Les parents de Moumouni Kouraogo sont toujours sous le choc, un mois après ce drame survenu dans la famille. Leur fils a été tué le 2 octobre dernier sur la route Pouytenga-Boulsa par un agent des douanes. L’affaire avait défrayé la chronique dans la province du Kourritenga. Les populations ont même manifesté pour réclamer la lumière sur le drame. Les autorités leur ont servi le mensonge. Enquête.
La tristesse se lisait toujours sur les cinq (5) membres de la famille qui se sont entretenus avec nous. L’ainé de la famille, un des oncles de Moumouni, principal orateur au cours de l’entretien, retenait difficilement ses larmes. Ce septuagénaire, malgré son âge, a du mal à cacher son émotion. Les circonstances du drame bouleversent toujours la famille de Moumouni. L’oncle de Moumouni est très remonté contre le haut commissaire de la province du Kourritenga qui, dans son intervention à la télévision nationale au journal de 20h, a tenté de faire croire que les deux jeunes ne sont pas des élèves et que les douaniers n’y sont pour rien dans la mort du jeune Moumouni, âgé de 24 ans.
Moumouni était inscrit en classe de 3e à l’’Ecole démocratique et populaire (EDP) et Ousmane Kouraogo en classe de 1ere D au lycée Kourita de Koupèla. Nous sommes au 2 octobre. Les cours n’ont pas encore véritablement commencé. Ce jour là, leur oncle les envoie dans un village pour des funérailles. Ils étaient sur une moto non immatriculée. Arrivés au poste de douanes situé à quelques 10 km de Pouytenga, sur la route de Boulsa, un des douaniers les interpelle. Il y avait déjà un jeune devant eux. Ce dernier ne s’arrête pas. C’est le témoin de la scène. Les jeunes élèves décident aussi de poursuivre leur route sans s’arrêter.
Le témoin explique que s’il a refusé de s’arrêter, c’est parce qu’à l’aller, il avait été déjà contrôlé par les mêmes douaniers. Il ne se sent donc pas concerné. Un des douaniers se lance alors à la poursuite des deux jeunes. Ils comprennent très vite qu’ils sont poursuivis. Moumouni qui était au guidon accélère et dépasse Moise Balima, le témoin oculaire. Ils n’iront pas très loin. Après seulement quelques centaines de mètres, ils sont obligés de ralentir. Ils ont un véhicule devant eux. Le mauvais état de la route oblige le conducteur à zigzaguer un peu sur la voie, les empêchant de trouver un passage pour le dépasser. Le douanier arrive. Il les rattrape. Nous sommes à environ 1,5km du poste de contrôle. Le douanier ne leur adressera même pas la parole.
D’un coup de pied violent du côté gauche, il fracture la jambe de Ousmane assis à l’arrière. Il destabilise Moumouni qui perd l’équilibre. Il tente de retrouver l’équilibre en vain. La bataille contre la mort, Moumouni va la mener jusqu’au bout. La moto finit sa course dans un ravin à une hauteur estimée à environ 80 cm du sol. Le lieu du drame est un endroit dangereux. L’endroit est jonché de cailloux et d’arbres épineux. Le douanier ne s’arrêtera pas. Il fait demi-tour et rejoint le poste de contrôle. Moise Balima qui est resté derrière suit la scène. Le drame s’est déroulé à moins de 200 m devant lui, selon ses propres explications. Il s’arrête pour s’enquérir de l’état de santé des élèves.
Il les trouve tous couchés. Ousmane ne fait aucun signe de vie. Balima le croit déjà mort. Il constate par contre que Moumouni tente de se relever en vain. A trois reprises, le jeune tente de toutes ses forces de se relever. Il retombe et ne donne plus signe de vie. Juste à côté de son corps, Balima voit sa cervelle. Il se rend compte qu’il ne se relèvera plus. Balima est pris de peur. Pour lui, tous les deux sont morts. Il décide dans un premier temps de partir. Avant de prendre sa moto, il jette un dernier coup d’œil sur les deux corps. Il constate que Ousmane commence à faire des mouvements. Il décide alors de prendre son courage à deux mains et d’apporter son assistance au blessé et son témoignage sur ce qui s’est passé. Il barre la route avec sa propre moto pour alerter les usagers. Dès l’arrivée des premiers passagers, il leur explique l’affaire et leur demande de s’arrêter sur les lieux du drame pour lui permettre de repartir au poste de douanes. Il arrive sur les lieux. L’agent de douanes avait donné une fausse version au chef de poste.
