Economiste, directeur du département Environnement à l’Université Senghor d’Alexandrie, en Egypte, Martin Yelkouni était un des intervenants au Forum économique et de développement durable de l’Afrique (FEDDA) organisé par l’Association des Burkinabè de Lyon début juillet. (Voir Lefaso.net du 23 juillet) Entre pause-café et communication sur les atouts des pays de la zone franc, il a juste eu le temps, entre autres, de présenter l’Université Senghor d’Alexandrie et d’expliquer ses positions sur les conditions de développement de l’Afrique.
Quelle est la particularité de l’Université Senghor d’Alexandrie ?
L’Université d’Alexandrie est un opérateur de la francophonie et compte quatre départements : administration gestion, culture, environnement et français. Nous formons des étudiants en Masters en développement, et en Environnement, avec deux Masters spécialisés : Gestion de l’environnement et gestion des aires protégées que nous assurons en collaboration avec l’Union internationale pour la conservation de la nature (UIN). Les formations sont ouvertes aux étudiants francophones mais en majorité, ce sont des étudiants africains subsahariens qui en bénéficient le plus. Les dossiers sont examinés en trois étapes : l’inscription sur internet, ensuite un examen organisé dans les consulats de l’ambassade de France, et enfin des auditions soit par téléphone soit sur place. Les résultats définitifs sont publiés à l’issue de ces trois étapes. La formation en Masters dure deux ans, mais il arrive qu’on recrute des étudiants déjà titulaires d’un Master1, mais juste pour la liste complémentaire.
Quant à la formation, il s’agit, dans une approche holistique, d’analyser les problèmes environnementaux en Afrique et à la fin de leur cursus, les étudiants trouvent du travail dans les ministères de l’Environnement, dans des entreprises spécialisées, ou choisissent d’ouvrir des cabinets privés en conseils sur l’Environnement. Ceux qui ont suivi la formation en Gestion des aires protégées sont employés dans la conservation des parcs naturels.
En tant qu’universitaire, comment appréciez-vous la politique du Burkina en matière d’environnement et de développement durable ?
Il y a eu plusieurs phases dans la mise en œuvre de la politique environnementale au Burkina et depuis les années 80, on a pu constater une évolution progressive dans la prise en compte des aspects environnementaux. Il est vrai que la gestion de l’environnement est très complexe, et d’un point de vue institutionnel, les différentes réformes qui ont été faites, comme la réforme agraire, le code foncier et forestier, l’ont été en intégrant la dimension environnementale. On a constaté une évolution dans la dénomination du ministère en charge des questions environnementales : de « Eaux et Forêts », on est passé à « Eaux et Environnement », puis « Environnement et du cadre de vie » et aujourd’hui « Environnement et développement durable ». Tous ces changements ont accompagné les péripéties de la vie politique que notre pays a connues.
Ce qu’il faut affirmer très clairement, c’est que la politique en matière d’environnement doit être conçue de manière transversale, car un seul ministère ne peut pas traiter la question environnementale dans toute sa complexité. Il y a l’énergie, l’agriculture, la manière dont les gens doivent se comporter, etc., autant d’éléments qui ne peuvent être pris en compte par un seul ministère parce qu’il ne peut pas avoir toutes les compétences requises. Dans chaque ministère il y a des problèmes liés à l’environnement et il doit y avoir de répondant sur les questions environnementales. Il s’agit globalement donc de travailler ensemble avec les autres ministères sur les comportements aussi bien dans les entreprises que chez les citoyens. D’où la nécessité de mettre en place le volet « éducation à l’environnement ».
Par exemple, sur la réduction des déchets à Ouagadougou, il y a tout un effort à faire et notre manière de fonctionner y joue. Il y a aussi la gestion des ressources naturelles dans laquelle, dans un pays comme le Burkina, toutes les parties doivent prendre leur part de responsabilité et ne pas tout abandonner à l’Etat.
Dans le secteur minier, il faut que les impacts de l’exploitation soient pris en compte dans le court, moyen et long terme, de façon à juguler les problèmes qui peuvent rebondir plusieurs années plus tard.
Il existe une abondante littérature sur les conditions de développement de l’Afrique, continent doté d’immenses ressources naturelles, mais qui peine à décoller. Avez-vous le sentiment que les gouvernements écoutent ce que vous, universitaires, chercheurs dites, que vos travaux éclairent leurs décisions ?
Pour être franc avec vous, il y a des décisions politiques et économiques qui ne sont pas comprises par nous-mêmes car on ne voit pas où on veut aller exactement, et quelles sont les stratégies adoptées dans la mise en œuvre de ces décisions. Or, en matière de développement, il est important qu’il y ait des formes de concertation. Des chercheurs africains sur le continent et de la diaspora souhaitent qu’on les écoute davantage avant de prendre toute décision et malheureusement, c’est ce qui manque.
En ce me concerne par exemple, j’ai fait des travaux sur la gestion des forêts au Burkina et je ne sais pas si on prend en compte mes recommandations dans les orientations politiques. Je sais bien qu’il y a des courants qui s’affrontent sur les questions environnementales, mais je suis prêt aux débats parce qu’il y a plusieurs solutions envisageables et la question est de savoir laquelle est la mieux adaptée pour notre pays. Je suis ne prétends pas avoir raison, mais je dis seulement que les choses ne doivent pas être figées et chacun doit pouvoir apporter sa contribution au développement du Burkina. Il ne faut pas négliger l’apport de nombreux chercheurs et scientifiques issus de la diaspora, les expatriés burkinabè en Europe et aux Etats-Unis dans la recherche de solutions aux problèmes de notre pays.
