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Sidwaya N° 7615 du 4/3/2014

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Foncier rural au ziro et a la sissili: Entre chasse à l’homme et exclusion des femmes
Publié le mardi 4 mars 2014   |  Sidwaya




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Menaces, tentatives de corruption, chasse à l’homme ; la question foncière est par moments explosive dans les provinces du Ziro et de la Sissili. En quelques années, des agro-businessmen ou prétendus tels, ont acquis des domaines dans ces zones où il est coutumièrement interdit de vendre la terre. Le droit foncier des femmes n’emballe personne, puisqu’elles peuvent divorcer. La loi sur le foncier rural y est considérée comme un médecin après la mort et reste au stade de vulgarisation, cinq ans après son adoption.

L’évocation des noms de ces deux provinces, Sissili et Ziro rime, à tort ou à raison, avec spéculation foncière. Sur le terrain, le foncier se discute au quotidien et se résume en cela : oui aux agro-businessmen, peut-être pour les allochtones et non pour les femmes.
Ce 29 janvier 2014, une assemblée d’une vingtaine d’hommes se réunit chez le chef du village de Dansia, une localité située à une dizaine de kilomètres au sud de Léo. Le chef, Hamidou Nigna se défend de déconsidérer la gent féminine et explique qu’elles sont en fait empêchées et écartées. Mais empêchées pour quelles raisons ? On en saura davantage, plus tard.
Au menu des échanges, et par heureuse coïncidence, c’est la loi 034 sur le foncier rural adoptée par l’Assemblée nationale en 2009. Cette rencontre, élargie, est voulue par le projet sécurisation foncière du Millenium challenge account (MCA), un programme américain de développement installé au Burkina Faso. Elle fait suite à une autre réunion tenue à Léo au profit des membres du comité villageois sur le foncier.
L’animateur du jour, Hamidou Diasso est assisté d’un collègue et d’un traducteur du village qui manie bien mooré et gourunsi. Pour planter le décor et rassurer ses hôtes, il déclare que la loi 034 est l’émanation des réalités burkinabè. Il cite l’étude ayant abouti à son élaboration pour les convaincre. Mais cela ne semble pas suffire à ses yeux. Il pointe du doigt les insuffisances de la Réforme agraire et foncière(RAF) qui excluait le privé dans la possession foncière.
Il déclare en outre que les projections prévoient 50 millions d’habitants en 2050 contre 16 millions de Burkinabè en 2014 alors que les terres n’augmenteront pas. D’où la nécessité de prendre des dispositions afin de réduire les risques de conflits. M. Diasso fait remarquer que la loi est censée préserver et consolider la paix sociale. Hamidou Nigna, responsable coutumier chargé du foncier et formé sur la question, apporte son soutien à l’animateur MCA.
A son avis, cette loi permettra de mettre fin au bradage des terres. L’assemblée acquieçant ses points de vue, il invite chacun à entreprendre les démarches nécessaires à l’obtention de l’Attestation de possession foncière rurale(APFR).
Des assurances qui n’ont pas dissipé les inquiétudes. « Et les allochtones présents dans notre village depuis des années, que faire pour eux ? », lance un vieillard. « Nous n’avons aucune intention de leur retirer la terre », répond le chef Nigna. Pourront-ils être propriétaires, demandons-nous ? Question embarrassante ! « Au moment venu, on réunira le conseil du village qui avisera », rétorque Hamidou Nigna. Les allochtones, constitués de la communauté moaga et peulh, sont inquiets. Leurs regards sont interrogateurs. Le responsable coutumier, se ravise constate, pousse un soupir et tranche : « Nous allons leur louer nos terres pour une exploitation à vie, à condition qu’ils n’enfreignent pas les us et coutumes de notre village ».

