Le Dr Alain Zoubga, est un des vétérans de la scène politique burkinabè, ministre de la Santé sous le régime révolutionnaire du Conseil national de la révolution, l’homme continue de croire en ses convictions révolutionnaires. Même s’il est conscient que l’esprit révolutionnaire ne répond plus aux exigences de la nouvelle génération burkinabè. Avec le parti l’Autre Burkina/PSR qu’il préside il arrive tout de même à quitter le socialisme scientifique pour le socialisme démocratique. Partant il reconnaît que le programme présidentiel de Blaise Compaoré répond à ses convictions idéologiques. Aujourd’hui ministre de l’Action sociale et de la Solidarité, il fustige l’ex-équipe dirigeante du CDP d’être le mal burkinabè. Il donne son opinion sur la situation politique actuelle du pays.
L’Hebdomadaire du Burkina : Monsieur le président du parti L’autre Burkina/PSR, quelle place occupe votre parti dans la vie politique actuelle au Burkina ?
Dr Alain Zoubga : En ce qui concerne mon parti l’Autre Burkina/PSR, (Parti pour le socialisme et la Refondation), il a été créé en 2007. Nous avons une existence légale, et nous sommes un parti de l’opposition. De ce fait, nous avons déjà participé à toutes les activités du CFOP-B (chef de file de l’opposition). Mais il y a eu des divergences qui ne sont pas forcément politiques notamment quand il s’est agi de la gestion du groupe, le choix des pépinières pour travailler dans les bureaux de vote.
L’une des divergences que je considère assez importante est celle relative aux réformes politiques. Cependant, je peux rappeler que quand nous avons évoqué la question de réforme politique nous avons été méprisés, même par le pouvoir lui-même. Je me rappelle que Roch Marc Christian Kaboré qui est mon camarade idéologique disait que nous rêvons.
Car en ce moment, l’Assemblée nationale fonctionnait bien et rien ne pouvait en ce temps favoriser ces réformes politiques. Et quand le chef de l’Etat a dit qu’il y a nécessité d’opérer des réformes, ceux qui s’opposaient à l’idée ont applaudi. Ainsi nous sommes allés aux réformes et les positions que nous avons défendues demeurent celles que nous défendons aujourd’hui.
Que ce soit l’article 37, le Sénat, le référendum, notre position reste inchangée. Au plan national, nous n’avons pas les moyens financiers comme d’autres partis pour faire des tapages. Néanmoins, nos existons et nous avons des structures. Le 1er mars prochain, nous procéderons à la mise en place des structures féminines du Kadiogo. Ce serait en même temps la rentrée politique de l’Autre Burkina/PSR.
Votre parcours politique depuis la Révolution d’août 1984 jusqu’à nos jours a été à géométrie variable. Sur quel itinéraire politico-idéologique vous-vous identifiez aujourd’hui ?
Je crois que d’un point de vue de la constance, je n’ai pas bougé d’un iota. D’abord sur le plan politique, nous sommes resté un parti d’opposition jusqu’aujourd’hui et je suis au gouvernement en tant que ministre d’un parti d’opposition.
Ensuite sur le plan idéologique, il y a un petit changement : j’ai grandi à l’école de la lutte pour le communisme, qui est le socialisme scientifique et maintenant nous parlons du socialisme démocratique. Cette évolution est là. Le révolutionnaire, je l’ai été, je crois à la révolution, mais je crois qu’aujourd’hui, la révolution ne semble pas de nos jours être dans la mentalité des uns et des autres.
Sur ce plan, je n’ai jamais milité dans un parti de droite. Il y avait d’abord l’ULC, le PDP/PS un parti de gauche. Donc dans mon itinéraire politique, je ne vois pas là où il y a eu un changement par rapport à mes convictions. Sauf que du socialisme scientifique, je suis passé au socialisme démocratique. On connaît des gens qui ont été du PAI et qui aujourd’hui, défendent le libéralisme sauvage, c’est ça un revirement à 180°
Votre parti politique est d’obédience de gauche et se range dans le camp de l’opposition. Qu’est-ce qui explique tout de même votre engagement à accompagner le programme présidentiel à savoir « Bâtir, ensemble, un Burkina émergent » du président Blaise Compaoré ?
