Ayant longtemps été le « gagne-pain » exclusif de nombreux travailleurs, le métier d’horloger s’exerce de nos jours dans un contexte marqué par le numérique. Les nouveaux outils remplissent pour beaucoup, les fonctions traditionnelles de la montre classique, mettant du coup l’horlogerie dans la tourmente.
Assis sur une petite chaise, la loupe soigneusement fixée par un fil de fer à son œil droit et la langue légèrement tirée sous le regard de son fils, Marcel Lankoandé tente, à plusieurs reprises, un exercice périlleux. Il essaie de placer une plaquette de rechange sur le bracelet d’une montre dont le ressort est amorti. La chaleur de cet après-midi due à l’étroitesse de son atelier et l’absence d’un système de ventilation fait perler sur son front quelques gouttes de sueur. « Elle ne convient pas », s’adresse-t-il au propriétaire. Néanmoins, il tente une manœuvre ultime. Hélas, rien ! « Mieux vaut donc ne pas insister au risque d’abîmer la plaquette, car le fournisseur n’accepterait plus de l’échanger après cela », rétorque le client. « Vous avez raison, comme vous n’avez pas de préférence de couleur, je la ferai changer demain et vous pourrez passer la récupérer dans la matinée », rassure M. Lankoandé, l’air souriant. En moins d’une demi-heure, cinq clients se sont succédé, à intervalles réguliers, à son atelier, sollicitant ses services pour des pannes aussi diverses les unes que les autres. Un tour de brucelles par-ci, un coup de brosse par-là, Marcel, assisté de son fils Christian, satisfait tant bien que mal ses clients. Madame Kaboré est de ceux-ci. Elle vient de laisser son bijou et va devoir patienter encore quelques heures. « J’ai constaté ce matin que ma montre s’est arrêtée. Je suis venue voir s’ils peuvent la réparer et après diagnostic, ils m’ont dit de repasser un peu plus tard », explique la jeune dame. Coincé entre deux édifices aux abords de l’avenue de la Cathédrale, Le Chrono, du nom de l’atelier des Lankoandé, est un « laboratoire » sous forme rectangulaire d’environ trois mètres sur deux. La centaine de montres et d’horloges sur la table, dans les cartons ou accrochées au mur, témoigne de l’intérêt accordé à l’instrument en cet endroit. A 53 ans, Marcel exerce le métier d’horloger depuis plus d’un quart de siècle. Grâce à son CAP (en comptabilité), il a bénéficié d’une bourse suisse qui lui a permis de suivre trois ans (1984-1987) de formation en la matière. De la montre mécanique d’hier à celle automatique d’aujourd’hui, le temps a passé. Le quinquagénaire qui dit avoir embrassé le métier par passion n’entend cependant pas se laisser dépasser par l’évolution du secteur. « Il y a eu des transformations dans le secteur certes, mais le principe reste le même. De façon artisanale ou électronique, on retrouve presque les mêmes outils de base qui servent dans le métier et il n’y a pas, à l’heure actuelle, un type de montre que j’échouerais à réparer », soutient l’horloger. En effet, une fois son diplôme obtenu (Ndlr : accroché à un pan du mur de son atelier), le jeune homme de 25 ans à l’époque, choisit de revenir exercer au pays. Un choix que l’homme semble cependant regretter. Ceci, au regard, de son chiffre d’affaires qui ne le satisfait guère. « J’ai eu des opportunités, mais je tenais à rentrer par patriotisme ; j’ignorais que la situation serait aussi difficile. La satisfaction est surtout d’ordre moral, mais sans incidence financière, il m’est difficile de m’épanouir », confie-t-il. Ainsi, ajoute l’artisan, l’attente peut durer parfois une semaine avant d’avoir un marché consistant de réparation. Pour surmonter la difficulté, Marcel et son fils font parallèlement le commerce des montres dites de "première qualité". « Celle-ci par exemple, je ne peux pas vous la céder à moins de deux cent mille francs CFA », précise-t-il, en brandissant une montre de couleur dorée.
