Dans la matinée du vendredi 21 mars 2014, Thibaut Nana a rendu visite à la rédaction du journal Le Quotidien. Il a bien voulu se prêter à nos questions pour dérouler l’objet de sa visite dans nos locaux. Il n’a pas lésiné sur les mots à propos de l’actualité politique nationale dominée par des débats sur la révision de l’article 37 de la Constitution et un éventuel référendum pour départager les positions du peuple divisé. Il prône la sauvegarde de la paix, gage de la pérennisation de la république et du développement du Burkina. Tout en souhaitant que le président du Faso ne présente pas une autre candidature pour le fauteuil présidentiel, Thibaut Nana propose une candidature unique à l’opposition et la candidature de Kadré Désiré Ouédraogo du côté du parti au pouvoir. Lisez plutôt ! Présentez-vous à nos lecteurs.
Présentez-vous à nos lecteurs.
Je suis Thibaut Nana. J’ai été conseiller municipal pendant 12 ans dans l’arrondissement 1 de Ouagadougou, précisément de Baskuy.
Que pensez-vous de la situation politique nationale qui est montée d’un cran ces derniers mois ?
Je pense que l’essentiel est de se rallier du côté du peuple. Je m’inscris en droite ligne avec la défense des intérêts du peuple qui est sans voix. Cela a été mon sacerdoce depuis la création de mon parti le Rassemblement démocratique et populaire en 1991. Je ne suis pas venu en politique pour conquérir le pouvoir mais c’est pour dénoncer des pratiques que je trouve injuste. Je souhaiterais qu’il y ait un changement dans notre pays en ce sens que le pays a été dirigé pendant 30 ans par le même président. Il faut savoir laisser la gestion aux générations qui montent et aux jeunes. C’est pourquoi j’apprécie les remous politiques actuels dans notre pays. Il y a essentiellement deux questions qui divisent le peuple à savoir, la question du Sénat et celle de la révision de l’article 37 de la Constitution.
Quelle est votre position face à tout cela, notamment une éventuelle révision de l’article 37 de la Constitution?
Ma position est claire, c’est celle de la réconciliation. Je ne suis pas d’accord qu’on touche à l’article 37 de notre Constitution. Nous avons dénoncé cela depuis des années et aujourd’hui, ceux qui s’opposent à la révision nous avaient combattus à l’époque. Ils avaient défendu la position selon laquelle l’article 37, pouvait être modifié.
De qui parlez-vous ?
Je parle des leaders du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) et de l’ADF-RDA. Ceux qui disent de modifier ou de ne pas modifier sont simplement des parvenus politiques.
Ceux qui prônent la modification occupent l’échiquier politique national depuis des années. Pourquoi parlez vous donc de parvenus politiques ?
Mais je voudrais retourner la question. Pourquoi ces gens sont si motivés à modifier l’article 37 de la Constitution ? Ils veulent tout simplement que Blaise Compaoré reste au pouvoir pour qu’eux puissent sauvegarder leurs intérêts personnels. On ne peut pas permettre à une seule personne de tenir les rênes du pouvoir pendant plusieurs années sans alternance. Que fera la jeunesse dans ce cas ? Ceux qui pensent qu’il n’y a que Blaise Compaoré pour diriger notre pays ont tort. De toute façon, la balle est dans le camp du président Compaoré. Si aujourd’hui il décide de quitter le pouvoir, nous n’allons pas assister à des troubles sociopolitiques comme nous en voyons dans certains pays africains. Le dernier mot revient à Blaise Compaoré. S’il veut la paix, il y aura la paix et s’il veut la guerre, ce sera également le cas. Nous voulons qu’il dise à son peuple qu’il a régné pendant trente ans et qu’il est fatigué. Par conséquent, qu’il laisse le pouvoir à qui le voudra.
N’est-il pas question de référendum pour vous ?
Pourquoi nous allons organiser un référendum ? C’est du gâchis d’aller vers le peuple et de faire des dépenses pendant que dans les hôpitaux des gens succombent aux maladies. Des écoles sont sous paillote. On gagnerait à résoudre ces problèmes urgents que d’organiser un référendum. Par exemple, nous assistons à un boom minier au Burkina, alors qu’il n’y a pas assez d’écoles et d’infrastructures sociales profitables aux populations. Cela est vraiment déplorable.
On dit de vous être proche du président du Faso. Est-ce vrai ?
Le président du Faso n’a jamais été mon ennemi. Il a toujours été mon président et celui de tous les Burkinabè. Je n’ ai pas de griefs contre Blaise Compaoré, mais j’ai toujours eu le courage de lui dire la vérité. Quand on aime et considère une personne, il faut savoir lui dire aussi la vérité. Il ne s’agit pas là de dire que je vis de ce qu’il me donne. Que votre ami soit riche ou pauvre, chef ou esclave, il faut lui dire la vérité quand il le faut. C’est ce que j’ai toujours fait. En disant la vérité, on pense que nous sommes les ennemis du président ou du pouvoir. Je dis non. Quand on aime son ami et son prochain, il ne faut pas lui cacher la vérité. S’il n’est pas sur le bon chemin, il ne faut le lui dissimuler.