Il lui a dit qu’il n’a pas pu rattraper les « enfants ». « C’est quand il racontait cela à son chef que je suis arrivé. J’ai dit au chef de mission qu’il a menti. Je lui ai expliqué ce que son agent vient de faire aux enfants. Je l’ai informé qu’un d’eux a déjà perdu la vie. Je leur ai demandé de venir avec le véhicule pour prendre le blessé et l’amener à l’hôpital. Il m’a dit que ce n’est pas possible. Il m’a dit qu’ils appelleront une ambulance et la gendarmerie. Il m’a dit de repartir sur les lieux du drame pour attendre l’ambulance et les gendarmes », confie Balima. Dès que Moise Balima a tourné le dos, les douaniers n’attendent même pas 5 mn. Ils plient bagages et embarquent, direction, leur poste régional. C’est encore Moise Balima, grâce au téléphone portable d’une des victimes, qui a pu entrer en contact avec leurs parents pour leur annoncer la mauvaise nouvelle. L’ambulance arrive sur les lieux du drame et Ousmane est transporté au CMA de Pouytenga. Son état est jugé grave.
La décision est prise immédiatement de l’évacuer à Ouagadougou. Pendant ce temps, les populations s’activent pour trouver une sépulture digne à Moumouni Kouraogo dont le décès a été constaté par le corps médical en présence de la gendarmerie. Ses parents sont là. Au même moment, les rumeurs les plus folles circulent. On annonce la mort de Ousmane Kouraogo au cours de son évacuation. L’un des membres de la famille qui l’accompagne reçoit des appels presque chaque minute au cours du trajet Pouytenga Ouagadougou. Lui-même n’est pas serein. Il est troublé et n’arrive pas à rassurer les gens. Ousmane ne donne aucun signe de vie depuis le CMA de Pouytenga. L’accompagnateur est inquiet. Il n’est même pas sûr que Ousmane vit toujours. Très perturbé, ses informations ne sont pas précises. La famille tire elle-même sa conclusion sur les lieux du drame. Ils finissent par se convaincre, que Ousmane lui-même est mort.
La décision est alors prise sur place de creuser une seconde tombe pour enterrer les deux amis et frères côte à côte. Après l’enterrement de Moumouni, les parents des victimes venus nombreux de la commune rurale de Yargo dans le Kourritenga sont assurés par l’accompagnateur dès son arrivé à Ouagadougou que Ousmane est toujours en vie même si son état de santé reste préoccupante. La famille décide de reboucher la tombe. Au cours de la soirée, l’information fait le tour de la ville de Pouytenga. C’est la consternation. Les douaniers sont déjà partis. La population décide alors d’aller manifester sa colère au carrefour, à Sapaga et sur la route Pouytenga-Boulsa. Les autorités tentent de ramener le calme. Leur méthode, c’est comme à Koudougou dans l’affaire Justin Zongo, mort après des sévisses subies au commissariat de police. Ici aussi, on a choisi le mensonge.
C’est le haut commissaire qui monte d’abord au créneau au journal télévisé de 20H pour expliquer comment les choses se sont passées. Le lendemain dans un communiqué signé du gouverneur de la région de l’Est, et diffusé par le service d’information du gouvernement, les douaniers sont mis hors de cause. « Les premiers éléments de l’enquête indiquent clairement qu’il n’y a jamais eu de course poursuite et que l’accident est arrivé à environ quatre kilomètres après le poste de contrôle que les douaniers n’ont jamais quitté. » La presse entre dans le jeu et sur place, le correspondant de l’Agence d’information du Burkina emprunte la voie du gouvernement. Il désigne même les auteurs du drame. Ce sont des fraudeurs qui tentaient d’échapper à la douane qui ont fauché les deux jeunes : « Ces présumés fraudeurs, pris en chasse par la douane, ont heurté des élèves qui revenaient du lycée Kalwatenga de Pouytenga, tuant sur le coup l’un d’entre eux et blessant un second. » Mais le mensonge ne durera pas longtemps. Il y a des témoins.