Le droit au divorce pénalise les femmes

Une autre question embarrasse l’assemblée et le chef du village, celle sur le droit des femmes d’être propriétaires terriennes. Pour le chef, c’est « Non ». « Parce qu’elles pourraient divorcer un jour et aller se marier ailleurs. Il n’est pas question qu’elles disposent de terres ici. Elles pourront revenir les exploiter avec leurs nouveaux maris et nous narguer », dit-il. Cette réponse semble ravir tous les participants. L’animateur MCA ne pipera mot sur cette position qui dénie aux femmes l’élémentaire droit à l’égalité.
Pour relativiser son propos et après hésitations, le chef finit par concéder que les filles pourraient posséder des terres : « Pourquoi pas ? Nous pourrons leur faire des dons. Nous sommes disposés à les accompagner pour l’obtention d’APFR », précise-t-il. Mais les expressions « dons et prêts » ne semblent pas avoir la même acception des différents acteurs en cette matinée. L’animateur Hamidou Diasso est obligé de s’attarder sur ces concepts.
En effet, selon l’article 06 de la loi, le prêt de terre rurale désigne l’accord par lequel une personne autorise une autre à occuper et exploiter une terre rurale dont il est possesseur ou propriétaire, à des fins domestiques et à titre personnel pendant une durée déterminée ou non, à charge pour l’emprunteur de libérer les lieux lorsque le prêteur manifestera l’intention de rependre sa terre. Quant au droit d’usage du foncier rural, ils se définissent comme les droits d’exploitation des terres rurales, consentis à temps et à titre personnel par un possesseur foncier rural à une autre personne ou groupe de personnes.
Dans cette bourgade, seulement 35 hectares de terres, selon le chef Nigna, ont été prêtés à des particuliers pour exploitation. Le coût de ces arrangements est tenu secret et est désigné par le vocable « argent pour de la cola ». Pas question de parler de vente de terres. « Les coutumes nous l’interdisent », ajoute le gardien des traditions.
Neboun par contre, village de la commune rurale de Bieha à l’est de Léo a la réputation sulfureuse dans les transactions foncières. Ses habitants racontent que les nouveaux exploitants sont des ministres, députés, directeurs généraux en fonction ou en fin d’activité, des opérateurs économiques, bref des cadres de l’administration publique ou privée. Au début, explique le chef du village, Moussa Nigna, toute opération foncière était de son ressort.
Puis les jeunes ont pris insidieusement la relève à l’insu de leurs parents et des notables du village. Les terres sont cédées à des agrobusiness-men contre 50 000 à 75 000 F CFA l’hectare. Le phénomène a pris des proportions à telle enseigne que Salif Nigna, agent de liaison à la retraite en a appris à ses dépens. En effet, lorsqu’il décide de quitter Koudougou où il officiait pour s’installer dans son village à Neboun, plus rien ne restait des terres familiales. Ses frères ont tout vendu.

