Depuis l’échec de la médiation interne qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive, le débat sur un éventuel référendum aux fins de sauter le verrou constitutionnel, se poursuit. Chacun y va de son opinion dans ce qui ressemble à une guerre des tranchées entre partisans de la révision ou non de l’article 37 que l’auteur du présent écrit compare à la Tour de Babel.
L’article 37 de la constitution du Burkina Faso est la disposition la plus controversée de notre loi fondamentale depuis son adoption en 1991 par référendum. Maintes fois revu et corrigé, l’article 37 dispose que « le Président du Faso est élu pour cinq (5) ans au suffrage universel direct, égal et secret ; il est rééligible une (1) fois ». Deux camps s’opposent à propos de l’article : l’un veut sa modification, l’autre son maintien en l’état.
Les partisans de la révision pour faire sauter le verrou de la limitation du mandat présidentiel invoquent dans leur argumentaire des raisons juridiques et politiques ; s’appuyant sur le titre XV de la constitution et notamment sur ses articles 161, 163 et 165, les partisans de la suppression de la clause limitative ont effectivement le droit de leur côté, car l’article 37 n’est nullement interdit de révision. Politiquement, les révisionnistes affirment que dans sa formulation actuelle, l’article 37 est une atteinte à la liberté politique de choix du peuple.
Il est également une atteinte à la liberté individuelle de tout citoyen de participer au plus haut niveau à la gestion de la nation. Pour eux, dans un système multipartiste et démocratique, cette clause, qui impose d’office l’alternance, la préétablit d’avance, est une disposition liberticide, un non-sens voire antidémocratique n’en déplaise à ceux qui ont codifié cette clause dans leur constitution, car, disent-ils pour se défendre, le Burkina Faso ne saurait être les autres pays et les autres nations ne sont par le Burkina Faso.
Ils concluent qu’à chaque peuple sa gouvernance, basée sur ses propres réalités historiques, sociales et culturelles pourvu que les principes universels de la démocratie soient garantis et respectés; or la clause limitative n’est pas un passage obligé en démocratie ni un principe universel de celle-ci ; il y a bien des démocraties qui ignorent la clause limitative, par exemple l’Allemagne.
Les partisans de la non-révision ont des raisons tout aussi intéressantes ; ils invoquent pour leur part des raisons essentiellement politiques, éthiques et morales. Pour eux, même si la constitution n’interdit pas la révision de l’article 37, cette révision, si elle devait se produire, devrait rendre sacrée la limitation du mandat présidentiel en logeant l’article 37 dans les dispositions de l’article 165 de telle sorte qu’il ne soit plus possible de le réviser ni par la voie parlementaire ni par la voie référendaire.
D’autres partisans de la non-révision s’appuient sur le consensus de 1991 pour rejeter toute idée de modification de l’article 37 et exigent qu’il reste en l’état ; sa formulation actuelle reflèterait à leurs yeux le consensus originel de 1991 ; sont de ceux-là le Professeur Etienne TRAORE, le constitutionaliste Luc IBRIGA, le politicien Tahirou BARRY du PAREN et j’en passe.
A ce débat sur la révision ou non de l‘article 37, même une partie de la communauté religieuse chrétienne s’est mêlée de façon partisane. Etait-elle vraiment dans son rôle de modérateur et de pacificateur ? A chacun d’en juger. La société civile laïque est également divisée sur la question. Les constitutionalistes aussi ; même les travaux du Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP) n’ont pas réussi à dégager un consensus sur la question.
Comme on le voit, l’article 37 n’est plus consensuel ; il divise toute la nation ; que ce soit les partis politiques, la société civile, les communautés religieuses et coutumières, la diapora (ils sont plus de 10 millions !)…, personne n’est indifférent à la question ; l’article 37 constitue de nos jours une véritable Tour de Babel, une sérieuse menace à la paix et à la stabilité.
Alors que faire pour retrouver et consolider la cohésion sociale qui est en train de se dégrader ? Comment conjurer cette menace à la paix ? Qui a raison dans ce débat ? Qui a légitimité sur la question ? En dépit des milliers de personnes que l’opposition affiliée au chef de file de l’opposition politique (CFOP) a fait sortir à deux reprises dans la rue pour protester et s’opposer à la révision de l’article 37, quelle est la position du peuple réel ?
En français facile, quelle est la position des huit (8) millions d’électeurs potentiels de l’intérieur du pays et des quatre (4) millions d’électeurs potentiels de nos compatriotes vivant à l’étranger ?
