Les experts estiment que le Burkina Faso n’atteindra pas l’objectif du millénaire pour le développement concernant la réduction de la mortalité maternelle d’ici à 2015 mais il n’en sera pas très loin. Le système de délégation des tâches pour la prise en charge des soins obstétricaux et néonataux d’urgence (SONU) qui permet de sauver des centaines de femmes accouchant dans les localités les plus reculées du pays contribue à cet effort.
« En 2006, nous avons sauvé in extremis une femme qui avait une grossesse extra-utérine. En moins de 45 minutes nous l'avons opérée et retiré de son corps près de 4 litres de sang. Quand on sait que le corps humain n'a que 6 litres de sang, vous comprenez qu'il nous a fallu en trouver pour la transfuser et arrêter l'hémorragie.
Le lendemain, la dame était assise, parlant avec sa famille. Si nous avions attendu 45 minutes de plus, elle serait morte. Sa survie était liée à la disponibilité, sur place, de la chirurgie essentielle. C'est une échappée belle de Zorgho que nous avons célébré comme il se doit », raconte le Dr. Romuald Sawadogo, directeur régional de la santé (DRS) de la région du Centre-est du Burkina Faso.
Cette échappée belle, qui a frà´lé la mort à l'accouchement, a été sauvée dans le cadre du système de délégation des tà¢ches en chirurgie essentielle mis en Å“uvre dans le pays à partir de 1992, grà¢ce à l'aide de partenaires techniques et financiers dont le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA).
Face au nombre très élevé de décès maternels et au manque d'accès des femmes à la césarienne dans un pays essentiellement rural où 21,2% de la population réside à plus de dix kilomètres d'un centre de santé, il fallait imaginer un système pour faciliter l'accès à la césarienne en attendant d'avoir des chirurgiens et des gynécologues dans toutes les structures de référence.
Le système consiste à déléguer les tà¢ches de SONU à des médecins généralistes dans les localités n'ayant ni chirurgien ni gynécologue. Or 83% des gynécologues exercent dans les deux grandes villes du pays, Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.
Les médecins généralistes concernés sont formés en chirurgie essentielle pour assurer les urgences chirurgicales et obstétricales d'un certain niveau, explique Dr. Djénéba Sanou, la directrice générale de la santé au ministère de la santé.
La formation dure six mois dont un mois de formation théorique et cinq mois de stage pratique dans un centre hospitalier universitaire ou régional ; elle inclue la gynécologie et l'obstétrique, la chirurgie générale et viscérale, la traumatologie et la réanimation, l'urologie et la gestion de l'antenne chirurgicale. De 1992 à 2013, 279 médecins ont ainsi été formés et exercent dans les 42 centres médicaux avec antennes chirurgicales (CMA) de districts fonctionnels.
Outre la formation, la supervision des prestataires formés et l'équipement des formations sanitaires en matériel médical et chirurgical sont assurés.
L'impact du dispositif sur le terrain pour les différents acteurs, les bénéficiaires et la communauté est manifeste au point de susciter l'intérêt de certains pays voisins à la recherche d'une formule adaptée de prise en charge des parturientes.
La région du Centre-sud qui abrite 760 632 habitants répartis dans 3 communes urbaines, 16 communes rurales et 529 villages est un exemple de réussite du système de délégation des tà¢ches.
Selon le DRS, Dr Bassirou Ouédraogo, « le nombre de décès maternels, entre le début des SONU et maintenant a chuté de moitié passant de 117 décès maternels pour 100 mille accouchements à 72 décès pour 100 mille dans la région en 2012. Nous sommes à 76% de couverture obstétricale ».
Sans la délégation des tà¢ches, il aurait fallu évacuer à Ouagadougou les quelques 40 000 personnes qui ont bénéficié des SONU en une année dans la région. Par ailleurs, le rapprochement des services d'urgence des populations grà¢ce à la délégation de tà¢ches profite à la communauté qui dépense beaucoup moins en frais de déplacement.
Visiblement satisfait des résultats, Dr Bassirou Ouédraogo a souligné l'importance de l'appui de l'UNFPA, l'un des rares partenaires techniques et financiers qui, à travers un financement de 33 millions de FCFA (66 000 dollars) en 2013, a contribué à la réduction des accouchements à domicile dans la région.
Pour Dr. Romuald Sawadogo, DRS du Centre-est, la délégation des tà¢ches « est très salutaire » car elle permet de réduire les délais entre l'indication du diagnostic de la césarienne et sa réalisation, ce qui améliore le taux de survie des femmes. Par exemple, le CMA de Zabré est à plus de 100 kilomètres du Centre Hospitalier Régional de Tenkodogo ; s'il fallait évacuer les femmes, il aurait fallu attendre 3 à 4 heures avant qu'elles ne soient opérées.
Dr. Djénéba Sanou, directrice générale de la santé, a partagé sa propre expérience : « Pour moi, la réalisation de césariennes dans les CMA a permis de sauver des vies. Dans mon propre village à la frontière du Mali, on a enregistré seulement deux décès maternels depuis l'ouverture du CMA à Dandé. Avec 6 ans de pratique, je pense que la délégation des tà¢ches a donné des résultats probants».
En 2011, 54% des césariennes ont été effectuées dans les CMA, grà¢ce à la délégation des tà¢ches. 80% de ces cas auraient entraà®né la mort de la femme s'il n'y avait pas eu de césarienne et 20% auraient débouché sur des complications, a indiqué Dr Sanou.
On note également que le nombre des décès maternels dans les CMA a considérablement baissé passant de 100,5 pour 100 000 naissances vivantes en 2007 à 58,8 en 2011.
La mortalité maternelle a baissé dans l'ensemble du pays passant de 566 pour 100 000 naissances vivantes en 1993 à 484 en 1998 et 341 en 2010. Elle devrait chuter à 121 en 2015.
Jugeant « inestimables » les résultats obtenus en matière de protection de la mère et de l'enfant aux yeux du système des Nations Unies et de l'UNFPA, le Représentant de l'UNFPA, Dr. Mamadou Kanté a précisé que son agence fournit un appui financier de 5 à 7 millions de dollars US par an.
Elle intervient également dans la mise en place de SONU complets et de base, la formation des équipes sanitaires de base et des hà´pitaux de référence en SONU, la fourniture d'équipements et des médicaments pour le succès de la délégation des tà¢ches.
Convaincu que la délégation des tà¢ches est « probablement la meilleure réponse au manque de spécialistes », Dr. Kanté relève au passage que l'essentiel des efforts est toutefois fourni par le gouvernement burkinabè. L'UNFPA entend poursuivre le plaidoyer pour la délégation de certaines tà¢ches aux attachés de santé et aux accoucheuses.
Loin de dormir sur ses lauriers, le Burkina Faso a lancé un projet de formation de 1 000 spécialistes dont des chirurgiens et des gynécologues au profit des CMA tout en poursuivant la délégation des tà¢ches. Dans ces conditions, le risque pour une femme de mourir en donnant la vie baissera davantage au Burkina Faso.