Le temps, au Burkina Faso, semble être à la prodigalité gouvernementale après une longue période d’austérité.
En l’espace de trois années, l’exécutif nous a gratifiés de trois trains de mesures sociales, les uns aussi remarquables que les autres. Souvenez-vous :
-Jeudi 28 avril 2011. Ce jour-là, Luc Adolphe Tiao, fraîchement nommé Premier ministre pour éteindre la grave crise sociopolitique et militaire, a sorti de sa botte une liste d’engagements censés sortir le panier de la ménagère de cette grosse déprime. Comme la suppression de la détestable taxe de développement communal (TDC) ; l’abattement de 10% de l’IUTS ; l’achèvement de la correction des avancements des fonctionnaires ; la suspension des pénalités de retard sur les factures d’électricité et la subvention des prix de certains produits de grande consommation ;
-mercredi 11 septembre 2013. Le conseil des ministres, sur recommandation du CCRP réuni pour un bilan d’étape de la mise en place du Sénat, a adopté une nouvelle batterie de mesures sociales : parmi celles-ci, le relèvement des indemnités de logement et de suggestion des agents de l'Etat et des EPA ; la revalorisation des salaires dans le public comme dans le privé par le truchement d'un abaissement de l'IUTS ; le recrutement de plusieurs milliers de jeunes ; la construction d’infrastructures universitaires tout en relevant les prêts accordés aux étudiants ; le soutien alimentaire à 500 000 autres personnes sur toute l'étendue du territoire ;
-avant-hier lundi 24 mars 2014. A l’issue d’un conseil des ministres extraordinaire, divine surprise. Au terme de cette séance ad hoc, des engagements sociaux comme s’il en pleuvait. On retient de cette troisième et très importante fournée de mesures (cf. L’Observateur paalga du mardi 25 mars 2014) : une nouvelle grille indemnitaire en vue d’une revalorisation des revenus des travailleurs ; un relèvement des indemnités de stage de 58,06% ; des recrutements massifs dans les secteurs de la santé, de l’enseignement et au profit des collectivité territoriales ; des financements au bénéfice des femmes et du secteur informel ; la réalisation d’infrastructures universitaires ; le relèvement du nombre de bourses (de 1000 à 2000) et du taux de la bourse.
A tout cela viennent s’ajouter l’octroi de l’équivalent d’un mois de pension aux retraités, l’appui à l’installation de 750 jeunes formés aux métiers et la reconduction des boutiques témoins.
Coût total de ces efforts gouvernementaux : 110 milliards de francs CFA financés à partir du budget de l’Etat.
Sauf erreur ou omission, jamais de mémoire de Burkinabé, on n'avait vu un tel kit de mesures constitué en faveur des populations.
Rendons à Compaoré ce qui est à Blaise.
On ne peut que se réjouir d’une telle initiative, qui va certainement contribuer à soulager bien de personnes du poids de la misère, de la pauvreté et des affres du désespoir liées au manque d’emplois et de revenus.
Mais puisqu’«il y a un temps pour tout», comme un temps pour complimenter, et un temps pour s’interroger, alors, après avoir salué l’exécutif pour ses pertinentes délibérations au cours de cette rencontre extraordinaire, interrogeons-nous.
L’émergence, pour faire dans la vulgate du CDP, est-elle désormais une réalité au Burkina au point qu'on nous offre, à tire-larigot, ce qu’on nous avait toujours refusé, invoquant l’insuffisance des ressources ?
Pour certaines bonnes âmes, la question peut paraître osée, provocatrice, voire constituer un crime de lèse-majesté. Et pourtant !
Pour montrer notre bonne foi, commençons par rapprocher chacun de ces trois paquets de mesures sociales de leurs contextes respectifs :
le premier, celui du 28 avril 2011, a été déballé en pleine phase éruptive de la lame de fond qui a menacé le régime, secoué les institutions du pays, même celle qu’on pensait inébranlable ;
le deuxième a été annoncé en pleine tempête sociopolitique née de la polémique autour de la mise en œuvre du Sénat. Quelque temps après deux démonstrations de forces successives des anti-sénats dans les grandes villes du pays ;
le troisième et tout dernier intervient dans une période d’incertitude totale sans précédent pour le pouvoir : confronté à la jonction entre l’opposition et la société civile autour du refus de la révision de l’article 37, déboussolé par l’échec des médiations interne et externe, et touché mais pas coulé par la récente dissidence intervenue en son sein, le CDP, après plus de deux décennies d’âge d’or, semble entré dans son âge critique.
Ces rapprochements faits, peut-on encore s’empêcher de s’interroger sur les tenants et les aboutissants de telles prodigalités ?
Tout se passe comme si chaque fois que le président est au milieu du gué, il se sert des mesures sociales pour se tirer d’affaire. Comme le ferait un naufragé d’une bouée de sauvetage. Tout se passe comme s’il faut toujours mettre le gouvernement dos au mur pour qu’il crache au bassinet.
Ces dernières mesures, aussi salutaires soient-elles, ne sont- elles pas pour leurs dispensateurs un moyen détourné de dorer la pilule de l’article 37 ? C’est la question que beaucoup se pose, promettant de ne pas tomber dans le panneau.
Mais si là n’est pas l’intention du président Compaoré, résigné, in petto, à ne pas céder à une nouvelle tentation révisionniste ? Fort possible. N’empêche, en l’espèce, on ne peut s’arrêter de conjecturer sur ses desseins politiques.
En effet, si on a l’esprit retors, on peut penser que, sentant venir l’heure du départ, et conscient qu’après lui c’est le déluge au CDP, en atteste tout ce ramdam et ces micmacs politico-judiciaires pour le maintenir aux affaires au-delà de l’échéance constitutionnelle de 2015, oui, conscient de cela, le stratège de Kosyam est en train de garder à son successeur un chien de la chienne. Autrement dit, il lui prépare un héritage empoisonné, vu que les mesures récemment prises sont non seulement irréversibles mais surtout elles iront crescendo dans leur coût. Donc de plus en plus difficiles à appliquer.
Si telle est la visée du grand sachem, il aurait voulu plastiquer le fauteuil présidentiel avant de le quitter qu’il ne s’y serait pas pris autrement.
M’enfin, pourquoi, depuis quelque temps, faut-il toujours prêter à Blaise Compaoré des ambitions suspectes ? Avant tout, en tant que premier responsable du pays, il est de son devoir de prendre les mesures qu’il juge les meilleures pour répondre aux attentes de ses concitoyens. Comme il vient de le faire.
Vous voulez qu’il en fasse de même concernant la question de l’article 37 ? Rappelez-vous qu’«il y a un temps pour tout». Par exemple, un temps pour écouter son peuple, et un temps pour l’entendre.