Aucun des deux camps qui s’affrontent sur l’article 37 ne peut objectivement et avec certitude répondre à cette batterie de questions. La personne qualifiée pour répondre à toutes ces questions est le peuple, qu’il convient de consulter et d’interroger; d’où la nécessité d’un référendum.
II- Le consensus de 1991 n’existe plus
Ce référendum sera l’occasion pour notre pays de se doter d’un nouveau consensus, car l’ancien pacte vénéré par certains opposants et obtenu par référendum en 1991, ce consensus-là est caduc, puisqu’il a volé en éclat par deux fois :
1. Une première fois en 1997 lorsque l’Assemblée Nationale de l’époque, en toute légalité, a modifié l’article 37 originel en amputant sa jambe droite par la suppression de la clause limitative du mandat présidentiel tout en conservant l’autre jambe intacte, à savoir la durée du mandat (7 ans).
2. Une deuxième fois en 2000 lorsque le Collège de sages acheva le job de l’Assemblée Nationale en arrachant l’autre jambe du consensus par la révision de l’article, qui a consisté à réduire la durée du mandat présidentiel en la faisant passer de 7 à 5 ans tout en restaurant la clause limitative alors qu’il aurait dû rétablir intégralement le consensus de 1991 dans son esprit comme dans sa forme. De nos jours, n’en déplaise aux nostalgiques du consensus de 1991, ce dernier a bel et bien été rompu par deux fois ; le consensus de 1991 n’existe plus ; il est introuvable intégralement dans sa formulation originelle. Tantôt c’est l’esprit de l’article 37 qui est matraqué, tantôt c’est sa lettre. L’article 37 de nos jours est hybride et sans réelle paternité. C’est pourquoi un nouveau compromis historique, un nouveau pacte républicain, s’avère impératif; d’où la nécessité encore une fois du référendum sur la question.
III- L’opposition CFOP doit se battre pour la transparence du référendum
L’opposition CFOP persiste et signe : elle ne veut pas qu’on consulte le peuple souverain par référendum. Ses marches-meetings seraient suffisants ! Et elle exige du pouvoir le respect de sa volonté à elle ! N’est-ce pas là un pas en avant vers la terreur intellectuelle, antichambre de la violence ? Comment une minorité politique peut-elle donner des oukases à une majorité politique confortablement élue ? Cette attitude est-elle favorable à la paix sociale ?
L’opposition CFOP dit qu’elle a la légitimité avec elle eu égard à ses marches-meetings antirévision qui rassemblent plusieurs milliers de personnes, qu’il n’ y a aucun doute que le peuple est de son côté. Réconfortés par les récents résultats des élections locales partielles de février 2014, notamment ceux de l’arrondissement n°4 de Ouagadougou, certains opposants et non des moindres affirment que l’ère du Tukguili est révolue et que le peuple est acquis à la cause de l’opposition. Dans ces conditions, allons tous vite au référendum, car la légitimité non contestable, objective, vérifiable et quantifiable, ce n’est pas le nombre de marcheurs dans la rue ni les déclarations subjectives, voire gratuites mais le résultat des urnes, le verdict du peuple au moyen du vote.
Comment peut-on avoir la légitimité avec soi, le peuple avec soi et dans le même temps avoir peur du référendum ? De mémoire de démocrate, sauf oubli, je n’ai jamais vu des démocrates, des républicains refuser le principe du recours au peuple au moyen du référendum pour départager deux camps divisés sur une question d’intérêt national. Et quand ce refus vient de l’opposition, c’est encore abracadabrant ! Certes, tout récemment en Egypte (2013), un groupe organisé s’est opposé au principe d’un référendum sur la nouvelle constitution, censée ramener l’Etat de droit dans le pays.
Mais ce groupe de gens n’étaient pas des démocrates ni des républicains mais des islamistes djiadhistes proches de la nébuleuse terroriste Al-Qaïda ; l’opposition CFOP veut-elle s’inspirer de ce modèle terroriste ? J’espère que non, puisque jusque-là vous êtes bel et bien des démocrates. Parce que le référendum mettra fin à nos querelles de légitimité et nous permettra de nous doter d’un nouveau consensus désormais inviolable, car logé dans l’article 165 de la constitution, il constitue donc une source de paix et de cohésion sociale.
Mon association avait proposé cette solution depuis le 21 septembre 2010 lors de la commémoration de la journée internationale de la paix en déclarant ceci : « La révision de l’article 37 est légale et constitutionnelle, mais puisque la question est tant controversée, nous souhaitons et suggérons un référendum. Le résultat du référendum sera alors le consensus des consensus, car nulle décision, nul choix n’est plus démocratique ou plus populaire que celui du peuple » Aujourd’hui, l’histoire donne raison au Mouvement de la paix.