Un environnement hostile
Cette morosité du marché, il l’attribue aussi bien au contexte de développement des TIC, qu’à l’état de sa boutique. « Mes conditions actuelles ne sont pas celles d’un professionnel que je suis. Il y a des montres de cent à deux cent mille F CFA et des clients qu’on me réfère hésitent parfois à me les confier car l’état de l’atelier ne leur inspirerait pas confiance », explique-t-il. Si bien que celui qui rêvait de faire d’une de ses filles une référence dans le métier, se montre aujourd’hui réticent à encourager sa progéniture à lui emboîter le pas.
Difficile, c’est également en ces termes que le patron de l’Horlogerie moderne du Burkina, Benoît Parkouda, qualifie la situation de ses affaires. Horloger depuis 1969, il reconnaît que des changements intervenus dans la nature des montres au fil du temps l’ont obligé à se doter d’outils de pointe pour être à la hauteur de la tâche.
Comme Marcel Lankoandé, Bénoît Parkouda, en plus de la réparation, évolue dans la vente de montres et pièces de rechange. Et pour ce faire, il s’est attaché les services de deux techniciens qui le soulagent dans sa tâche quotidienne. « Le marché n’est plus comme avant. Aussi bien pour la réparation que pour la vente, les choses ne marchent plus très bien », regrette-t-il. Et avec l’avènement des Technologies de l’information et de la communication (TIC) et le fait que certains usagers préfèrent le téléphone portable ou l’ordinateur à la montre pour sa fonction d’utilité, le marché ne semble pas mieux se porter.
« Je gagne au minimum 3 000 F CFA par jour »
La question de la relève constitue aussi une préoccupation pour le responsable de l’Horlogerie moderne du Burkina. Pour lui, le souci est de trouver les arguments pour motiver « ne serait-ce qu’un de mes enfants à reprendre le flambeau, car le marché n’étant plus comme avant, il n’y en a pas qui soit intéressé pour le moment ». A la différence de Marcel et Benoît, Joseph Kobyagda, installé à quelques encablures du grand marché de Ouagadougou ne se plaint pas, pour sa part, de la santé de son activité. En effet, après 21 ans d’exercice du métier, lui qui a fait de cette activité son gagne-pain exclusif, confie tirer son épingle du jeu. « C’est vrai qu’avec l’utilisation des TIC, certains disent que la montre est devenue inutile mais en ce qui me concerne, je remercie le ciel pour m’avoir permis de continuer à tirer ma pitance de ce métier », se réjouit l’homme. Ici, les coûts de service vont de 600 à 2 600 F CFA, signifie-t-il et « je gagne au minimum 3 000 F CFA par jour ». Aussi, il élargit son champ d’action grâce à une collaboration avec une maison de la place qui lui réfère ses montres en panne. Toute chose qui le conforte dans sa foi en l’avenir. « Je suis confiant quant à l’avenir de la montre, car ils sont toujours nombreux, ceux qui continuent de les utiliser et même plusieurs montres à la fois. Ceci, souvent en fonction de leur habillement », déclare Marcel Kobyagda. C’est à quelques mots près, l’avis du sociologue Seindira Magnini. Pour lui, la montre remplit deux fonctions qui sont celle d’utilité et celle de paraître, c’est-à-dire que la montre participe de l’image de soi dans la société. Et d’expliquer que si les TIC permettent de nos jours de se passer de la première fonction, la montre reste un élément composant l’habillement et la personnalité dans certains milieux.
Ce qui pourrait expliquer le fait que malgré la tendance à la réduction du nombre de ses utilisateurs, les commerçants de ce produit prolifèrent. Dans la génération jeune par exemple, précise-t-il, d’aucuns les portent parce qu’en classe, il leur est interdit de se référer au téléphone pour consulter l’heure. « Et si vous êtes dans des logiques où le temps doit être planifié et vérifié de façon régulière, vous allez vous rabattre sur cet instrument », relève M. Magnini.