Le témoignage du compagnon du défunt
Ousmane Kouraogo a survécu. Il est aussi formel. Il apporte un témoignage assez important sur les faits. Il reconnait que les douaniers leur ont fait un signe de s’arrêter au poste de contrôle. Mais le jeune homme explique qu’ils roulaient tellement vite que c’était très difficile pour Moumouni qui conduisait de s’arrêter. Ils ont décidé alors de continuer. Quand ils se sont rendu compte qu’ils sont poursuivis, ils ont eu peur. Là aussi, Moumouni et lui ont préféré, dans la peur, d’accélérer plutôt que de s’arrêter. Ils ne savaient pas à quelle sauce ils seront mangés à partir du moment où ils ne se sont pas arrêtés au poste de contrôle. Ils avaient pourtant tous les documents de la moto sur eux. Ousmane explique aussi que sa jambe s’est fracturée avant leur chute. « C’est le coup de pied du douanier qui a fracturé ma jambe. C’était un coup violent.
Moumouni a tenté par tous les moyens de reprendre l’équilibre pour nous éviter la chute, mais il n’a pas pu. Quand ma jambe s’est fracturée, Je ne pouvais plus mettre mon pied sur le pose pied. Ma jambe balançait et cela n’a pas aidé Moumouni qui s’est battu au guidon pour nous sauver. » Ses souvenirs des derniers instants avant le drame, c’est l’arrivée du douanier, son coup de pied et surtout la bataille de Moumouni pour reprendre l’équilibre. Ousmane a perdu connaissance après la chute. Il n’a même pas su qui l’a sauvé même s’il se rappelle que dans la course poursuite, il y avait un jeune qui suivait. Le père de Moumouni n’a pas pu retenir ses larmes quand nous lui avons demandé si un drame pareil s’est déjà produit dans leur famille. L’échange se passait pourtant assez bien. A cette question, le père de Moumouni fond en larme et nous quitte laissant ses cousins continuer l’entretien avec nous.
Cette question lui a rappelé la mort aussi tragique du grand frère de Moumouni en Côte d’Ivoire. Quelques semaines seulement avant ce drame, le grand frère de Moumouni a été tué par un éléphant blessé. A Yargo, la famille a déjà reçu la visite des autorités politiques qui tiennent coute que coute à faire baisser la tension. Le gouverneur de la région et le ministre de l’Energie et des Mines, Salif Kaboré sont allés présenter leurs condoléances à la famille. Ils ont promis de tout faire pour que justice soit rendue aux victimes. Mais les parents ne sont pas rassurés avec les sorties mensongères publiques des autorités. Ils sont décidés à ce que la mort de leur fils ne reste pas impunie. L’affaire est devant la justice. Le tribunal de grande instance de Tenkodogo a déjà été saisi. Le procureur a entendu les douaniers qui étaient de service le 2 octobre au poste de contrôle de Pouytenga.
Le témoin a aussi été entendu. Il a expliqué ce qu’il sait de l’affaire. Il y a eu une confrontation entre les douaniers et le témoin. Parmi les douaniers présents ce jour-là, il lui a été demandé de reconnaitre l’auteur de la chute. Balima Moise n’a pas eu de difficulté à désigner l’auteur des faits. L’intéressé a nié en bloc. Comme le gouvernement, les douaniers ont choisi comme stratégie de défense, le mensonge. Ils sont sur la ligne défendue par les autorités. Les douaniers nient catégoriquement avoir poursuivi les jeunes. Ils jurent n’avoir jamais quitté leur poste. Le chef de mission reconnait que Moise Balima est venu les voir après le drame à leur poste. Mais il explique que Balima est venu leur solliciter de l’aide pour porter secours à deux jeunes qui venaient de faire un accident. Le chef de mission soutient aussi comme l’auteur du crime qu’ils n’ont jamais bougé. Mais il ne dit pas pourquoi ils ont quitté les lieux juste après le drame.
Pawanezambo Belem
MUTATIONS N° 16 du 1er novembre 2012. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com)