A mon sens, la bataille qui vaut la peine d’être menée, c’est celle de la transparence totale du scrutin. L’opposition à la révision devrait s’unir dans un front pour cela. L’obtention de la transparence du scrutin n’est pas l’œuvre du seul pouvoir. L’opposition a aussi sa partition à jouer. Les marches-meetings et les conférences de presse, c’est bien mais former, sensibiliser et éduquer ses militants, créer un front citoyen antifraude et pour la transparence totale est encore mieux.
L’opposition CFOP devrait s’organiser pour rendre effective la présence de ses militants dans tous les bureaux de vote sur toute l’étendue du territoire comme le fait le parti au pouvoir. L’opposition CFOP ne devrait plus commettre l’erreur de placer en banque les contributions financières que l’Etat lui donne pour l’aider à placer ses membres dans les bureaux de vote comme l’a fait Me SANKARA Bénéwendé lorsqu’il était chef de file de l’opposition lors des élections couplées de 2012. La subvention de l’Etat ne doit pas dormir dans les banques ou être détournée de son objectif, car, ce faisant, l’opposition se discrédite et se tire ainsi des balles dans ses propres pieds. La suite de cette faute commise par Me SANKARA est bien connue :
· Une faible représentation à l’échelle nationale des militants de l’opposition dans les bureaux de vote,
· Une levée de boucliers de certains partis de l’opposition CFOP qui avaient été exclus de cette manne financière de l’Etat qui dormait dans les comptes du chef de file l’opposition
· Et c’est de justesse que Me SANKARA a échappé à un procès, les opposants lésés, avec à leur tête le Président de l’Union des forces centristes (UFC), ayant opté pour la voie de la sagesse et de la tolérance en lavant le linge sale en famille. Le nouveau chef de file de l’opposition devrait tirer les leçons de ce manquement, car on ne peut pas vouloir la transparence des scrutins et dans le même temps laisser dormir dans la banque une partie de l’argent destiné à la réalisation de cette transparence.
Les résultats des élections locales de février 2014 prouvent que les scrutins sont transparents pour l‘essentiel dans notre pays. Cependant, on peut encore améliorer cette transparence. Pour cela, il faut instaurer un climat de dialogue entre l’opposition et la majorité. Ce dialogue pourra déboucher sur la relecture du code électoral pour renforcer les conditions de transparence, revoir à la hausse la subvention allouée aux formations politiques impliquées dans les questions électorales, etc.
Mais de grâce, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain en refusant le principe du recours au peuple pour trancher. Ce n’est ni démocratique ni républicain. Allons tous au référendum pour avoir la position finale du souverain : le peuple.
IV- L’échec de la médiation milite pour le référendum
La médiation entreprise par les personnalités issues de la société civile a échoué. L’opposition a posé un préalable que la majorité politique a jugé irrecevable. Sans être un juriste, je pense que l’opposition a mis la barre trop haut. Ce n’est pas le Président du Faso qui confère des mandats aux formations politiques ; cette prérogative revient au peuple, car c’est le peuple qui est le mandant des formations politiques. D’ailleurs, le Président du Faso lui-même tire son mandat de ce mandant qui est le peuple ; le Président du Faso ne peut donc mandater ni la majorité politique ni l’opposition.
Ce serait anticonstitutionnel et c’est dommage que les juristes n’aient pas attiré l‘attention de l‘opposition politique sur l’inconstitutionnalité de sa requête ; par contre, la requête pour exiger la présence d’un porte-parole du Président du Faso à cette médiation me paraissait plus juste et politiquement réalisable. Le porte-parole pouvait avoir un statut d’observateur avec droit de parole mais sans droit de vote ; sa présence aurait atténué la crise de confiance et permis la poursuite des négociations entre les deux (2) camps : Majorité et Opposition. Mais au lieu de cela, c’est une requête anticonstitutionnelle que l’opposition a brandie.
Cet échec de la classe politique rend obligatoire l’organisation du référendum afin de départager les pros et les antirévisions.
A défaut du référendum, le Président du Faso peut aussi s’appuyer sur l’article 50 de la constitution pour dissoudre l’Assemblée Nationale et convoquer une constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution pour passer à la Ve République.
Référendum ou Constituante, dans tous les cas, le peuple doit partir aux urnes pour valider un nouveau pacte républicain au nom de la paix sociale.
Ouagadougou, le 17 mars 2014
Dr Bangba Pierre BIDIMA
Médecin,
Président d’honneur du Mouvement de la Paix
Email : bidimabang@yahoo.fr