Un « Ben Laden » et
les habitants de Neboun à couteaux tirés

Aujourd’hui, avec un regard hagard, il doit son salut grâce à la solidarité villageoise qui lui a permis d’avoir un lopin de terres. Qu’en est-il de la loi sur le foncier rural ? « Médecin après la mort », nous a répondu un jeune. Pourtant l’atmosphère qui couve cette bourgade depuis le 16 janvier 2014 est délétère. Les habitants de Neboun et Hamidou Ouédraogo, sergent chef en retraite et natif de Koungoussi sont à couteaux tirés. A l’origine, un différend foncier entre lui et les habitants du village a débouché sur une partie de chasse à l’homme. Le premier, surnommé Ben Laden à cause de sa barbe abondante et grisonnante, est accusé par les seconds de tous les maux. D’abord, les habitants lui reprochent de n’avoir pas respecté sa parole.
Hamidou Ouédraogo est accusé d’avoir refusé de céder les terres en jachère qui lui ont été affectées pour sa première saison dans le village en 1997. Ensuite, il lui est reproché le non-respect des mœurs. Contrairement aux coutumes, « Ben Laden » a refusé de donner la chèvre et le poulet lorsqu’il voulait inhumer sa fille décédée en septembre 2013 dans son champ où il réside. Considéré comme un homme ayant peu d’égard pour les notables du village, il lui était demandé en sus une amende d’un mouton et la somme de 12 000 F CFA. Ce que Hamidou Ouédraogo aurait refusé.
Enfin, les villageois disent l’avoir vu en possession d’armes avec lesquelles il menacerait tout le village. Toutes les tentatives de réconciliations entreprises par les notables du village et les autorités communales et provinciales ont été vaines, selon les villageois. Le 16 janvier 2014, aux environs de 16 heures, selon « Ben Laden », alors qu’il revenait de Sapouy, il a été pris en sandwich par les habitants de Neboun. Il est ligoté contre un poteau d’un hangar et aurait été bastonné. Il a eu sa vie sauve grâce à la gendarmerie de Léo, arrivée sur les lieux aux environs de 22 heures pour l’extirper des mains de ses bourreaux.
Dans leurs représailles contre le ‘‘frondeur’’, les habitants de Neboun iront plus loin. Ils mettent le cap sur son domicile. Sa maison est mise à sac. Seuls sa famille et ses vivres sont épargnés. Ses quatre femmes et 13 de ses 24 enfants sont mis dehors. Ses épouses et 9 de ses enfants regagneront Ben Laden à Léo. Certains de ses rejetons sont pris en charge par l’action sociale qui leur a trouvé des écoles pour poursuivre leur scolarité. Les autres, les plus âgés, qui ne sont pas scolarisés, garderont le troupeau de leur père en brousse.
Plusieurs ressortissants de Kongoussi, d’où est originaire Hamado Oudraogo dit ‘’Ben Laden’’ qui ont accouru pour assister à la destruction de sa maison, auraient été pris à partie. Ils vivent, de nos jours, reclus chez eux. Ils n’osent pas s’aventurer dans le marché de Neboun, selon leurs témoignages. C’est dans la brousse que nous avons rencontré un groupe de 8 personnes ‘’bannies’’.
Parmi elles, Abdoul Konfé, Ranini Sawadogo, Issouf Sankara. Ce dernier, le visage encore grave, nous a montré les cicatrices des blessures dont il aurait été l’objet de la part des habitants. Rencontré à Léo où il vit pour sa sécurité, selon la gendarmerie, ‘’Ben Laden’’ dit n’avoir rien à se reprocher. Selon lui, ses déboires avec les habitants de Neboun ont commencé lorsque ceux-ci ont constaté qu’il exécute sa prière les bras croisés. C’est alors qu’il a été accusé d’intégriste wahabite et interdit de prendre part à toute activité du village. Pour le reste, tout ce qui se dit à son sujet « est archi -faux ». « J’ai défriché 6 hectares pour mon champ, la première année de mon séjour à Neboun. La seconde, 4 autres. A l’approche de la saison, alors que nous étions déjà en juillet, ils m’ont dit de ne pas semer. Et j’ai donc refusé. »
Qu’en est-il des armes qu’il détiendrait chez lui ? Ben Laden est catégorique : « Quand on a tort, on a tout ingrédient pour faire valoir sa raison. C’est archi faux. Moi, je connais la loi. Mon père est un ancien combattant. Dans cette vie, il n’est pas recommandé de se promener avec un fusil au risque d’être agressé par des bandits. J’ai seulement un mauser 55 pour les oiseaux ». Mais l’homme est convaincu que ses démêlés avec le chef du village et les habitants sont dus au fait qu’il est « un agriculteur modèle », qui prospère.
« Les gens sont jaloux de ma réussite », martèle-t-il. En effet, Hamado Ouédraogo, selon ses confidences, est le meilleur producteur du coton dans le village. Et c’est pour lui faire payer ce succès qu’il a été exclu du groupement de producteurs du coton. Au regard de sa production, la Société burkinabè des fibres et textiles(SOFITEX) aurait pris en compte la nouvelle donne. Depuis quatre ans, son coton est acheté en solitaire. Mais ce n’est pas tout. Ben Laden dont la philosophie est de partir « du néant à l’abondance », est considéré comme un homme aisé.
Sa modeste demeure est électrifiée grâce aux panneaux solaires. Ses enfants vont tous à l’école à vélo. Ce qui rend tout le village jaloux, à ses yeux. De plus, dit-il, contrairement au chef du village qui « voulait faire de moi une personne singulière, sans relations, je suis plus populaire que lui. C’est parce que je prospère qu’ils sont jaloux de moi », insiste-il. Ben Laden est un homme informé et cultivé.

