Des habitants de Yagma, qui ont sonné le tocsin hier jeudi 08 novembre 2012 dans la matinée pour trancher les questions de lotissement de leur village avec leur autorité de tutelle, ont regagné dare-dare leurs maisons. La rencontre, dès son introduction, a viré à la course-poursuite entre policiers et manifestants jusqu’aux domiciles.
Les usagers de la nationale n°02, qui relie la capitale burkinabè à Ouahigouya, le chef-lieu de la région du Nord, ont dû faire un grand détour à la sortie de Ouagadougou pendant une bonne partie de la journée du jeudi 8 novembre 2012. A hauteur de l’ancien poste de péage, vers 11h, plus question de prendre le bitume. Deux des quatre occupants d’un véhicule de la police obligeaient ceux qui venaient vers eux à changer de direction.
Au premier crépitement de notre appareil photos, l’agent en faction s’avance vers notre véhicule en lançant cette injonction : «Donnez votre appareil photo !». Après avoir essuyé un refus catégorique de le lui remettre, il se ressaisit en lâchant : «les photos ne sont pas autorisées», tout en nous signalant au passage qu’il serait difficile d’aller plus loin. Nos confrères de Sidwaya n’auront pas cette chance, contraints qu’ils ont été par les policiers d’effacer les prises de vue qu’ils avaient. Après quelques minutes de patience, nous optons de prendre des sentiers pour voir ce qui se passe de l’autre côté.
On apercevait au passage, sur près de cinq cents mètres sur la chaussée, des pneus et une voiture en flamme, des motos et des vélos en tas, des pierres, et plusieurs véhicules estampillés «CRS» et «BAC» faisaient des va-et-vient. Après un détour au milieu des «non-loties», nous voilà à Yagma où les habitants, par petits groupes, se posaient toujours des questions sur ce qui venaient d’arriver : un affrontement avec la police. En pareille situation, tout le monde a quelque chose à dire, mais chacun veut passer après un porte-parole désigné de commun accord.
Et là, c’est Tiga Jules Ziga, le Song-Naaba, un des ministres du chef du village, qui s’exprimera : «Ce qui s’est passé ce matin est l’aboutissement d’un problème vieux de quelques années. Les agents recenseurs triaient les maisons pour affecter les numéros, et à l’époque déjà, un mouvement de la population les avait contraints à poursuivre leur travail sous la surveillance des CRS. Après le recensement, on a attendu les attributions en vain. En revanche, nous entendons chaque jour parler de vente de terrain par-ci, par-là. Depuis quatre jours, nous voyons des personnes vendre des cartons (NDLR : des fiches délivrées par la commission d’attribution des parcelles).
Nous avons donc décidé de faire une grève en bloquant la voie pour contraindre les autorités à venir trancher la question des attributions devant nous. Effectivement, sur place ce matin, nous avions vu les autorités pour leur exposer le problème mais par la suite, la rencontre s’est terminée en queue de poisson car les CRS exhibaient leurs matraques comme s’ils avaient préparé leur coup. Le maire, que je n’ai pas trouvé sur les lieux, a affirmé qu’il a donné des parcelles au chef et sa suite, mais cela ne nous a pas convaincu car on en pas entendu parler». Le hangar de fortune au bord de la route où il nous reçoit est vite devenu l’arbre à palabre et les victimes de cette sortie policière musclée prenaient la parole, souvent sans attendre d’être inviter.
Le premier à se prêter à ce jeu est Kalga Karim, mécanicien, qui a vite rangé ses outils et regagner son logis lorsqu’il a vu l’attroupement. Il ne sera pas pour autant épargné : «j’étais assis dans un cabaret quand un véhicule est arrivé. Nous nous sommes alors réfugiés dans la maison de la vendeuse. Ils ont soulevé les perciennes pour y jeter deux bombes lacrymogènes. Nous sommes alors ressortis, trois des enfants qui étaient avec nous se sont évanouis, et ils m’ont battu avec leurs matraques et leurs chaussures». «Je suis rentré du boulot ce matin.
Ma femme m’a rejoint dans la chambre pour demander l’attitude à tenir devant la présence des CRS dans le village. Nous n’avions même pas fini de nous concerter quand deux bombes sont tombées dans la maison, les enfants se sont affalés et le plus jeune qui a quelques mois s’est évanoui. Nous, nous sommes débattus pour sortir et nous mettre à l’abri sous un arbre», a indiqué Issaka Ouaga, veilleur de nuit.
«Je croyais qu’ils pouvaient mettre du gaz dans ma maison», nous lâchera, dépitée, la dolotière Yvonne Compaoré quelques instants plus tard au milieu de ses effets, dégageant toujours l’odeur de ce gaz qui fait pleurer. Les enfants évanouis, qui avaient été envoyés à des kilomètres plus loin par crainte d’une autre expédition, ont été rappelés pour l’objectif de notre appareil photo.
Le chef de Yagma, Naaba Sigri, qui vaquait à ses occupations dans les environs, a accepté de s’exprimer sous une condition : être chez lui à domicile et entouré des siens. Il convoqua alors un conseil extraordinaire du village sous le soleil d’aplomb de 13h. Dans sa cour et au milieu de ses administrés, il nous brandit une copie du document qui a mis le feu aux poudres : des papillons de la commission d’attribution des parcelles à usage d’habitation de l’arrondissement de Sig-noghin pour le village de Yagma en date du 17 octobre 2012. Vient ensuite sa version des faits : «Hier soir (Ndlr : mercredi 07 novembre 2012), on m’a remis 60 papillons pour les membres de ma famille tout en précisant qu’il s’agit d’une distribution échelonnée. Aujourd’hui, c’était le tour des notables et à partir de lundi celui des autres. J’ai clairement souligné à mes interlocuteurs la nécessité que tous les résidants aient des parcelles.
Je n’étais pas au courant de la manifestation de ce matin.» Ces propos sont corroborés par les notables, qui avaient abordé la question un peu plus tôt dans la matinée avant d’aller vaquer à leurs occupations quotidiennes sans en trouver une issue autre que celle de Naaba Sigri. C’est donc des champs qu’ils ont observé la course-poursuite entre policiers et certains habitants du village. Au-delà de cette manifestation qu’ils jugent spontanées, les «propriétaires de Yagma», c’est ainsi qu’ils se désignent, ont des griefs contre les autorités municipales et le gouvernement.
Citant en exemple le sanctuaire marial, le relogement des sinistrés du 1er septembre 2009 et un site du ministère des Ressources animales sur leurs terres, ils disent avoir été payés en monnaie de singe dans les lotissements. Et comme si cela ne suffisait, à les écouter, une cité devrait sortir de terre encore dans la localité. «Comment peut-on déplacer des milliers de personnes pour construire une cité ? Ils vont la construire mais personne ne va l’habiter», a prévenu un des notables.