des vagues, suscité des cris d’orfraie en France ou au Libéria où des critiques ne manquent pourtant pas contre la dame de fer. La normalité en vogue en France depuis l’élection de François Hollande est en marche ici. En effet, il s’agit d’une visite « normale » rendue à un président … normal.