Un exemple : L’enseignement supérieur au Burkina ; il y a une réflexion à faire sur les curricula et dans la manière de gérer les universités. Beaucoup de jeunes ont la volonté de diversifier leur formation, mais sont bloqués par le fonctionnement actuel de l’université. Il faut pourtant que l’université s’adapte au monde économique parce qu’il n’y aura pas de développement économique tant qu’il n’y aura pas de liens étroits et permanents entre eux ! Il y a des mutations profondes à apporter dans la formation universitaire au Burkina parce que tout le monde ne peut pas suivre la formation classique. Le débat doit avoir lieu avec les professeurs afin de trouver des solutions durables à l’enseignement supérieur burkinabè
Vous réclamez aussi l’ouverture d’un large débat sur la parité entre le F CFA et l’Euro…
Le débat est de toute façon déjà ouvert et mérite d’être poursuivi car beaucoup d’économistes estiment que cette parité peut être un frein à l’émergence économique de la zone Franc. L’idée n’est pas de remettre en cause le système en tant que système, mais de se demander s’il n’est pas possible de faire mieux après plusieurs années de fonctionnement. Il n’y a aucune raison de ne pas se poser des questions sur la pertinence de la fixité de la parité F CFA/euro sachant qu’en période de crise surtout, comme celle que nous vivons, le rôle de la monnaie est primordiale dans la gestion de nos vie au quotidien.
Nous avons deux zones, l’Uemoa et la Cemac, avec deux monnaies qui ont la même parité mais qu’on ne peut même utiliser dans les deux zones. Franchement, n’y a-t-il pas là un vrai problème d’intégration alors qu’on a besoin d’avoir une monnaie qui nous facilite des échanges commerciaux ? Deux choses, l’une : soit la zone CFA l’est pour tout le monde, soit elle ne l’est pas. Je ne suis pas un spécialiste de l’économie monétaire, mais je dis que ça mérite que le débat soit ouvert afin qu’on regarde objectivement quelles sont les avantages et les inconvénients de cette situation. Ne pas ouvrir le débat c’est s’enfermer intellectuellement dans un blocage, comme s’il n’y a avait pas d’autres solutions possibles. Les spécialistes doivent s’exprimer dessus, beaucoup l’ont déjà fait et il faut y revenir afin de créer les conditions d’une émergence économique dans la zone Franc
Dans votre communication, vous avez insisté aussi sur la crédibilité du système judiciaire pour un pays qui mise sur les investisseurs nationaux et étrangers. Pourquoi ?
En économie, la crédibilité est essentielle pour un investisseur ; si on a confiance on investit, si on l’a un peu, on est prudent, voire frileux ! Donc la question de l’indépendance de la Justice est fondamentale car elle doit sécuriser les investissements de n’importe qui ! Un entrepreneur ne vient dans un pays que parce qu’il y a la sécurité de l’investissement et rassuré que lorsqu’il y aura un problème, la justice pourra trancher de manière impartiale, sans oublier bien entendu la sécurité globale dans le pays. Mais, c’est important de souligner que le rôle de la justice est fondamental pour capter de vrais investissements. Si quelqu’un veut investir des millions dans un pays sans être sûr de récupérer dans cinq, dix, voire vingt ans, il investira un minimum et dans le court terme et repartira avec les capitaux et les bénéfices, et ce n’est pas bon pour un pays.
Donc, il y a la stabilité du pays, mais aussi la capacité des institutions à garantir le fonctionnement des affaires ; c’est ce que les économistes appellent les coûts de transactions. On fait une transaction en essayant de minimiser les coûts et si on n’est pas sûr de le faire, on entre dans un système complexe où il faut surveiller le partenaire, ce qui est difficile dans un pays où la justice ne fonctionne pas bien. La sécurisation des contrats va également de pair avec un climat viable et transparent.
Vous avez parlé des pays africains comme étant des pays preneurs. De quoi s’agit-il exactement ?
C’est simple : prenons l’exemple du cacao ; il est plus facile d’acheter du chocolat en Europe qu’en Afrique, alors que la matière première vient d’Afrique. Pourquoi ne transforme t-on pas le cacao sur place pour lui donner de la valeur ajoutée ? Pareil pour le café ; le bon café se trouve ailleurs pendant que le nescafé classique que nous achetons chez nous est un composé de résidus. Quand on était étudiant et qu’on prenait le café, certains avaient la tremblote, mais pourquoi ceux qui boivent le café en Europe ne tremblent pas ? Actuellement je consomme plus de café qu’avant et je ne tremble pas, pourquoi ?
Je sais qu’on va me dire que c’est plus facile à dire qu’à faire, mais je suis aussi conscient qu’il faut bien évidemment des investissements sur place surtout au profit des jeunes qui voudraient s’y lancer. Je suggère aussi qu’on revienne au système de péréquation qui a été supprimé, alors qu’il permettait quand même de garantir un minimum de prix à nos producteurs. Aujourd’hui, on produit mais on n’est pas sûr de garantir un prix à la production pour nos paysans qui ne connaissent pas le fonctionnement du marché international. Là aussi, il y a besoin de remettre en cause le modèle économique actuel de libéralisation afin de l’adapter à notre contexte où l’Etat a un rôle majeur à jouer sans pour autant étouffer le secteur privé. On ne peut pas laisser tout au privé, mais chacun doit jouer son rôle pour assurer la production parce qu’il n’y a pas un modèle qui tienne pour tout le monde. Chaque pays doit adopter le système qui permet de répondre aux besoins des populations, et comme l’économie est une science sociale, il bien analyser les comportements des acteurs avant de faire des choix adaptés. Il peut avoir des modèles hybrides de développement qui prennent en compte les contraintes financières, environnementales et sociales.