Menaces et tentatives de corruption

Il est au parfum de l’actualité nationale et internationale. Il s’exprime dans la langue de Molière de façon impeccable. Il manie habilement l’anglais et l’arabe. Une vision moderne de la vie qui complique ses relations avec le reste du village. « Dans ma tête, je ne cultive pas la chefferie traditionnelle. Dans ma tête, c’est l’Etat. La chefferie traditionnelle, c’est du passé. C’est l’Etat qui commande. Ne revenons plus sur ce qui n’a pas de valeur ».
Autre discours de Hamado Ouédraogo que les villageois considèrent comme un affront est sa réponse à la requête du chef du village, lorsqu’il a perdu son enfant : « Même une mouche, je ne vais pas vous donner ». Détention d’armes ou non ? En tous les cas, le commandant de la gendarmerie de Léo, l’adjudant chef-major Hamado Tiendrébeogo nous a présenté une arme, « carabine à air comprimé » que les ‘’Nebounais’’ auraient retrouvée dans le sac de ‘’Ben Laden’’. « Je suis en politique de guerre parce que je suis menacé », aurait-il dit à la gendarmerie.
Aujourd’hui, la saison pluvieuse avance à grands pas. Et ‘’l’expulsé’’ du village prévient : « Si l’Etat ne prend pas ce que j’ai subi comme une réalité, qu’on peut faire du tort à la nation, moi, je vais créer un deuxième Sidi Bouzid ici. Ce serait devant le président ou devant une autorité ». (Ndlr : Sidi Bouzid est la ville tunisienne dans laquelle un jeune s’est immolé par le feu déclenchant la crise ayant conduit à chasser le président Ben Ali du pouvoir en 2011). Pour l’instant, il dit s’en remettre à la justice pour obtenir réparation de ses biens détruits et retrouver son champ. « Je laisse tout entre les mains de la justice. Si la loi me donne raison, je préfère que les Gourounsis viennent me tuer dans mon champ et qu’on m’enterre à côté de la tombe de mon enfant. Ou je vais faire mon Sidi Bouzid sur la tombe de mon enfant », avertit-il.

Autre lieu, autres réalités

Dans le village de Kasso, situé dans de la commune de Sapouy, dans le Ziro, le chef de terre, Beli Nigna, explique que les spéculations foncières ont pris un tournant décisif dans les années 2 000. Par principe, précise-t-il, le Gourounsi ne vend pas sa terre. Mais comment en est-on arrivé à là ? Ce sont les demandeurs qui proposent des sommes d’argent aux propriétaires terriens, poursuit-il.
Les superficies mises à leur disposition étaient destinées à l’élevage, l’agriculture, la construction d’internats, etc., tantôt contre la cola, tantôt contre une modique somme d’argent.
Le chef Nigna affirme qu’il n’a jamais donné plus de 10 hectares à une personne. Cependant l’ex premier adjoint au maire de Sapouy, Sidiki Nama raconte que plusieurs concessionnaires sont venus demander un document de possession foncière à l’exécutif municipal d’alors avec des superficies pouvant atteindre les 250 hectares par personne.
Face à l’ampleur du fléau, le conseil municipal a dû prendre des mesures conservatoires. Une délibération limite depuis quelques années à 20 ha le seuil de terres à vendre. Il n’en fallait pas plus pour déclencher la colère des agro-business-men. L’ex adjoint au maire raconte que certains membres de l’exécutif municipal ont été l’objet de menaces et de tentative de corruption. Cette pression qu’ils ont subie expliquerait en partie leur retrait des postes de responsabilités dans l’exécutif municipal actuel, confie M. Nama.
Dans le village de Nebourou, Sidiki Nama témoigne que plusieurs femmes, parties à la recherche de noix de karité sur des superficies concédées à des acheteurs, se sont vues interdire leur accès.
La loi sur le foncier pourra-t-il faire reculer le phénomène ? Rien n’est moins sûr. Car selon lui, la pauvreté a gangrené tout le tissu social et contribue au développement du phénomène. Malgré sa vulgarisation, des inquiétudes subsistent. Selon le chef du village de Kasso, Nigna Beli, la diaspora a été oubliée dans le partage des terres prévu par la loi. Le foncier suscite convoitise, gourmandise et génère d’énormes tensions en ce moment. Il faut dans tous les cas que la loi s’applique un jour, partout et dans tous les domaines, dans ce pays dit des « Hommes intègres ».

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