Ici encore, vous mettez en avant ce que vous considérez être un changement d’une manière ou d’une autre. Je vous dis d’emblée que le programme du chef de l’Etat n’est pas un programme de droite.
Le CDP n’a pas un programme de droite, c’est dans la pratique que le problème peut se poser. L’ancienne direction du CDP nous l’avons toujours considérée comme étant le mal burkinabè. Tout ce qui se passe aujourd’hui, est la résultante d’une gestion qui a dépassé les limites du CDP et qui touche la vie nationale.
Les ex-dirigeants du CDP ne peuvent pas nier cela. C’est facile de se lever pour dire , « je fais mon mea-culpa ». C’est ce que j’appelle une démarche lâche ou une démarche de trahison. Je pense qu’il fallait mener le combat et faire prévaloir son point de vue. Certes je ne les juge pas, je crois que s’il y a eu scission, c’est dû à l’échec d’un débat interne.
De ce point de vue, le programme de Blaise Compaoré qui est l’émanation de la vision du CDP n’est pas un programme de droite. Je suis de gauche et maintenant en tant que ministre de l’Action sociale il est claire que je ne peut pas ne pas faire passer ma vision des choses. Pourvu que ça ne s’oppose pas de façon frontale à ce que veut le gouvernement. Jusque-là, il n’y a pas d’accrochage entre mes convictions politiques et celles poursuivies par le gouvernement.
L’actualité politique du Burkina est alimentée par des coups de théâtres : Création du MPP par les ex-caciques du CDP, « l’interminable » débat sur l’article 37 le Sénat et le référendum, de nouvelles alliances politiques de circonstance, etc. Comment analysez-vous cette nouvelle donne de la vie démocratique au Burkina ?
La situation politique du Burkina a été bloquée à un moment donné. C’est ce que nous disons qu’il y avait une démocratie de façade. Le système était verrouillé. Et quand vous verrouillez une situation cela peut prendre 1,2, 3 ans, etc, mais tôt ou tard la situation va se décanter naturellement. C’est une « lutte de ligne » qui a éclaté et chaque tendance tente de se racheter. Ce que je peux expliquer, il y a eu l’impatience des uns qui n’ont pas été en mesure de surmonter un débat mieux organisé.
Vous parlez du MPP, du Sénat etc, dans ce contexte extrêmement difficile, nous savons très bien que les acteurs de la politique nationale se trouvent dans une situation à la croisée des chemins. Mais je ne suis pas pessimiste. Je suis convaincu que tous ces débats sur l’article 37, le Sénat, le front républicain, etc, devraient enrichir la vie démocratique.
Si c’est le cas tant mieux pour nous. Concernant le Sénat, il faut dire que ce n’est pas une idée du CDP, c’est nous, dans la refondation pendant les assises du CCRP, qui avons trouvé la nécessité du Sénat avec des arguments convaincants.
Donc l’idée est commune à tous ceux qui croient au Sénat. De l’article 37 nous savons très bien que rien n’interdit la modification de l’article 37. Nous avons alors dit dans les conditions actuelles nous craignons que cette possibilité ne se transforme en une situation ingérable.
C’est pour cela que nous avons pensé que l’article 37 il ne faut pas y toucher. Tout simplement parce que nous avons peur des réactions inattendues. Quant au Sénat, il faut le mettre en place. Il est dans la Constitution, mais il faut seulement tenir compte de ce que les uns et les autres apportent comme observations, amendements, etc. parce que l’idéal est de mettre un Sénat qui sera accepté. Dans le cas contraire, il risque de ne pas survivre.
Un « Front républicain » vient d’être porté sur les fonts baptismaux en fin janvier 2014, dont votre parti est membre. Quel est le principal combat que veut mener ce front ?
Une mise au point, il faut dire que le Front républicain n’est pas né tout récemment. L’idée du Front est née un peu avant la remise officielle du rapport du CCRP au chef de l’Etat. Ce front nous l’avons bien conçu avant la situation que nous vivons. Mais comme la situation politique s’accélérait, le Front républicain s’est accéléré pour pouvoir faire face à la situation réelle. L’idée centrale du Front républicain c’est la défense des valeurs républicaines.
