La ruée vers les pagnes du 8-Mars n’a pas eu lieu cette année. Face à la mévente, les commerçants ont cassé les prix ces derniers jours. Le pagne est désormais vendu moitié prix. Mais pas de chance qu’il y ait un engouement de dernière minute. C’est une saignée financière assurée pour beaucoup de commerçants, qui, comme chaque année, font l’essentiel de leurs chiffres d’affaires à partir de ce fameux pagne aux couleurs de la Journée internationale de la femme. Pourquoi cette chute des ventes ? Certains commerçants invoquent la qualité du produit. Le rapport qualité/prix n’incite pas les clients à acquérir le pagne. Il y a aussi une tendance des femmes à utiliser le bazin ou le faso dan fani sur lesquels elles font imprimer le logo du 8-Mars, en lieu et place du pagne officiel. Ces différents facteurs ont pu influer sur le marché du pagne commémoratif de la Journée de la femme 2014. Mais, est-ce que ce sont là les seules causes de l’écroulement du marché ?
On peut en douter. Alors, y a-t-il eu un boycott du pagne du 8-Mars ? On ne saurait le dire de façon péremptoire, mais le contexte sociopolitique peut avoir eu un impact sur le commerce de ces pagnes. Les crispations politiques nées autour de la mise en place du Sénat et de la révision de l’article 37 de la Constitution ont créé une fracture nationale. Et cela se ressent sur la vie du pays, à travers le comportement des uns et des autres. Si l’heure n’est pas, pour l’instant, au boycott des mots d’ordre du pouvoir, une défiance vis-à-vis des actions à forte connotation politique est cependant perceptible. Le 8-Mars, à ce titre, est symbolique de la politisation des activités à caractère national. Il est normal que chaque parti ou association s’approprie l’événement en le commémorant à sa façon. Mais l’Etat a un devoir de neutralité. Or tel est loin d’être le cas. Le 8-Mars est devenu depuis de nombreuses années un enjeu et une arme politiques pour le gouvernement. Tout converge autour de la célébration du régime. Résultat, le 8-Mars fait l’objet d’une récupération politique indécente. Il n’est donc pas exclu que dans le contexte actuel de luttes pour le pouvoir, certains puissent bouder ces pagnes.
Cette situation doit amener à une reconsidération de la façon dont le 8-Mars est célébré au Burkina. Pourquoi ne pas, par exemple, mettre en place un comité d’organisation qui regroupe toutes les sensibilités, tant au plan associatif que politique ? En brisant les clivages et les carcans, on donne une plus grande chance d’adhésion à cette manifestation. Il faut donc changer de vision. Cela suppose qu’on arrête de réduire les femmes à un bétail électoral ou à des objets de mobilisation populaire. La nécessité s’impose aussi de ne plus réduire le 8-Mars en une simple opportunité d’affaires à travers la vente du pagne et d’autres gadgets. Non, le 8-Mars ne doit plus être perçu comme une foire et un cadre de mobilisation politique partisane. Cela requiert, de la part des autorités, un dépassement de soi, afin de pouvoir rassembler toutes les femmes uniquement autour de l’intérêt national. Bien que des efforts aient été consentis ces dernières années pour débattre de préoccupations spécifiques aux femmes, la question du consensus national autour de cette Journée reste toujours posée.
Une telle transfiguration est-elle possible ? Ce qui est sûr, la politique d’un Etat en faveur des femmes se mesure à l’aune de l’action quotidienne et non d’une Journée. Le 8-Mars est une halte pour faire le point des acquis et des insuffisances de l’ensemble de la politique mise en œuvre, afin d’envisager de meilleures perspectives. Les temps ont changé et de plus en plus, les femmes ne se réuniront qu’autour de leurs intérêts. Elles refuseront de se faire mener en bateau par des politiciens sans scrupule. Il est temps donc pour ceux qui les prennent pour du bétail électoral de changer de stratégie.