Etes-vous ami avec le président du Faso ?
Je l’ai rencontré une seul fois en 2007, lorsqu’il devait aller à Linas Marcoussi pour la résolution de la crise ivoirienne. A l’époque, j’ai mobilisé près de 500 000 personnes, sans aucun moyens financiers. Ces personnes ont accompagné le président du Faso à son départ et l’ont accueilli à son retour. En contrepartie, certaines personnes ont reçu pas moins de 40 millions de FCFA remis par le président du Faso. Puisque le président ne savait pas, que c’est Thibaut Nana qui avait mobilisé. C’est pourquoi, j’ai rédigé une demande d’audience qu’il m’a accordée. Je lui ai dis que je ne comprenais pas le fait qu’il n’y a pas eu de suite malgré la grande mobilisation dont j’ai été la cheville ouvrière. J’ai dit que si on l’avait lapidé, sûrement qu’on aurait su celui qui a organisé ce meeting. Nous avons discuté pendant deux heures. Le président m’a même demandé pardon parce qu’il a dit qu’il ne savait que c’était moi qui avait organisé une telle marche qu’il a cautionné. Nous ne l’avons pas fait à l’époque pour de l’argent. C’était pour l’honneur du président et pour celui du peuple burkinabè. J’avais voulu que le président sache que c’est Thibaut Nana qui a organisé la marche afin que je puisse être remercié.
Vous êtes restés pendant longtemps dans le silence et dans l’ombre suite à tous ces événements. Est-ce toujours le même Thibaut Nana qu’on connaît ?
Je suis le même Thibaut Nana. Je suis l’équivalent à Ouagadougou en termes de mobilisation de Blé Goudé à Abidjan. Blé Goudé par contre avait de l’argent pour mobiliser. Il a été soutenu par un président. Moi, je n’ai pas tout ce soutien, mais j’ai ma force de frappe en termes de mobilisation. J’ai été découragé et je suis resté dans l’ombre comme vous le dîtes, à cause du comportement de certains hommes politiques et du peuple burkinabè. Si vous vous rappelez, en 2008, j’ai organisé une marche contre la vie chère. J’ai réussi la journée ville morte et personne ne peut dire le contraire. Je lutte pour des causes justes. Je mobilise toujours et je suis prêt à reprendre mon bâton de mobilisateur pour amener le peuple burkinabè dans la bonne direction. En ce qui concerne la bonne direction, je fais trois propositions.
Lesquelles ?
La première est que le président se retire de son fauteuil présidentiel. Il ne faudrait plus qu’il se présente en 2015. Gérer un pays pendant au moins trente ans et gérer avec succès des médiations sous- régionales, cela mérite qu’on parte dans l’honneur. Il faut savoir quitter le pouvoir pendant qu’il est temps. Ma deuxième proposition vise l’opposition politique qui doit pouvoir présenter un candidat unique à la présidentielle de 2015, à l’instar du Sénégal. A 200%, il faut choisir un seul candidat qui va affronter le candidat du président du Faso. Que tous les acteurs de la classe politique de l’opposition choisissent un seul candidat et en ce moment, Thibaut Nana sera prêt à mobiliser au maximum pour soutenir cette opposition.
Au cas où votre proposition était acceptée, quel candidat de l’opposition envisagez-vous ?
Je vois deux potentiels candidats. Il s’agit de Roch Marc Christian Kaboré et de Zéphirin Diabré. Si les deux personnalités politiques présentent leurs candidatures, le perdant peut, en cas de second tour, accorder ses voix à l’autre. Si l’opposition ne procède pas ainsi, moi, je démissionnerai de l’opposition. Si nos opposants ne peuvent pas agir main dans la main pour réaliser les aspirations du peuple, je préfère quitter l’opposition. Du côté du pouvoir, je souhaiterais que Blaise Compaoré, s’il est réellement partant, propose Kadré Désiré Ouédraogo. Nous avons remarqué lors des manifestations de 1998 qu’il a travaillé à apaiser les esprits. Il n’a jamais eu une appartenance politique type. C’est un monsieur qui a quelque chose à proposer pour le développement de notre pays.
Votre mot de fin.
Dans les prochains jours, je sortirai. Ce qui me préoccupe, ce n’est pas la conquête du pouvoir, mais la paix. Quand on jette un regard à l’horizon international, au Congo ou en Centrafrique, on voit comment les populations souffrent, pendant que les familles de leaders politiques sont hors du pays. Par exemple, Laurent Gbabgo a eu la malchance que sa famille ait été pris à temps, sinon c’est sûr qu’il allait fuir. Combien d’Ivoiriens sont morts suite à la crise. Nous devons travailler tous pour la paix et la confiance dans notre pays. Tant qu’il n’y a pas la paix, celui qui viendra au pouvoir ne pourra pas travailler. Je vais rencontrer les anciens et les jeunes pour mener une médiation en vue de promouvoir la paix .
Interview réalisée par Soumoubienkô Roland KI