Notre erreur est d’avoir mis du temps pour mettre en place le Front républicain et c’est ce qui laisse penser à tort que c’est à cause de la situation actuelle que le Front a vu le jour. Aujourd’hui la tendance générale est que les gens pensent que c’est fini pour le régime et il ne faut pas aller à contre courant pour le Sénat etc. Mais aller à contre courant est révolutionnaire. Nous nous engageons parce que le Sénat n’a rien avoir avec la situation actuelle.
D’aucuns pensent que le Burkina traverse une crise politique latente. Est-ce votre avis ? Où se situe cette crise et quelle en serait la solution idéale ?
Bien sûr que le Burkina traverse une crise depuis des années. La crise est toujours là. Maintenant il faut se battre pour anéantir cette crise. Ce qu’il faut savoir est que cette crise ne frappe pas seulement le Burkina, parce que la crise internationale a des effets qui se répercutent au Burkina et il y a des indices au niveau national qui indiquent que le pays est en crise. C’est pour cela que nous voulons des réformes car entre les gouvernants et les gouvernés il y a aujourd’hui une rupture, un déficit de confiance extrêmement grave. Quand on arrive à ce point, il faut avouer qu’il y a une crise. Que faire ?
Il faut que les gens soient lucides et se disent que ce qui s’est passé ailleurs peut se passer ici et personne n’y gagne. C’est ce qu’il faut éviter à tout prix. Donc notre message est de dire aux uns et aux autres d’accepter de se parler et de trouver un commun accord sur la solution de nos problèmes.
Un comité de médiation présidé par l’ex-président Jean-Baptiste Ouédraogo, est bloqué par des exigences préalables. Quel regard critique portez-vous sur cette médiation ?
Tout d’abord nous saluons cette médiation. Toute personne qui entreprend une démarche de réconciliation pour éviter le pire, il faut l’encourager. Cela demande aussi à ce qui les acteurs politiques chacun de son côté accepte de faire des concessions au nom de l’unité nationale.
Les éléments clés de la médiation dit que l’article 37 ne doit pas subir de modification, mais le Sénat doit être mis en place. Je pense que la poire en est partagée équitablement et la logique aurait voulu qu’il y ait pas blocage parce que la médiation veut atteindre l’objectif d’une transition apaisée. Nous à travers nos écrits nous avons adressé nos encouragements au président Jean-Baptiste Ouédraogo car toute médiation est difficile au départ mais on y parvient à amener les protagonistes sur le bon chemin.
Si la médiation se révélait improductive, convenez-vous que le recours à l’arbitrage du peuple est légitime pour départager les politiques ?
Le concept de légitimité soulève des interprétations divergentes. Donc je préconise l’usage du mot légal. Evidemment, le recours au référendum est légal. Au niveau de la refondation nous avons abouti à l’analyse que le référendum est dans la Constitution et il n’y a aucune entrave à en faire usage. Le débat ne devrait plus se focaliser sur l’angle exclusif du droit mais plutôt tenir compte de la réalité de notre environnement social.
L’élection présidentielle de 2015 s’annonce à l’horizon. « L’Autre Burkina/PSR jouera-t-il sa partition et comment ?
Ce qui sûr nous avons décidé à notre niveau de jouer notre partition. Maintenant à savoir si nous irons avec nos couleurs ou dans une coalition ce qui est prévisible. Nous serons sur le terrain.
En tant que l’un des vétérans de la politique burkinabè, quelle appréciation faites-vous de l’évolution socioéconomique et politique du Burkina au cours de ces deux dernières décennies ?
La situation socioéconomique du Burkina ne se porte pas mal. Je suis ministre de l’Action sociale, je ne m’accrocherais pas aux chiffres pour parler de taux de croissance. Seulement, je peux dire qu’il y a eu des efforts à tous les niveaux et les retombées profitent aux Burkinabè. Sur le plan social, la situation est morose car les différentes catégories socioprofessionnelles expriment leurs besoins d’amélioration de conditions de vie et de travail à travers des sit-in et des grèves, etc. C’est le déficit de confiance et de communication qui occasionne tout cela. Malgré tout le Burkina a pris une longueur d’avance par rapport, il y a 20 ans.